Quand Kiev est coincée entre le marteau russe et l’enclume américaine
L’imprévisible président américain qui commence visiblement à se lasser des négociations russo-ukrainiennes, a prévenu que les États-Unis étaient prêts à « passer à autre chose » si aucun accord n’était trouvé pour mettre fin à la guerre. Une manière de mettre la pression sur Kiev pour accepter les nouvelles conditions de Moscou?
Coup de bluff de la part de Donald Trump qui veut mettre un terme au plus vite à cette guerre « terrible et insensée » ? Celui-ci, rappelons-le, s’est vanté durant la campagne présidentielle de régler le problème de la guerre en Ukraine en 24 h. En effet, l’administration américaine qui montre des signes d’impatience sur le dossier ukrainien, menace de mettre fin à ses efforts de médiation si les deux belligérants, à Kiev comme à Moscou, ne s’entendaient pas rapidement sur un accord pour une issue au conflit.
Alignement américain sur Moscou
Comment y parvenir? « Moscou et Kiev vont devoir procéder à des ‘’échanges territoriaux ‘’ dans le cadre des négociations de paix ». C’est ce qu’a proposé hier mercredi 23 avril le vice-président américain J.D. Vance, en visite en Inde. Tout en évoquant la possibilité de « geler les lignes territoriales à un niveau proche de ce qu’elles sont aujourd’hui ».
Traduction : au moment où des discussions ont lieu en ce moment à Londres entre Américains, Ukrainiens et Européens, Washington propose par la voix de son vice-président les contours d’un plan largement favorable à la Russie de Poutine en mettant dos à dos l’ours russe et l’Ukraine.
De même, dans le cadre d’ « échanges territoriaux » l’administration américaine évoque également « les lignes territoriales à un niveau proche de ce qu’elles sont aujourd’hui ». Autrement, elle reconnait de facto des secteurs occupés par la Russie dans les régions ukrainiennes de Donetsk, Lougansk, Kherson et Zaporijjia.
A noter que l’armée russe contrôle actuellement près de 20 % du territoire ukrainien, soit près de 110 000 km². Ce qui correspond à plus de 240 fois la taille de la superficie contrôlée par l’Ukraine en Russie qui est d’à peine 450 km². De plus, l’Ukraine ne contrôle que quelques zones rurales, la plus grande ville, Soudja, ne comptant que 6 000 habitants avant la guerre. Quand la Russie contrôle des grandes villes et même des régions entières côté ukrainien.
En revanche, Kiev et ses alliés européens réclament pour leur part un retour complet de l’Ukraine dans ses frontières d’avant 2014. Une position que le ministre américain de la Défense Pete Hegseth avait qualifiée en février d’ « irréaliste ».
De la politique du « donnant-donnant »
D’autre part, Vladimir Poutine aurait, selon les révélations du Financial Times, proposé aux Etats-Unis d’arrêter son invasion de l’Ukraine et de geler la ligne de front actuelle.
Selon le quotidien britannique, le maître du Kremlin aurait formulé cette proposition pendant une rencontre à Saint-Pétersbourg début avril avec l’émissaire américain Steve Witkoff, dans le cadre des tractations internationales en cours pour un cessez-le-feu en Ukraine.
Ainsi, Moscou aurait proposé de cesser les hostilités et de geler le front en renonçant à sa revendication de prendre le contrôle de la totalité des régions de Donetsk, Louhansk, Kherson et Zaporijjia, dont elle occupe déjà de vastes secteurs. Et ce, en échange de la reconnaissance par les Etats-Unis de la souveraineté de la Russie sur la péninsule de Crimée, annexée en 2014, et la non-adhésion de l’Ukraine à l’Otan.
Selon les observateurs occidentaux, il s’agit d’un changement de posture majeure : Moscou ayant toujours maintenu que l’annexion de la Crimée ainsi que celle des territoires occupés dans le sud et l’est de l’Ukraine était « non négociable ». Le Kremlin a de facto « fait des concessions » sur des territoires arrachés militairement à l’Ukraine pour obtenir en échange une reconnaissance américaine de l’annexion de la Crimée.
Enjeux stratégiques
Rappelons à cet égard que l’annexion de la Crimée en 2014 répond à des enjeux militaires, géopolitiques, économiques et émotionnels majeurs pour le Kremlin. D’abord, la Crimée abrite la base navale de Sébastopol, l’un des ports les plus importants pour la flotte russe de la mer Noire. Ce port est vital car il permet à la Russie de maintenir une présence militaire dans des zones clés comme la Méditerranée ou le Moyen-Orient. C’est aussi l’un des rares ports russes à ne pas geler en hiver.
Ensuite, cette région est située au carrefour de l’Europe, du Caucase et du Moyen-Orient. En s’en emparant, la Russie renforce sa position face à l’OTAN et empêche l’Ukraine de se rapprocher trop vite de l’Union européenne ou de l’Alliance atlantique.
Enfin, la Crimée a également une dimension émotionnelle et historique pour les Russes. Elle faisait partie de la Russie jusqu’en 1954, date à laquelle elle a été transférée à l’Ukraine par Khrouchtchev. Beaucoup de Russes considéraient encore la Crimée comme « leur territoire », d’autant plus qu’une grande partie de la population y parle russe. Pour le Kremlin, c’était une manière de jouer sur la fibre patriotique et de rassembler l’opinion publique autour d’un projet national.
Monnaie de singe
D’autre part, et parallèlement aux « concessions russes », le président américain aurait formulé la semaine dernière à Paris des « propositions de paix » à Kiev, selon le Wall Street. A savoir : la reconnaissance américaine de la Crimée comme russe et la consolidation des autres territoires occupés sous contrôle russe. En échange, l’Ukraine renoncerait à entrer dans l’Otan, mais pourrait intégrer l’Union européenne. Kiev bénéficierait également de garanties de sécurité et d’un soutien financier massif à la reconstruction.
Pour le président ukrainien Volodymyr Zelensky, cela équivaut à être payé en monnaie de singe : à ses yeux, les propositions américaines ressemblent davantage à une capitulation. Avec le déshonneur en plus.
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