Bien qu’elle ait condamné l’invasion russe lors des votes aux Nations unies, l’Arabie saoudite a maintenu des liens solides avec Moscou, notamment à travers l’alliance OPEP+ qui régule la production pétrolière. Parallèlement, Riyad entretient des relations stratégiques avec Washington, étant un allié historique des États-Unis au Moyen-Orient. Cette double casquette en fait un médiateur incontournable sur la scène internationale.
Incontestablement, il s’agit d’un coup d’éclat diplomatique pour l’Arabie saoudite. Le royaume richissime du Golfe – qui vient d’accueillir sur son sol des rencontres entre le secrétaire d’État américain Marco Rubio et son homologue russe Sergueï Lavrov, afin de préparer d’éventuelles négociations relatives au règlement de la guerre en Ukraine et à l’organisation d’une rencontre entre Vladimir Poutine et Donald Trump – aspire à jouer également un rôle d’intermédiaire dans la négociation d’un accord visant à mettre fin à la guerre en Ukraine. De même, Riyad pourrait abriter le mois prochain un sommet inédit entre l’hôte de la Maison Blanche et le maître du Kremlin. Qui dit mieux ?
Revanche
Pourtant, d’autres pays, dont la Serbie et la Suisse, se sont aussi portés candidats pour organiser les rencontres entre Russes et Américains. Toutefois, le maître du Kremlin aurait décliné ces offres, de crainte qu’une rencontre dans le Vieux continent favorisent davantage l’Ukraine, en raison du soutien apporté à Kiev par de nombreux États européens.
Que de chemin parcouru par Mohamed Ben Salman (MBS), le prince héritier et dirigeant de facto du royaume wahhabite, passé, par miracle, de paria infréquentable pour son rôle présumé dans l’assassinat du journaliste Jamal Khashoggi, à un médiateur incontesté entre grandes puissances !
Neutralité
Mais pourquoi le choix de l’Arabie saoudite comme hôte de la réunion entres Russes et Américains alors qu’elle n’est pas directement impliquée dans la guerre en Ukraine ?
Selon les observateurs, hormis que les négociations entre puissances mondiales nécessitent souvent des terrains neutres pour favoriser des discussions diplomatiques loin des pressions directes des conflits, le choix de ce pays du Golfe s’explique par le fait que MBS entretient simultanément des relations particulières avec le président Donald Trump depuis son premier mandat et de bonnes relations personnelles avec Vladimir Poutine dans le cadre de l’accord dit Opep+, regroupant les 14 pays de l’Opep et 10 autres pays producteurs de pétrole dont la Russie.
Sans oublier, et c’est un argument de taille, Riyad a eu la sagesse depuis le début de la guerre en Ukraine d’adopter une posture de neutralité en évitant soigneusement de critiquer la Russie tout en refusant de s’associer aux sanctions occidentales.
Concernant la guerre en Ukraine, le prince héritier saoudien avait fait montre de sa disponibilité en matière de médiation en parvenant, fin septembre 2022, à faire libérer dix prisonniers de guerre transférés de Russie en Arabie saoudite dans le cadre d’un échange de prisonniers entre Moscou et Kiev.
Il avait également reçu le président ukrainien Volodymyr Zelensky en mai 2023 lors du sommet de la Ligue arabe à Djeddah; puis en août suivant, il avait organisé une réunion sur l’Ukraine rassemblant une quarantaine de pays, à l’exception de la Russie, pour discuter d’un « plan de paix » ukrainien.
Poutine ne risque rien
Pour le Kremlin, le choix de l’Arabie saoudite n’est pas anodin. Le royaume n’ayant ni signé ni ratifié le Statut de Rome instituant la Cour pénale internationale, Vladimir Poutine ne risque rien s’il décide de s’y rendre. Sachant qu’il est visé par un mandat d’arrêt depuis le 17 mars 2023 pour crimes de guerre, dans le contexte du conflit en Ukraine. Il est accusé d’avoir organisé l’enlèvement, la déportation et l’adoption forcée d’enfants ukrainiens. Dans ces conditions, si le président russe se rend sur le territoire d’un État membre de la CPI, celui-ci est tenu de l’arrêter et de le transférer afin qu’il soit traduit en justice.
Les calculs pernicieux de Washington
Comme le dit le proverbe tunisien, « chacun a son propre Satan dans la poche ». Ainsi, conscient que l’Arabie saoudite – riche en pétrole brut, dont elle est la première productrice de l’OPEP en 2024, et qui possède les clés de la politique moyen-orientale -, Donald Trump veut pousser le pays le plus puissant de la péninsule arabique à normaliser ses relations avec Israël, dans l’espoir de mettre un terme aux conflits au Moyen-Orient.
D’autre part, le sommet de Riyad peut également permettre à la Maison Blanche de gérer « la prise de possession » de Gaza pour en faire « la Riviera du Moyen-Orient », quitte à pousser à l’exode forcé ses deux millions d’habitants vers l’Égypte et la Jordanie ; un projet totalement fou au centre de vives tensions entre Washington et l’ensemble du monde arabe sur lequel l’Arabie saoudite, en maître de jeu, pourrait faire pencher la balance d’un côté ou de l’autre.
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