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Billets d’avion, surtaxes, nouvelle réglementation sur les chèques, manque de vision : le cri d’alarme de Mouna Ben Halima

28. August 2025 um 12:10

Législation punitive, fiscalité dissuasive et absence de vision stratégique : pour Mouna Ben Halima, CEO de l’hôtel de luxe Al Badira, le tourisme tunisien, y compris dans son segment haut de gamme, paie cher les effets de lois mal conçues et mal appliquées. Entre une clientèle étrangère découragée par les prix des billets d’avion, des taxes accumulées qui freinent l’investissement et une réglementation qui désorganise le travail saisonnier, elle dresse un tableau lucide et franc d’un secteur en manque de cap.

Comment jugez-vous la saison touristique actuelle dans vos établissements ?

Je préfère parler de la basse saison. Dès février, nous avons ressenti une nette baisse d’activité. À mon sens, cela est directement lié à la loi criminalisant les chèques sans provision. De nombreux Tunisiens avaient l’habitude de régler leur séjour en plusieurs fois par chèque, notamment pour des occasions spéciales comme un anniversaire de mariage.

Ce n’est plus possible aujourd’hui, et cela a clairement freiné la demande. Jusqu’en juin, nous étions en retard par rapport à nos prévisions, avec à peine 1 % de croissance par rapport à l’an dernier – une hausse totalement absorbée par l’inflation. Autant dire que c’est une saison faible, en réalité.

« On préfère ponctionner un secteur au lieu de l’encourager à se moderniser. »

 

Avez-vous constaté une augmentation des réservations, de la part des touristes étrangers ? Et côté tourisme intérieur ?

Ma clientèle est très spécifique : haut de gamme, avec un fort pouvoir d’achat, indépendante des circuits de tour-opérateurs et des vols charters. Elle réserve souvent plusieurs mois à l’avance, parfois dès mars pour août. Mais ces deux dernières années, les tarifs aériens excessifs ont poussé nombre de nos fidèles à reporter leurs vacances à l’automne, voire à changer de destination.

Même les Tunisiens résidant à l’étranger, pourtant attachés à la Tunisie, achètent aujourd’hui des résidences secondaires en Espagne, en Croatie ou en Turquie. Une famille de quatre personnes ne peut pas raisonnablement payer 700 € par billet en été. Et pourtant, on vient d’assister à un revirement : Tunisair, constatant que ses avions étaient à moitié vides, a lancé des promotions de dernière minute, faisant chuter les prix à 200 € l’aller simple.

Un non-sens économique. On pénalise les voyageurs prévoyants qui ont réservé en février à 800 €, alors qu’on récompense ceux qui réservent la veille. Ce mauvais pilotage du revenue management pénalise toute la chaîne touristique. À l’hôtel, nous avons une politique tarifaire progressive, logique et respectueuse des clients.

Quels marchés ont le plus répondu présent cette année ?

EasyJet, avec ses vols vers Enfidha, reste une bouffée d’oxygène. Elle permet d’attirer une clientèle britannique avec des prix compétitifs. Mais globalement, la Tunisie perd des touristes étrangers. Cela signifie moins de devises pour le pays, ce qui devrait alerter les décideurs.

Car en parallèle, la clientèle locale prend la place, mais elle réserve à la dernière minute, avec un budget moindre. Il faut choisir : veut-on maximiser les rentrées en devises ou préserver les habitudes de consommation internes ? Cela passe essentiellement par une politique claire d’accessibilité aérienne.

« Une famille de quatre personnes ne peut pas raisonnablement payer 700 € par billet en été. »

 

Parvenez-vous à maintenir la rentabilité malgré ce contexte ?

Oui, car je ne travaille pas avec les tour-opérateurs et tous mes clients paient à la réservation ou à l’arrivée. Je n’ai pas de problème de trésorerie et mon hôtel est rentable. Mais cela reste une exception, pas la norme du secteur.

Quels sont les principaux coûts qui grèvent aujourd’hui votre marge ?

Depuis la loi de finances 2024, nous sommes surtaxés. En plus des 3% de taxes déjà en place sur le chiffre d’affaires (2% pour l’ONTT, 1% pour les municipalités), une nouvelle taxe de 3% a été imposée au profit de la caisse de compensation. Pourtant, cette dernière représente à peine 0,1% de notre activité.

Résultat : nous supportons 6 % de charges sur le chiffre d’affaires, ce qui est énorme. C’est autant d’argent qui ne peut pas être réinjecté dans la rénovation ou le développement. À mon échelle, cela représente 800.000 dinars par an ! On préfère ponctionner un secteur au lieu de l’encourager à se moderniser.

« Même ceux que nous avons formés partent : les croisières et l’Arabie saoudite débauchent à tout-va. »

 

Recevez-vous un quelconque soutien de l’État ?

Aucun. Ni soutien fiscal, ni accompagnement bancaire. Quand j’étais au bureau exécutif de la FTH, nous avions même ironisé avec un slogan : « FTH, sallakha wahdek ». Cela résume bien la situation.

La loi sur les chèques sans provision a-t-elle des impacts concrets sur votre quotidien ?

Évidemment. Elle a réduit la demande locale. Et paradoxalement, le cash est revenu en force. On a dû acheter une machine pour compter les billets ! Nous qui plaidions pour la transparence et la traçabilité, nous nous retrouvons à gérer des sacs remplis d’espèces. Ce n’est ni moderne ni souhaitable.

Avez-vous revu votre politique d’investissement ou de rénovation ?

Oui, à la baisse. Non pas à cause de la conjoncture, mais à cause de la surtaxe fiscale. Ces 3 % supplémentaires que je dois verser à l’État m’empêchent de réinvestir comme je le voudrais, dans du mobilier, des cuisines, des équipements. C’est une politique absurde.

« Depuis 15 ans, les recommandations n’ont jamais été appliquées. »

 

L’emploi saisonnier est-il toujours aussi disponible ? Trouvez-vous du personnel qualifié ?

L’emploi saisonnier existe encore, mais la nouvelle législation sur le travail rend les saisonniers moins motivés. On ne peut plus les fidéliser avec des CDD renouvelés.

Résultat: perte d’efficacité. Quant au personnel qualifié, c’est un problème structurel : effondrement de l’école publique, disparition de la formation professionnelle, etc. Nous formons nos équipes en interne, avec des experts internationaux. Mais désormais, même ceux que nous avons formés partent : les croisières et l’Arabie saoudite débauchent à tout-va, avec de bien meilleures conditions.

« Nous plaidions pour la transparence et nous nous retrouvons à gérer des sacs remplis d’espèces. »

 

Craignez-vous une fragilité structurelle du secteur hôtelier ?

Ce n’est pas une crainte, c’est un constat. Depuis le rapport Roland Berger en 2009 jusqu’aux assises nationales de 2017, les recommandations structurantes n’ont jamais été appliquées.

Résultat : la capacité hôtelière est en baisse, les hôtels vétustes ferment faute de rénovation. Les nouveaux promoteurs ne se lancent plus dans ce secteur devenu trop risqué, trop taxé, trop exposé. Rien n’a changé depuis quinze ans. Et c’est tragique.

Entretien conduit par Amel Belhadj Ali

En bref

Mouna Ben Halima, CEO de l’hôtel Al Badira, dresse un constat sévère sur le tourisme tunisien : flambée des prix des billets d’avion, surtaxes fiscales, loi sur les chèques qui freine la demande, absence de vision stratégique… Le haut de gamme hôtelier peine à maintenir son attractivité. La fiscalité pèse lourdement sur l’investissement, tandis que la fuite des compétences fragilise un secteur en manque de réformes structurelles.

 

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