La dimension sociale dans le projet de budget de l’année 2026 a été remarquablement dominante dans l’exposé de la ministre des Finances, Michket Slama Khaldi, jeudi, devant la Commission mixte du budget et des finances, regroupant des députés de l’Assemblée des représentants du peuple et des élus du Conseil national des régions et des districts.
La discussion s’inscrivait dans le cadre des débats budgétaires qui ont démarré lundi dernier en commissions et devraient se poursuivre tout au long du mois de novembre, dans le cadre d’un marathon qui devrait prendre fin le 10 décembre prochain.
La Presse — Prenant la parole à l’ouverture des travaux, la ministre des Finances à, d’emblée, rappelé que l’élaboration du projet de budget de 2026 s’inscrivait dans le cadre d’une «vision nationale globale qui consacre la volonté de bâtir, sur la base de la consécration des principes constitutionnels et de la justice sociale, de la mise en place d’un système fiscal équitable, de respecter le principe du compter-sur-soi et de l’indépendance de la prise de décision nationale».
Selon la ministre, l’économie tunisienne devrait réaliser un taux de croissance de 3,3% en 2026, la valeur du dinar tunisien, qui devrait se stabiliser par rapport aux principales devises étrangères, et la baisse des cours des matières premières, en l’occurrence le pétrole, estimée à 63,3 dollars en moyenne, devraient constituer un environnement favorable pour atteindre les objectifs visés.
Les recettes du budget 2026 s’élèveront, selon les prévisions, à 52.560 millions de dinars, selon la ministre, dont 90,9 % de recettes fiscales, 8,4% de recettes non fiscales et des participations et des dettes à hauteur de 0,7%.
Quant aux dépenses, elles s’élèvent à 63.575 millions de dinars, dont 39,7% sont consacrés aux salaires, 15,4% aux subventions et 18,8% au développement. D’où un déficit budgétaire de 11.365 MD qui représentent 6% du PIB, contre 5,6% en 2025 et 6,4% en 2024.
Pas moins de 63,4% des dépenses sont à caractère social, selon Michket Slama Khaldi.
Dans cet ordre d’idées, la ministre a annoncé l’ouverture des recrutements dans la fonction publique en 2026 (22.523 postes), ainsi que la poursuite de l’intégration et de la régularisation des enseignants suppléants (13.837 postes) et la réalisation de la première tranche du programme de recrutement des détenteurs de doctorat (1.350 postes).
La ministre des Finances a réitéré l’intention du gouvernement de procéder à des majorations salariales au cours des années 2026, 2027 et 2028 et l’allocation de 1.000 millions de dinars dans le cadre des dépenses consacrées aux urgences, non utilisées.
Le programme du gouvernement comprend des lignes de financement pour encourager l’initiative, notamment en faveur des catégories à revenu limité, des diplômes et des sociétés communautaires…
Les entreprises communautaires bénéficieront d’une ligne de financement de 35 millions de dinars en plus d’une prime de solidarité de 2 millions.
Concernant les familles à revenu limité, la solidarité sociale et l’objectif de garantir les droits fondamentaux et une vie digne pour tous, le projet de budget prévoit une enveloppe de 4.663 millions de dinars.
Les pensions minimales seront, par ailleurs, portées à 280 dinars par mois contre 260 actuellement, avec un coût global estimé à 260 millions de dinars.
D’autres mesures sont également prévues en faveur de la femme, de l’enfance et des personnes âgées, pour consolider la couverture sociale et en vue d’améliorer l’accès à un logement décent pour les catégories faibles, moyennant la technique de location-vente.
Concernant le pouvoir d’achat, la ministre a affirmé que l’Etat n’a nullement l’intention de supprimer le système de compensation.
Pas moins de 9.772 millions de dinars seront consacrés aux subventions, dont 4.993 MD aux hydrocarbures, 4.079 aux produits de base et 700 MD au transport en commun, dont le transport scolaire et le transport à tarif réduit ou gratuit pour certaines catégories.
Concernant les dépenses de développement, le projet de budget prévoit la somme de 11.934 millions de dinars, soit une hausse de 12,4% par rapport à 2025.
Les députés pointent plusieurs paradoxes
Les chiffres ainsi exposés, les députés ont pointé un certain nombre de paradoxes. En premier lieu, ils ont relevé la faiblesse des dépenses réservées aux projets de développement, alors que le gouvernement accorde une priorité à la création d’emplois.
Ils se sont également interrogés sur l’intention de recourir à l’endettement, entre autres, extérieur, alors que l’exécutif prône le principe du «compter-sur-soi». Un autre point soulevé de nouveau : comment veut-on optimiser nos dépenses, alors qu’on «dilapide» de l’argent public pour soutenir des entreprises publiques mal gérées ou en faillite.
On veut miser sur l’Etat social et solidaire, alors qu’on augmente les taxes. Une pression fiscale de 25% « est trop élevée », a-t-on jugé. Certains députés ont reproché au gouvernement de vouloir appauvrir le peuple par une contribution élevée (90%) des recettes fiscales dans le financement du budget.
La question des subventions a également été évoquée avec acuité, des élus de la nation considérant que le secteur touristique, avec 11 millions de visiteurs, consomme les produits subventionnés au même titre que les Tunisiens, aux frais du contribuable.
Enfin, certains intervenants ont soulevé le décalage entre les slogans scandés pour instaurer un Etat social, et la réalité du vécu quotidien, marquée par la hausse des prix, les pénuries de certaines denrées comme l’huile subventionnée, le sucre, etc.
Bien d’autres insuffisances ont été relevées aussi bien au niveau régional que sectoriel, appelant le ministère à donner des explications et à rompre avec l’ancien modèle, lui reprochant l’absence de vision…
En réponse à toutes ces interrogations, la ministre Michket Slama Khaldi a apprécié la qualité des interventions, affirmant que la plupart d’entre elles soulèvent des problèmes qui ne peuvent être résolus dans un programme qui ne couvre que 12 mois et que l’occasion se présentera pour les discuter à l’occasion du projet du plan quinquennal 2026-2030, dont les contours ont été tracés par le Chef de l’Etat.
Elle a également reconnu l’existence de problèmes structurels touchant plusieurs régions et qui nécessite plus de travail et de moyens. Dans de nombreux secteurs, un travail colossal a été accompli et «nous allons continuer de travailler, pour atteindre les objectifs ».
«Nous avons une orientation sociale qui fait l’objet de consensus. Mais j’admets que ce n’est pas un choix facile», a-t-elle indiqué.
«Il y a, sans doute, des insuffisances. Mais il y a une volonté de mener des réformes. Il y a une solidarité qui doit être entretenue entre nous tous, afin de pouvoir relever les défis.
Il n’y a pas une région meilleure qu’une autre, il n’y a pas un citoyen inférieur à un autre… », a-t-elle expliqué, rejetant la critique au sujet de l’Etat qui voudrait entretenir la pauvreté. «Ce n’est pas vrai !», a-t-elle déclaré.
«Nous voulons, en revanche, que tout le monde travaille. Il y a des efforts qui continuent d’être fournis pour trouver des solutions à toutes les situations précaires», a-t-elle rassuré, soulignant que les réformes «nécessitent des moyens, de l’argent».
«Nous avons des moyens, certes, mais ils ne sont pas suffisants. Nous avons besoin de faire des optimisations et nous avons besoin de coopération, dont celle des deux Chambres et du secteur privé», a-t-elle ajouté.
Concernant les entreprises publiques, la ministre des Finances a rappelé que beaucoup d’entre elles avaient intégré des demandeurs d’emploi, à la demande du gouvernement, au détriment de leur équilibre financier.
Certaines d’entre elles étaient bénéficiaires et versaient leurs bénéfices à l’Etat. «Aujourd’hui, il n’est pas aussi facile de les fermer qu’on ne le pense. Dans ces entreprises il y a des chefs de famille qui ont des responsabilités et des engagements. Ne pensez-vous pas que les mettre à la porte créerait une autre crise sociale ? Est-ce compatible avec la dimension sociale de l’Etat», a-t-elle interrogé.
En tant qu’Etat, «nous avons l’obligation d’encourager les entreprises qui réussissent, d’aider celles en difficulté et d’évaluer en cas d’échec », a-t-elle martelé.
«Nous devrions avancer ensemble !», a-t-elle conclu.
Lassâad BEN AHMED
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