La Banque européenne d’investissement (BEI) envisage d’orienter sa coopération future avec la Tunisie vers trois axes stratégiques : l’efficacité énergétique, la réduction des pertes en eau potable et la modernisation du réseau ferroviaire. Dans un entretien accordé à l’agence TAP, Jean-Luc Revéreault, représentant de la BEI en Tunisie, a réaffirmé l’engagement de l’institution à financer ces projets, en accord avec les priorités fixées par le gouvernement tunisien dans le cadre du plan de développement 2026-2030.
« Les économies d’énergie, combinées à des investissements en énergies renouvelables, pourraient permettre à la Tunisie d’atteindre une autonomie énergétique tout en attirant de nouveaux investissements stratégiques comme les data centers », a-t-il souligné. Le projet d’efficacité énergétique, actuellement en discussion avec les autorités tunisiennes, s’annonce comme un chantier prioritaire, à fort potentiel de retour sur investissement.
En parallèle, un vaste programme de lutte contre la déperdition d’eau potable est à l’étude, en partenariat avec la SONEDE. Il prévoit notamment le renouvellement des réseaux de distribution et l’installation de compteurs intelligents, en ciblant d’abord les zones urbaines disposant de stations de dessalement, où la perte d’eau représente un coût particulièrement élevé.
Un troisième chantier concerne la mobilité ferroviaire. La BEI négocie avec la SNCFT un projet de réhabilitation de plusieurs lignes inexploitées, ainsi que la modernisation de lignes existantes. D’autres partenariats sont également envisagés, notamment avec le ministère de la Santé, pour améliorer les infrastructures hospitalières publiques.
60 % des PME tunisiennes confrontées à la concurrence : un appui renforcé de la BEI
La BEI accorde une attention particulière au tissu économique tunisien, en particulier aux PME. Une enquête réalisée en 2025 dans le cadre du programme « Trade and Competitiveness Programme » (TCP), cofinancé par l’Union européenne, révèle que 60 % des PME interrogées sont confrontées à une concurrence accrue, notamment internationale et régionale. Si le financement demeure un enjeu, c’est surtout le déficit de compétitivité qui freine leur capacité à se développer à l’étranger.
Face à ce constat, la BEI déploie plusieurs instruments. D’abord, une ligne de crédit de 170 millions d’euros sera bientôt opérationnelle pour soutenir la relance des PME et des entreprises de taille intermédiaire. Ce financement est accompagné d’une assistance technique de 8 millions d’euros offerte par l’Union européenne, au profit des intermédiaires financiers et des entreprises bénéficiaires.
En complément, une ligne de garantie de 8 millions d’euros a été mise en place auprès de deux banques tunisiennes, la BH Bank et l’UBCI. Objectif : partager le risque avec les banques locales pour stimuler le financement de projets innovants, mais souvent jugés trop risqués.
Trois secteurs clés ciblés pour l’intégration dans les chaînes de valeur mondiales
Le deuxième pilier du programme TCP repose sur un accompagnement technique direct des entreprises. La BEI prévoit de mobiliser des consultants pour assister plusieurs centaines d’entreprises tunisiennes dans leur processus d’exportation et d’intégration aux chaînes de valeur mondiales. Trois secteurs stratégiques sont ciblés : l’agriculture, le textile et l’automobile.
Cette approche vise à mieux préparer les entreprises aux exigences des marchés extérieurs, notamment en matière de normes environnementales et d’efficacité énergétique. Le mécanisme européen d’ajustement carbone aux frontières, dont l’application devient imminente, représente en effet un défi de taille pour les exportateurs tunisiens.
Actuellement, la BEI est l’un des partenaires financiers les plus actifs en Tunisie. Dans le secteur des transports, elle finance ou cofinance des projets majeurs comme la mise en 2×2 voies de la RR27 entre Nabeul et Korba, l’élargissement de la route nationale GP13 entre Sfax et Kasserine, le Réseau Ferroviaire Rapide (RFR) et la modernisation de la ligne TGM.
En matière énergétique, elle participe activement à la transition énergétique du pays. Elle soutient le développement des énergies renouvelables, le renforcement des réseaux électriques, ainsi que la liaison Tunisie-Italie, bénéficiant d’une subvention de plus de 300 millions d’euros de la Commission européenne. Un projet d’étude sur le stockage d’énergie à Tabarka, via une station de transfert par pompage, est également financé.
Dans le secteur de l’eau, la BEI appuie les efforts de la SONEDE et de l’ONAS en matière d’approvisionnement et d’assainissement. Elle participe aussi à l’amélioration des infrastructures sociales à travers des projets de construction d’écoles et de rénovation urbaine, en coordination avec l’Union européenne.
Un projet pilote de traitement et de valorisation des déchets a été lancé dans les communes de La Marsa, Sidi Bou Saïd et Carthage. Si cette initiative s’avère concluante, elle pourrait déboucher sur une coopération élargie avec l’ANGED.
Alléger les contraintes pour libérer le potentiel du secteur privé
Selon Jean-Luc Revéreault, les efforts actuels pour améliorer le climat des affaires doivent aller plus loin. Si les institutions d’investissement et les banques locales jouent leur rôle, il estime que le véritable enjeu réside dans la libéralisation du secteur privé. Il plaide pour une réduction des contraintes administratives, fiscales et réglementaires qui compliquent encore le parcours entrepreneurial.
Par ailleurs, l’amélioration de la logistique et la baisse des coûts de l’énergie restent des leviers essentiels pour renforcer la compétitivité des entreprises tunisiennes. Des investissements ciblés dans les infrastructures logistiques et les énergies renouvelables pourraient offrir à la Tunisie des perspectives plus durables de croissance et d’attractivité.