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Décès de Hamida Ben Ammar, figure pionnière du cinéma documentaire tunisien

18. Dezember 2025 um 11:25

Le célèbre réalisateur tunisien Hamida Ben Ammar s’est éteint lundi 15 décembre 2025, à l’âge de 84 ans, suite une carrière prolifique qui a marqué de son empreinte le cinéma documentaire tunisien.

Le ministère des Affaires culturelles a déploré mardi dans un communiqué le décès du réalisateur, considéré comme l’un des plus éminents pionniers du film documentaire en Tunisie. Le ministère a affirmé que la scène culturelle perd ainsi l’une de ses figures majeures, un homme qui a contribué de manière significative à la documentation de la mémoire nationale grâce à sa profonde vision artistique.

Né en 1941 à Akouda dans le gouvernorat de Sousse, Hmida Ben Ammar a consacré l’essentiel de son œuvre au cinéma documentaire. Il a maîtrisé cet art et s’est distingué par une perspective humaniste et esthétique qui a fait de lui l’un des réalisateurs les plus profondément engagés dans les transformations historiques et culturelles de la société tunisienne. Cette vision lui a permis de créer un univers cinématographique unique, alliant rigueur documentaire et profondeur artistique.

Parmi les œuvres les plus marquantes qui ont jalonné sa carrière et façonné sa personnalité artistique figurent les films “Calligraphie arabe” (1971), “Les Journées cinématographiques de Carthage – JCC 68” (1968), “La Zitouna au cœur de Tunis” (1982) , parmi d’autres qui ont contribué à enrichir et mettre en valeur le patrimoine audiovisuel national.

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CIFF 2025 – Namir Abdel Messeeh, l’intime en partage : « La vie après Siham »

26. November 2025 um 12:00

Un voyage à travers les festivals

Présenté pour la première fois à Cannes, dans la sélection de l’ACID, La Vie après Siham de Namir Abdel Messeeh a depuis entamé un long parcours international. Arrivé en Égypte, à El Gouna, le film a remporté deux distinctions – le Prix du meilleur documentaire et celui du meilleur documentaire arabe – avant d’être présenté hors compétition au Festival international du film du Caire, lors de sa 46ᵉ édition (12 au 21 novembre 2025), dans la section « Projections spéciales ».

D’une enfance entre Paris et l’Égypte à une œuvre profondément intime

Ce film profondément personnel, à la fois journal de deuil, geste de fidélité et exploration de la mémoire, prolonge la démarche d’un auteur qui, depuis ses débuts, n’a cessé de sonder la frontière entre la vie et le cinéma. Né à Paris en 1974 dans une famille copte égyptienne, formé à la FEMIS, Namir Abdel Messeeh a toujours fait dialoguer ses deux mondes : la France où il a grandi et l’Égypte dont il porte la mémoire.

Toi, Waguih et La Vierge, les Coptes et moi : les premières pierres d’un triptyque

Après le court métrage Toi, Waguih (2005), consacré à son père, il s’était fait connaître avec La Vierge, les Coptes et moi (2011), sélectionné à Cannes à l’ACID et récompensé du Tanit d’argent documentaire aux Journées Cinématographiques de Carthage en 2012. Ce film, à la frontière du documentaire et de la fiction, posait déjà les questions qui traversent toute son œuvre : comment filmer ses proches, comment faire du cinéma avec eux, sans les trahir ni les enfermer.

Filmer les siens pour interroger la foi, le cinéma et l’héritage

Dans La Vierge, les Coptes et moi, Namir Abdel Messeeh filmait déjà sa propre famille. Parti dans le village de ses parents, il interrogeait les récits d’apparitions de la Vierge Marie tout en filmant sa mère, ses oncles, ses tantes et les habitants du village. En cherchant à comprendre ces phénomènes, il signait un film à la fois spirituel, drôle et lucide, où la quête de vérité religieuse se mêlait à une réflexion sur le cinéma lui-même. En mêlant documentaire et reconstitution, sérieux et humour, il s’y mettait déjà en scène, interrogeant sa place de cinéaste, de fils et d’héritier. Ce geste intime, où l’autodérision côtoie la tendresse, annonçait déjà La Vie après Siham.

La Vie après Siham, un récit de deuil et de transmission

Ce nouveau film s’inscrit dans cette même continuité. Huit ans après la mort de sa mère, Siham, puis celle de son père, Waguih, le cinéaste se retrouve face à un double deuil et à une promesse : raconter leur histoire. De ce serment naît un film de mémoire et de transmission, où le réalisateur convoque des images d’archives, des séquences filmées en Égypte et en France, et des extraits de films de Youssef Chahine pour tisser un récit à la fois intime et universel.

Au Caire, l’émotion d’un retour symbolique

Lors de la projection au Caire, l’émotion était palpable. Pour Namir Abdel Messeeh, montrer ce film dans le pays de ses parents avait une résonance particulière : « C’était la première fois que je voyais la version arabe de La Vie après Siham avec le public égyptien, et c’était angoissant pour moi », confie-t-il. « Chaque projection a été différente : en Égypte, en Espagne, en Allemagne, en France… À chaque fois, les réactions changeaient. »

Il se souvient : « Au Caire, le public a applaudi à plusieurs reprises, en plein milieu du film. C’est quelque chose que je n’avais jamais vécu ailleurs. En Allemagne, les gens m’ont dit qu’ils avaient aimé, mais leurs émotions restaient plus silencieuses. Et c’est ça, la force du cinéma : chaque projection a sa propre vie, influencée par le lieu, la taille de la salle, le nombre de spectateurs. »

Cette projection au Caire, entre compatriotes, amis et proches, avait valeur de retour symbolique. « Je suis né en France, mais je suis égyptien. Mon père et ma mère sont restés égyptiens même après avoir émigré en France. Ils n’ont jamais renié leur égyptianité, même s’ils ont été enterrés là-bas. Et moi aussi, je suis égyptien. C’est pour cela que j’ai voulu raconter cette histoire, cette hadouta masreya (clin d’œil à Youssef Chahine ?!). »

Une rencontre avec les étudiants : pourquoi et comment filmer ?

Après la projection, le réalisateur a animé une rencontre intitulée La vie après Siham : construire la mémoire à travers le documentaire (étude de cas), essentiellement destinée aux étudiants en cinéma, où il a livré un témoignage dense, empreint d’humour et d’émotion, sur sa relation au cinéma, à ses parents et à lui-même.

CIFF 2025
Namir Abdel Messeh

Des tournages insatisfaisants à la découverte de son véritable sujet

« J’ai étudié le cinéma en France et pendant mes études, j’ai tourné des films, mais je n’en étais jamais satisfait. J’ai compris qu’un film doit dire quelque chose de toi. Les miens ne disaient rien de moi. » Cette réflexion, à la fois simple et décisive, marque pour lui un tournant.

Il raconte ses débuts : « Même après l’école, j’ai fait un court métrage, mais je n’étais toujours pas content. J’ai senti qu’en filmant, j’avais face à moi quarante personnes que je ne connaissais pas. J’avais pris du temps pour écrire un scénario, et je me trouvais face à des étrangers, comme s’ils me volaient quelque chose. J’ai compris qu’il fallait que je filme des gens que j’aimais, des gens que je connaissais. »

Cette prise de conscience change son regard : « J’ai arrêté de me demander : qu’est-ce que je veux raconter ? et j’ai commencé à me demander : qui est-ce que je veux filmer ? La réponse m’est venue instinctivement : je voulais filmer mon père. »

Filmer le père : un refus, dix mois de supplications et un film de relation

Son premier film sur son père est né presque par hasard. « J’avais déposé un projet à un concours et je l’avais oublié. Un jour, j’ai appris que j’avais gagné un prix de 10 000 euros, à condition de livrer le film en un an. J’ai voulu faire un court documentaire, d’une trentaine de minutes. Mon père a refusé. Il ne comprenait pas pourquoi je voulais le filmer. »

Dix mois de discussions et de supplications s’ensuivent. « J’ai dû le supplier. Et puis, j’ai compris que je devais trouver un moyen de filmer quelqu’un qui refusait d’être filmé. La seule solution, c’était que le film soit sur nous deux. Notre relation devant la caméra. Je devais être là pour le rassurer. »

Cette décision donne naissance à un film d’une nature nouvelle : non plus un portrait, mais une conversation. Le cinéma devient une manière de recréer un lien. « C’est à ce moment-là que j’ai compris que le cinéma pouvait être un moyen d’aimer, de comprendre. »

Sa mère, apprenant le projet, ne cache pas sa jalousie. « Elle m’a dit : pourquoi lui et pas moi ? » racontera-t-il en souriant. Cette remarque, à la fois drôle et sincère, deviendra le point de départ d’un autre film, et d’une réflexion sur la manière de filmer ceux qu’on aime.

Un père cultivé, des désaccords de cinéma et une larme fondatrice

« Ma relation avec les films est plus importante qu’avec les êtres humains. Un film parle, un film communique, un film est émotions… un film est vivant. »
C’est à ce moment précis qu’il découvre ce qu’est un réalisateur : « Et c’est ainsi que j’ai compris qu’il existe quelqu’un qui s’appelle le réalisateur. C’est lui qui raconte cette histoire. Pourquoi et comment ? Un film est le portrait d’un réalisateur. C’est ce qui m’a fait aimer les films. »

Namir Abdel Messeeh évoque souvent son père avec admiration. « Mon père était très instruit : il lisait beaucoup, allait au théâtre, au cinéma. Mais nous n’aimions pas les mêmes films. »

Cette différence de goût nourrit leurs échanges, parfois leurs désaccords. « Il n’a pas aimé La Vierge, les Coptes et moi. Il ne comprenait pas qu’on puisse faire un film pour raconter une personne, ou une famille, ni comment ce film avait pu obtenir des prix. »

Et pourtant, c’est une scène muette de ce père cultivé et pudique qui devient le cœur de son inspiration. « Le jour de sa retraite, il devait faire un discours. Il n’avait pas pu. Une collègue a pris la parole à sa place. J’ai commencé à filmer notre famille et tous nos événements très tôt. Donc ce jour-là, j’étais là, je filmais la fête. Et j’ai filmé une larme qui a glissé sur sa joue. C’est à ce moment-là que j’ai compris que je voulais faire un film pour qu’il puisse dire ce qu’il n’avait jamais dit. »

CIFF 2025
Namir Abdel Messeh
CIFF 2025 – Namir Abdel Messeh lors de la rencontre avec les étudiants

La peur du ridicule et la décision d’assumer sa famille à l’écran

Le réalisateur, en préparant La Vierge, les Coptes et moi, et alors qu’il devait aller filmer sa famille dans leur village, décide d’appeler sa mère via Skype. « J’ai demandé à mon équipe de filmer la conversation sans qu’elle le sache. Elle posait plein de questions. Quand elle a su que j’allais filmer ma famille, elle s’est mise en colère. Elle m’a dit qu’elle allait leur dire de refuser de tourner, qu’elle porterait plainte contre moi s’il le faut. »

« Je ne savais plus quoi faire et je regarde le caméraman, il riait. »

Ce moment, aussi drôle que violent, révèle une peur enfouie. « Ma mère avait peur que les gens se moquent de sa famille, de leur pauvreté, de leur ignorance. » En revoyant les rushs, il comprend que cette peur est elle-même un sujet, et décide de garder cette scène pour son film. « J’ai pris cette responsabilité et j’accepte la réaction des spectateurs. Peut-être que certains se sont moqués d’eux. Peut-être que certains les ont détestés. Mais d’autres les ont aimés, parce qu’ils ont senti que moi, je les aimais. »

Pour lui, filmer quelqu’un, c’est avant tout une question d’amour. « J’ai demandé à Yousry Nasrallah s’il aimait ses acteurs. Il m’a répondu : oui, comme un père. Cet amour est essentiel. Moi, je ne peux filmer une personne que si je l’aime. »

« Je reviens à la question : pourquoi tu fais des films ? Si c’est pour que les gens t’aiment, c’est ton droit. Moi, je veux aimer mes films et les spectateurs sont libres d’aimer ou pas ! »

Cannes : une projection éprouvante, entre fatigue et panique

Quand il évoque La Vie après Siham, la voix du réalisateur se charge d’émotion. « Pendant la projection à Cannes, j’ai pleuré. C’était dans la section ACID, il y avait quatre cents exploitants de salles. C’était le troisième jour, tout le monde était fatigué. »

Il se souvient d’une scène censée être comique : personne n’a ri. Aucune réaction. Aucune réaction jusqu’à la fin. « J’étais assis, et je commençais à paniquer. J’avais ouvert les portes de chez moi et j’y ai invité des inconnus, et je me disais que je ne voulais plus les voir chez moi. Je pleurais aussi parce que pendant dix ans, j’avais travaillé mon film, il était mon bébé et en même temps je sentais ma mère avec moi. Mais c’était fini, je perdais le contrôle de mon film. Je devais accepter que c’était fini : ma mère est morte et le film ne m’appartient plus. Je devais dire adieu à un process, comme si j’avais un enfant qui venait d’atteindre dix-huit ans et qu’il fallait le laisser vivre sa vie, et accepter qu’il allait prendre ses propres décisions. »

Les films de Youssef Chahine comme mémoire collective et refuge

Il en tire une leçon : « Si ton film réussit, tant mieux. Sinon, il faut comprendre les raisons de son échec et apprendre pour mieux faire ensuite. Mon premier court, que j’ai détesté, m’a appris beaucoup de choses. »

Il raconte ensuite comment est née l’idée d’utiliser des extraits des films de Youssef Chahine. « Je ne me rappelle plus exactement comment j’ai eu cette idée, mais j’ai compris que les films de Chahine font partie de notre mémoire collective. En les utilisant, je créais une connexion entre ma mère et les spectateurs. »

Pendant le montage, il réalise que montrer trop de photos de sa mère ne produirait pas l’effet espéré. « Les spectateurs ne la connaissent pas. Ces images ne les toucheraient pas. Mais tout le monde connaît les films de Chahine. Ils font partie de notre inconscient collectif et ces scènes créent un lien et expriment des émotions. »

Il se souvient d’une scène bouleversante : « Ma mère était très malade. Sa bouche était enflée, elle avait du mal à articuler. Elle m’a dit : Namir, tu avais dit que tu irais à Cannes un jour. Tu n’as encore fait aucun film qui y soit allé. Si un jour tu y vas, sache que je serai avec toi et que je te ferai un signe de la main. »

Cette scène, son monteur et lui l’ont revue plusieurs fois, mais elle était insoutenable. « Son visage était trop enflé. Je ne pouvais pas la montrer ainsi. J’ai remplacé cette séquence par des images de Chahine. Elles disaient la même chose, sans la montrer diminuée. »

Dépression, doute et nécessité d’une équipe qui croit au film

Mais La Vie après Siham n’a pas été un film facile à faire. « Après avoir commencé le tournage, j’ai fait une dépression pendant trois ans. J’ai cru que le film ne se ferait jamais. »

C’est son monteur qui l’a poussé à continuer. « Il m’a dit : il te faut un producteur et un scénariste qui croient en toi. » Namir rencontre alors une productrice passionnée, prête à défendre le projet. « Il faut quelqu’un qui ait du recul, qui comprenne ton film et qui te soutienne. »

Faire un film personnel, dit-il, demande de la force et de la patience. « Ce genre de cinéma est difficile, pas seulement pour des raisons artistiques, mais parce qu’il t’oblige à te confronter à toi-même. Il faut accepter d’être fragile. »

Un homme, sa caméra et une famille qui le prend pour un idiot

Le sujet du film, c’est celui d’un type qui, depuis toujours, filme sa famille, toujours, et sa famille le traite d’idiot. C’est comme si la caméra, depuis toujours, était sa mémoire. Ce film a été difficile à trouver. Il a fallu trouver le personnage principal et, contrairement à ce qu’on aurait pu croire, ce n’est pas Siham, c’est Namir. C’est son histoire avec la caméra depuis de très longues années, avant même l’idée de ces films.

Au Caire, devant les étudiants, il parle de cette fragilité avec une franchise rare. « La Vie après Siham est un film douloureux, mais il est aussi plein de vie. Ce genre de sentiments, on passe souvent notre existence à essayer de les éviter. Le film m’a obligé à les affronter. »
Et il conclut simplement : « Filmer, c’est aimer. C’est comprendre. C’est dire adieu sans oublier. »

S’enraciner entre l’Égypte et la France, et transmettre cet héritage

À travers ses trois films, Namir Abdel Messeeh n’a cessé de creuser un même sillon : celui de la mémoire et de l’appartenance. En filmant son père, sa mère, sa famille égyptienne, son village, puis leur souvenir, il a voulu retenir ce qui risquait de s’effacer : les gestes, les voix, les visages, la langue d’un pays quitté mais jamais perdu. Son cinéma s’enracine dans cette Égypte intérieure, transmise par ses parents. Il la porte en lui, au plus profond de son être. Et il cherche à la préserver du temps, comme s’il craignait que ses racines se diluent.

Ce travail de mémoire est aussi une manière de se construire. Français par la naissance et par la vie, égyptien par le sang et par le cœur, il relie ces deux parts de lui-même pour en faire un lieu de passage : un pont entre deux histoires, deux imaginaires, deux façons d’exister. Il documente pour se souvenir, mais aussi pour ne pas rompre la chaîne – pour que le lien continue à vivre à travers les images.

Et lorsque La Vie après Siham referme ce long chapitre de deuil et de transmission, une autre question demeure, suspendue : cet héritage qu’il a sauvé, le transmettra-t-il à son tour ? Ses enfants poursuivront-ils cette œuvre de mémoire, ce dialogue ininterrompu entre les racines et le présent, entre l’Égypte et la France, entre la vie et ce qu’elle laisse ?

Neïla Driss

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CIFF 2025 – Réflexions cinématographiques : un voyage dans les mondes de Nuri Bilge Ceylan

18. November 2025 um 21:31

Dans le cadre de la 46ᵉ édition du Festival international du film du Caire (CIFF), qui s’est déroulée du 12 au 21 novembre 2025, une rencontre exceptionnelle a réuni le cinéaste turc Nuri Bilge Ceylan, président du jury de la compétition internationale, autour d’un panel intitulé « Réflexions cinématographiques : un voyage dans les mondes de Nuri Bilge Ceylan ».

Modérée par le critique Ahmed Shawky, président de la Fédération internationale de la presse cinématographique (FIPRESCI), la rencontre a déroulé lentement le fil d’un parcours singulier, où photographie, littérature, philosophie et expérience intime de la vie se mêlaient pour façonner une œuvre parmi les plus marquantes du cinéma contemporain.

Les membres du jury étaient présents, comme pour rappeler que cette conversation n’était pas seulement un moment de prestige, mais un véritable partage de regard, au cœur même du festival.

Un parcours hors du commun

Né à Istanbul en 1959, Nuri Bilge Ceylan s’est d’abord consacré à la photographie avant de devenir cinéaste. Il a étudié l’ingénierie électrique à l’université du Bosphore, puis le cinéma à l’université Mimar Sinan, à Istanbul. Son premier court métrage, Koza (1995), sélectionné à Cannes, a inauguré une longue relation avec ce festival. Cet événement marquait le début d’une filmographie singulière où la nature, le silence et la contemplation occupent une place centrale.

Avec La Petite Ville (Kasaba, 1997), Nuages de mai (Mayıs Sıkıntısı, 1999), Uzak (2002, Grand Prix du Jury et Prix d’interprétation masculine à Cannes), Les Climats (İklimler, 2006), Les Trois Singes (Üç Maymun, 2008, Prix de la mise en scène à Cannes), Il était une fois en Anatolie (Bir Zamanlar Anadolu’da, 2011, Grand Prix à Cannes), Winter Sleep (Kış Uykusu, Palme d’or 2014), Le Poirier sauvage (Ahlat Ağacı, 2018) et Les Herbes sèches (Kuru Otlar Üstüne, 2023, Prix d’interprétation féminine), Ceylan a bâti une œuvre profondément marquée par une quête existentielle, un sens aigu du cadre et une attention extrême aux paysages humains et naturels.

Photographie et philosophie d’un regard

Son cinéma se distingue par la lenteur maîtrisée de son rythme, l’économie de la parole, l’importance des visages et du silence, et un lien constant avec la littérature. Deux éléments, d’ailleurs, reviennent avec insistance dans sa filmographie : la photographie et la littérature, que le cinéaste aborde comme deux versants d’une même quête du sens.

Nuri Bilge Ceylan revient d’abord sur ses origines d’artiste, en faisant remonter son rapport aux images à l’adolescence. À quinze ans, dit-il, il était « très introverti et solitaire », et la photographie était alors, pour lui, « une passion pour les solitaires ». Cette pratique, loin d’être un simple hobby, devient un refuge et un mode d’observation du monde. Plus tard, vers vingt-cinq ans, il commence à fréquenter assidûment les salles de cinéma et comprend qu’il pourrait, lui aussi, faire du cinéma. Il achète une caméra, tourne seul, monte seul, filme la campagne où il vit, la nature, les visages qui l’entourent. Peu à peu, il s’entoure de quelques collaborateurs, puis d’une petite équipe de tournage, sans jamais renoncer à cette proximité très physique avec l’image. Même aujourd’hui, rappelle-t-il, ses plateaux restent réduits : six ou sept personnes, pas davantage.

Sa réflexion, telle qu’il la formule au Caire, rejoint ce qu’il affirme par ailleurs : tout ce qu’il fait en photographie ou en cinéma procède d’« une seule et même vision philosophique ». Il précise que chaque image qu’il capture porte, pour lui, « le même noyau » que celles de ses films. L’art, dit-il, « ne se divise pas » : il est prolongement spirituel et intellectuel d’une même quête, une « recherche permanente de sens ». Ses séries de photographies, exposées dans des musées ou galeries, partagent avec son cinéma un même souffle contemplatif, un soin extrême apporté à la composition, une langue visuelle calme et retenue qui s’attache aux détails minuscules, à ces fragments de réalité qui finissent par constituer le cœur de son expérience artistique.

Le cinéma comme exploration de l’âme

Ceylan refuse de considérer le cinéma comme de simples « images en mouvement ». Il y voit une occasion de consigner les instants les plus précis de l’existence, de braquer la lumière sur l’expérience humaine avec une profondeur philosophique et une sensibilité aiguë. Son style réaliste, patient, et ses images empreintes de poésie visuelle sont autant de moyens d’explorer l’âme humaine et sa relation au monde. Ce qui frappe, dans ses propos, c’est cette manière de revenir constamment à l’humain, jamais à la démonstration : il ne revendique ni une théorie, ni une école, mais un regard, nourri par la solitude, la lecture, la photographie et l’observation.

Les débuts : filmer l’intime pour atteindre l’universel

Au fil de la rencontre, Nuri Bilge Ceylan esquisse deux grandes phases de son œuvre. Il se souvient de ses débuts, films très intimes tournés avec sa famille, des proches, des acteurs non professionnels, dans des environnements qui lui sont familiers. Il estime que cette étape est presque incontournable : il fallait d’abord se confronter à soi-même, apprendre à se connaître, avant de pouvoir aborder des récits plus complexes. Les films suivants s’ouvrent à d’autres horizons, les récits s’étoffent, se densifient, gagnent en complexité philosophique. Pourtant, insiste-t-il, il ne s’intéresse pas aux histoires en tant que telles : « Les histoires ne m’intéressent pas, je préfère les questions. » Ses films sont moins des récits que des terrains de recherche, des lieux où l’on fait l’épreuve du doute, où l’on confronte des personnages à des interrogations auxquelles lui-même ne sait pas toujours répondre.

Créer dans le doute et la lenteur

Son rapport au temps de la création est à l’avenant. Une fois un film terminé, il lui faut souvent une année pour s’en remettre, et il ne pense pas immédiatement au suivant. Aucun « tiroir » rempli de projets en attente : quand un film se termine, le suivant n’existe pas encore. Puis, un jour, l’élan revient, sans qu’il puisse dire pourquoi ni comment, et il se remet à écrire. Il l’avoue, non sans ironie : il n’est pas naturellement très motivé, il se « pousse » lui-même à faire un nouveau film. Tous les jours, dit-il encore, l’idée d’arrêter le traverse ; mais il ne voit pas ce qu’il ferait d’autre de sa vie. Ce mouvement de va-et-vient entre lassitude, doute et nécessité d’avancer irrigue l’ensemble de son discours.

Cette dynamique se double d’un travail d’écriture à deux voix, notamment avec son épouse, qui participe au scénario. Les idées circulent, les discussions s’enchaînent, et les désaccords sont fréquents, en particulier autour des dialogues. Il ne s’en plaint pas : ces disputes, au contraire, font avancer le film. L’écriture, pour lui, n’est pas un geste solitaire figé mais une confrontation, une mise à l’épreuve.

Il explique aussi qu’il aime écrire des histoires à première vue simples, qui lui permettent de pousser dans le détail les questions qu’il se pose lui-même lorsqu’il est seul. Ces questionnements, confie-t-il, ressemblent parfois à une forme de thérapie : il interroge, cherche des réponses, plonge si profondément dans certaines réflexions qu’il se retrouve parfois incapable de les exprimer entièrement.

L’acteur, partenaire du doute

Le cinéaste raconte également le chemin qu’il a parcouru avec les acteurs. Il dit avoir un rapport très particulier au casting : aucun préjugé au départ, seulement une idée du personnage. Il filme différents acteurs, professionnels ou pas, monte les images, observe la chimie qui se crée entre eux, recompose les groupes pour voir ce qui fonctionne le mieux. Le doute ne le quitte pas : au début d’un tournage, il a toujours peur de ne pas avoir choisi les bons interprètes. Il tient à ne pas surcharger ses comédiens de répétitions : une seule lecture du scénario lui suffit, il ne souhaite pas multiplier les essais, de peur de finir par détester son propre film. Ce qu’il demande, en revanche, est très clair : une mémorisation rigoureuse des dialogues, car sa confiance dans les acteurs repose sur cette précision. Toutefois, au fil des années, ses dialogues se sont affinés, densifiés, ce qui rend plus difficile le recours à des non-professionnels ; d’où, de plus en plus souvent, le choix de comédiens expérimentés.

Il évoque aussi cette expérience singulière où il a lui-même joué dans l’un de ses films. Il le dit sans détour : il a détesté être acteur. Sa timidité en faisait une épreuve. Mais cette tentative lui a permis de mieux comprendre ce que ressent un interprète devant la caméra, et donc de mieux les diriger par la suite. Là encore, l’expérience personnelle se transforme en outil de mise en scène, en savoir pratique.

Le climat, la nature et le silence

L’un des axes majeurs de son travail tient à sa relation au climat, aux saisons, à la nature. La météo, pour lui, n’est pas une donnée secondaire : elle influence sa manière de filmer, et il la considère comme un élément dramatique à part entière. Le choix d’un hiver neigeux, d’un été écrasant, d’un automne pluvieux n’est pas décoratif : il reflète la réalité, les conditions concrètes de la vie, et devient un élément puissant de la narration. Ce rapport au climat traverse toute sa filmographie, jusqu’à donner son titre à l’un de ses films les plus emblématiques. Les paysages d’Anatolie, les routes désertes, les villages isolés deviennent ainsi des personnages silencieux, mais omniprésents.

L’humiliation, une blessure intime et universelle

Un autre motif traverse ses films avec insistance : l’humiliation. Nuri Bilge Ceylan ne cherche pas à en faire mystère. Il explique qu’il déteste être humilié, qu’il en a peur, que cela touche probablement à une blessure intime. Lorsqu’un personnage est humilié, dit-il, il révèle des aspects cachés de lui-même, il réagit, se transforme ; l’humiliation devient une épreuve qui permet de le cerner mieux. Il cite Dostoïevski, qui a lui aussi beaucoup travaillé ce thème. Et il établit un lien entre cette obsession et le monde contemporain : aujourd’hui, l’humiliation passe aussi par les réseaux sociaux, elle peut prendre mille formes, s’étaler en public, changer la trajectoire d’une vie. Enfant, il a grandi dans une toute petite ville, sans accès à ce qui se passait ailleurs. Le monde était réduit à cet espace. L’ère numérique a tout bouleversé. Le monde, désormais, ressemble à un « petit village » où chacun observe, commente et juge l’autre. Ses films, en mettant en scène ces humiliations visibles ou souterraines, prolongent cette réflexion.

Littérature et transmission

La littérature occupe une place centrale dans cet univers. Ceylan évoque avec reconnaissance l’empreinte de Tchekhov, dont des détails parsèment, selon lui, tous ses films. Il lui arrive de le citer explicitement, tout comme Dostoïevski, dont Crime et châtiment, lu à dix-neuf ans, l’a profondément marqué. En le relisant plus tard, il a eu le sentiment qu’on ne changeait pas tant que cela avec l’âge : certaines questions, certains chocs restent intacts. Il raconte aussi la découverte récente de l’écrivain égyptien Tawfiq El-Hakim, et notamment de Journal d’un substitut de campagne, qu’il a aimé au point de vouloir l’adapter au cinéma. Il a découvert ensuite que le texte avait déjà fait l’objet d’un film en Égypte, et se dit aujourd’hui curieux de voir cette adaptation. Ce détour par la littérature arabe témoigne de sa disponibilité à d’autres imaginaires et d’un dialogue constant entre cultures.

Une philosophie de vie et de création

La conversation glisse également vers une dimension plus intime et philosophique. Nuri Bilge Ceylan confie qu’au fil du temps, il a appris une chose : il ne se considère pas lui-même comme une personne importante, il ne se donne pas de valeur particulière. Ce qui l’importe, c’est l’humanité dans son ensemble, même s’il avoue ne pas savoir précisément ce que cela signifie. Il parle d’un instinct de protection que nous posséderions tous, et avec lequel il aime jouer : le casser, mettre à l’épreuve la fierté de ses personnages, les forcer à voir là où ils se croyaient solides. Pour cela, paradoxalement, il lui faut lui-même une certaine fierté, ne serait-ce que pour la confronter. Il dit voir la vie d’une manière légèrement décalée : même dans des situations difficiles, il lui arrive de se surprendre à sourire ou à accepter ce qui survient. Il insiste : il a sa propre sensibilité, mais il ne se sent pas toujours comme « les autres ». De manière générale, il perçoit la vie comme dépourvue de grand sens, et cette vision l’amène à ne pas prendre les choses trop au sérieux. Cela ne fait pas de lui un homme léger, dit-il ; simplement quelqu’un qui observe autrement les détails de la vie, qui parfois est totalement lui-même, parfois non.

La durée, le montage et la liberté du travail

Sur la durée de ses films, il fait preuve d’un mélange de lucidité et d’humour. Nuri Bilge Ceylan a reconnu ne pas savoir pourquoi ils deviennent de plus en plus longs. Il a dit en souriant qu’il savait que cela dérangeait tout le monde – les distributeurs, les producteurs, les festivals, le public – mais qu’il n’y pouvait rien. Il a ajouté que la psychologie humaine était trop complexe pour être résumée, et que, lorsqu’il écrit, il ne pense pas à la longueur et ne cherche jamais à faire long. Il a même proposé à son producteur français, a-t-il raconté, de le payer moins si le prochain film dépassait encore la durée prévue, afin d’être tranquille et de pouvoir travailler librement.

Par ailleurs, lors du montage, il s’aperçoit parfois qu’une scène n’est pas bonne et préfère alors en tourner d’autres pour pouvoir choisir ensuite. Il aime disposer de plusieurs alternatives et multiplier les options. Grâce au numérique, il filme beaucoup, parfois jusqu’à deux cents heures. Ses budgets sont donc importants, non pas parce qu’il engage des acteurs coûteux, mais parce qu’il tourne énormément, multiplie les angles, explore différentes émotions et prend le temps nécessaire pour trouver ce qu’il cherche.

La musique, le comique et l’universalité

Son rapport à la musique témoigne de la même logique. Il ne choisit jamais la musique avant la fin du montage. Ce n’est qu’une fois les images assemblées, une fois les silences et les respirations trouvés, qu’il décide de ce qui doit venir s’y ajouter, ou non. La musique n’est pas là pour dicter l’émotion, mais pour épouser un mouvement déjà présent dans l’image. De la même façon, il tient à introduire une part de comique dans ses films, bien qu’ils ne soient jamais des comédies. « La vie est amusante », affirme-t-il. Il dit n’avoir aucun goût pour la sentimentalité ; il cherche au contraire un réalisme qui, parfois, fait rire le public là où lui ne cherchait qu’à être exact.

Enfin, il insiste sur le fait que ses films ne sont pas « turcs » au sens étroit. Il dit parler de l’humain, pas du Turc, convaincu que les gens sont les mêmes partout. Cette universalité, il ne la revendique pas comme une ambition abstraite, mais comme une conséquence logique de sa démarche : filmer les sentiments, les failles, les contradictions qui dépassent les frontières, sans se soucier de les habiller d’une identité nationale.

CIFF 2025 
Réflexions cinématographiques : un voyage dans les mondes de Nuri Bilge Ceylan
CIFF 2025 – Nuri Bilge Ceylan et es membres du jury, venus l’écouter.

Un regard lent sur un monde pressé

Cette rencontre, organisée dans le cadre des journées de l’industrie du festival, s’inscrit dans la volonté du Festival international du film du Caire de nourrir un dialogue culturel et artistique entre les créateurs et le public, et de mettre en lumière des figures qui ont contribué à renouveler le langage de l’image et à élargir les horizons du récit visuel. La salle était pleine, les regards accrochés aux mots de Ceylan. Il est toutefois regrettable que les interventions du modérateur aient parfois pris un tour excessivement technique, laissant peu de place aux anecdotes, aux souvenirs, à ces petites histoires qui, racontées par un cinéaste de cette trempe, auraient rendu la rencontre plus chaleureuse encore, plus incarnée.

Reste une impression forte : celle d’un artiste qui ne sépare jamais la pensée de la forme, ni la vie de l’art, et qui poursuit, film après film, une même question, inlassable. Alors qu’il présidait le jury de la compétition internationale, on ne peut s’empêcher de se demander comment ce regard, forgé dans la lenteur, la nuance et le doute, influe sur les films qu’il juge et sur ceux qu’il fera demain. Dans un paysage où tout semble aller toujours plus vite, la présence de Nuri Bilge Ceylan au Caire rappelle qu’il existe encore un cinéma qui prend le temps de regarder, d’écouter et de penser.

Neïla Driss

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CIFF 2025 – Mohamed Abdelaziz, un demi-siècle de rires et de conscience sociale

17. November 2025 um 18:46

Figure centrale du cinéma égyptien depuis les années 1970, Mohamed Abdelaziz a bâti une œuvre profondément populaire sans jamais renoncer à une exigence artistique rigoureuse. Réalisateur de comédies devenues cultes, mais aussi enseignant et homme de théâtre, il occupe une place unique dans l’histoire du cinéma arabe : celle d’un artiste qui a su concilier succès populaire, responsabilité sociale et fidélité absolue à une vision éthique du métier. Cette longévité exceptionnelle, nourrie par une connaissance intime des différentes générations de cinéastes depuis plus de soixante ans, fait de lui un témoin précieux de l’évolution du cinéma égyptien moderne.

À l’occasion de la 46ᵉ édition du Festival International du Film du Caire (CIFF), qui se déroule du 12 au 21 novembre 2025, le festival lui a rendu hommage lors de la cérémonie d’ouverture en lui décernant la Pyramide d’Or pour l’ensemble de sa carrière. Le lendemain, une conversation approfondie a été organisée avec lui, modérée par le critique Osama Abdel Fattah, en présence d’un public nombreux et de plusieurs artistes venus célébrer son parcours. Ce moment a permis de retracer une trajectoire d’une richesse exceptionnelle et de mettre en lumière, à travers ses propres mots, ce qui constitue l’essence de son œuvre : une comédie sociale sérieuse, structurée, engagée, au service de la société.

L’émotion d’un hommage : un public inattendu et un parcours reconnu

Mohamed Abdelaziz commence par revenir sur l’émotion qui l’a traversé lorsque Hussein Fahmy, président du CIFF, l’a informé qu’il recevrait la Pyramide d’Or. Il dit connaître Hussein Fahmy depuis des dizaines d’années : ils ont tourné ensemble de nombreux films, dont certains ont rencontré un immense succès. Il décrit cette annonce comme un moment de bonheur pur.

Mais c’est surtout l’accueil du public lors de la cérémonie d’ouverture qui l’a profondément bouleversé. Il avoue avoir été « effrayé » par cette chaleur inattendue :
« Je ne pensais pas mériter un tel hommage », confie-t-il.

Cette réaction du public lui a donné le sentiment que son parcours — ses 67 films, ses 20 feuilletons et ses pièces de théâtre, dont 3 dans le secteur privé — « n’avait pas été vain ».

Il insiste également sur une dimension essentielle de sa carrière : la transmission. Il se décrit comme l’élève d’une génération prestigieuse dont il a hérité un patrimoine artistique qu’il considère comme un devoir de transmettre à son tour. Cet engagement accompagne toute sa vie professionnelle. Il mentionne aussi qu’un livre a été édité par le CIFF à cette occasion et sera distribué aux festivaliers.

Une vie consacrée au cinéma, au théâtre et à l’enseignement

Depuis 1964, Mohamed Abdelaziz travaille simultanément dans le cinéma, le théâtre et l’enseignement. Le modérateur Osama Abdel Fattah rappelle qu’il est considéré comme l’un des enseignants de cinéma les plus anciens au monde, ayant vu défiler des générations de réalisateurs, à commencer par Daoud Abdel Sayed, Khairy Beshara, jusqu’aux jeunes cinéastes d’aujourd’hui.

Mohamed Abdelaziz confirme cette continuité et souligne l’importance qu’il accorde à l’enseignement. Il évoque sa rencontre avec Hussein Fahmy à l’Institut Supérieur du Cinéma du Caire dans les années 1960, où leurs professeurs leur avaient « inculqué l’amour du cinéma ».

En riant, Hussein Fahmy a pris la parole juste pour expliquer qu’il avait enseigné pendant une douzaine d’années avant d’arrêter « parce qu’il n’avait pas la patience », tandis que Mohamed Abdelaziz, lui, n’a jamais cessé d’enseigner.

Mohamed Abdelaziz a continué en affirmant que l’enseignement constitue pour lui une forme de création : transmettre à des jeunes talents, les voir évoluer, les voir réussir, lui procure un sentiment de joie et d’accomplissement. Il exprime toutefois un regret sincère : « Les étudiants ne présentent un film comique comme projet de fin d’études que tous les vingt ans », dit-il. La comédie, selon lui, demande une maîtrise particulière que trop peu de jeunes cinéastes osent aborder.

Les débuts dans la tragédie

Avant de devenir l’un des maîtres de la comédie sociale, Mohamed Abdelaziz s’est d’abord orienté vers la tragédie. Diplômé de l’Institut Supérieur du Cinéma du Caire, formé par les grands, dont Salah Abou Seif et Hussein Kamal, il réalise ses deux premiers films dans un registre dramatique : Images interdites (1972) puis Une femme du Caire (1973).

Mais après ces deux films, il se retrouve pendant deux années sans travail. C’est alors que son ancien professeur, le Dr Hatchman, lui apporte un scénario de comédie. Ironie du sort : ce professeur lui avait déjà dit, lorsqu’il était étudiant, qu’il finirait par faire de la comédie. Mohamed Abdelaziz accepte. Le film — Fil Seef Lazem Neheb (1974) — devient un immense succès, à la fois public et critique, au point que certains ont dit qu’il prendrait la suite du grand réalisateur Fatin Abdel Wahab.

Ce tournant le fait entrer durablement dans le monde de la comédie, même s’il insiste sur un point : « Je ne suis pas allé vers la comédie. C’est la comédie qui est venue vers moi. »

Tragédie et comédie : deux visions du monde

Mohamed Abdelaziz consacre un long moment à expliquer la différence profonde entre la tragédie et la comédie, une distinction essentielle à sa compréhension du cinéma.

La tragédie, dit-il, s’intéresse généralement à un cas particulier. Elle raconte l’histoire d’un personnage qui commet une seule erreur — une seule — et qui en paiera le prix toute sa vie. C’est un art centré sur l’individu, sur ses choix personnels, sur son destin.

La comédie, au contraire, regarde la société tout entière. Elle s’empare des comportements collectifs, des dérives sociales, de ce qui dysfonctionne dans la vie quotidienne. Elle ridiculise certaines attitudes, expose les contradictions et les déformations des relations humaines. Elle pousse à réfléchir sans même qu’on s’en aperçoive.

« La comédie traite de sujets sérieux », affirme-t-il. Elle parle de problèmes sociaux, de mauvaises habitudes, de comportements nuisibles. Et comme elle attire beaucoup de spectateurs, elle possède une influence considérable. Beaucoup plus, selon lui, que la tragédie, parce qu’elle touche un public immensément large.

Il renverse ainsi l’idée reçue qui voudrait que la comédie soit un art mineur : la comédie, pour lui, est plus sérieuse que la tragédie.

Une rigueur absolue : aucun gag gratuit, aucune improvisation

Son secret : « si tu veux faire de la comédie, il ne faut pas plaisanter ».

Mohamed Abdelaziz raconte ensuite comment il a instauré une discipline stricte sur ses plateaux. Pour lui, le rire n’est pas un but en soi. C’est une conséquence. Il faut donc bien réfléchir un film, bien le structurer, étudier toutes les scènes et ne pas céder à la facilité.

Il donne un exemple : dès son premier film comique, l’immense comédien Abdel Monem Madbouly propose de mettre sa veste à l’envers pour provoquer un gag immédiat. Il refuse catégoriquement : « ce n’est pas cela qui fait rire », dit-il.

Il insiste : il ne réalise jamais un film dans l’intention de provoquer le rire.
« Je ne fais pas un film pour faire rire », explique-t-il à Madbouly, qui reste stupéfait. Cette ligne de conduite marque une frontière claire : la comédie doit naître des situations, jamais de l’artifice.

À partir de là, il impose une règle fondatrice : aucune improvisation ne doit altérer le message. Que ce soit avec des comédiens de théâtre habitués à improviser, avec des stars ou avec de jeunes acteurs, il veille personnellement au respect absolu du texte et du rythme. Il raconte qu’au théâtre aussi, il se tenait chaque soir dans les coulisses pour vérifier que les comédiens ne modifiaient pas les scènes. Pour lui, cette rigueur est indispensable : « si l’on cède un peu, on ne peut plus contrôler le film, et il peut devenir une comédie sans intérêt ». La comédie, dit-il, exige une construction précise : « C’est une opération architecturale difficile à monter. »

Intabihu Ayuha Al-Sada: critique du libéralisme et confrontation morale

Parmi ses œuvres les plus importantes, Mohamed Abdelaziz cite Intabihu Ayuha Al-Sada (1978), un film qui critique ouvertement l’ « infitah » — le libéralisme économique — et le pouvoir écrasant de l’argent sur les valeurs morales.

Il raconte l’histoire réelle qui l’a inspiré : celle d’un voisin respectable dont la fille, diplômée de droit, s’est vue imposer un mariage avec un cousin non diplômé mais propriétaire d’un atelier de mécanique, donc très riche. Le mari, complexé, adopte un comportement horrible.

Avec ses collaborateurs, il transpose cette histoire en opposant un universitaire à un éboueur, montrant comment le matériel peut prendre le dessus sur la morale. Le film, financé en partie sur ses propres deniers, réalisé avec un petit budget, remporte un immense succès et plusieurs prix — pour lui-même et pour Hussein Fahmy, qui y joue l’un des deux rôles principaux avec Mahmoud Yassine. Tout le dialogue de ce film, en plus de faire rire, comportait une critique de la société. Et c’est bien ce qu’il veut dire lorsqu’il affirme que la comédie est très sérieuse.

Avec Adel Imam : confiance, discipline et un héritage de dix-huit films

Une grande partie de la conversation est consacrée à sa relation avec Adel Imam. Leur première rencontre remonte à l’époque où Mohamed Abdelaziz était assistant auprès de Med Salem sur un film pour la télévision avec Fouad El Mohandes : c’était d’ailleurs la toute première fois qu’Adel Imam se tenait devant une caméra de cinéma.

Plus tard, lorsqu’il réalise Dakkat Qalbi (1976), une comédie dans laquelle il engage des acteurs tragiques, dont Mahmoud Yassine, Adel Imam lui téléphone : « Pourquoi ne m’as-tu pas appelé ? ». Mais il l’appellera plus tard, pour son film Juns Naeim (1977). Leur collaboration commence alors.

Ils tournent ensemble dix-huit films, parfois trois ou quatre par an.

Adel Imam arrivait du théâtre et voulait son propre espace mais Mohamed Abdelaziz a imposé des règles strictes. Ils travaillaient avec une méthode rigoureuse : lecture scène par scène du scénario, propositions de l’un ou de l’autre, accord final — puis interdiction absolue pour Adel Imam de changer la moindre phrase, règle que l’acteur, pourtant habitué à l’improvisation théâtrale, a respecté avec rigueur.

Mohamed Abdelaziz raconte les nuits où Adel Imam jouait au théâtre jusqu’à trois heures du matin, puis venait le rejoindre pour travailler sur un scénario. À neuf heures, lui-même donnait son cours à l’Institut Supérieur du Cinéma du Caire, puis rejoignait le tournage à quatorze heures. Un rythme épuisant, mais passionnant.

Quand Adel Imam refusait Al Baa’d Yazhab lel Maa’zoun Marratayn (1978)

Cette anecdote, racontée avec humour, est l’un des moments les plus savoureux de la conversation.

Mohamed Abdelaziz envoie le scénario du film Al Baa’d Yazhab lel Maa’zoun Marratayn à Adel Imam. Celui-ci le lit et refuse catégoriquement : « Ce film ne réussira pas. »

Il pense à plusieurs acteurs, mais aucun ne le convainc ; il veut absolument Adel Imam.

Il apprend que celui-ci est à Alexandrie pour une pièce de théâtre. Il prend alors une décision inattendue : déplacer tout le tournage à Alexandrie.

Un soir, après la représentation, il va voir Adel Imam dans sa loge. C’est alors qu’un assistant entre avec la feuille de service du lendemain et la remet à Adel, qui s’écrie :
— « J’ai refusé ce film ! »

Mohamed Abdelaziz répond calmement :
— « Le tournage commence demain. »

Adel Imam finit par se rendre sur le plateau. Au troisième jour, il répète : « Le film sera un échec. »

Mais une fois sorti en salles, le film rencontre un immense succès. Un jour, ils assistent ensemble à la séance de 18 heures : la salle rit sans interruption.

Mohamed Abdelaziz lui dit : « Tu vois ? » Et Adel Imam, amusé, répond : « Ce n’est pas le scénario que tu m’avais donné ! »

Une plaisanterie devenue célèbre, symbole de leur complicité.

Témoignages des artistes : gratitude et reconnaissance

Lorsque Mohamed Abdelaziz termine de parler, deux artistes présentes prennent la parole.

L’actrice Lebleba se souvient que, dès leur première rencontre, il lui avait dit qu’elle deviendrait une star. Elle évoque leur travail commun : il lui a appris la précision dans le jeu comique, l’importance de ne pas « bouger la tête n’importe comment », la manière de regarder la caméra, et la nécessité de jouer avec naturel. Elle parle du film où elle joue une femme constamment enceinte pour garder son mari – Al Baa’d Yazhab lel Maa’zoun Marratayn – puis de Khally Balak Men Giranak (1979), pour lequel elle a été choisie à la dernière minute après le désistement d’une autre actrice. Le film est resté trente-quatre semaines en salles et a lancé sa carrière de manière décisive.

Elham Chahine, quant à elle, raconte que leur relation est à la fois professionnelle et familiale. Elle se souvient qu’il lui avait envoyé une pièce comique comportant quatre grandes scènes musicales, alors qu’elle était connue pour jouer le drame et la tragédie. Cette pièce, jouée pendant cinq ans et présentée dans de nombreux pays arabes, a révélé au public et aux réalisateurs une facette d’elle que personne ne soupçonnait. Grâce à lui, elle a commencé à être prise au sérieux dans des rôles comiques et même dans des rôles de chanteuse.

En écoutant Mohamed Abdelaziz dérouler ces souvenirs, ces principes et ces scènes de travail, on comprend que sa carrière n’a jamais été seulement une succession de films, mais une manière de penser la société et de dialoguer avec elle. Chaque anecdote qu’il raconte, chaque détail qu’il restitue, révèle une philosophie du cinéma où la comédie n’est jamais un simple divertissement : elle devient une forme de militantisme, un engagement discret mais profond, orienté vers l’idée d’un monde meilleur.

Pour lui, faire rire n’est pas une échappée légère : c’est une stratégie pour faire réfléchir. Il insiste sur cette conviction, répétée comme un fil rouge : on transforme davantage les mentalités avec le rire qu’avec un discours direct et sérieux, qui risquerait de braquer le public. La comédie, parce qu’elle attire, désarme et rassemble, ouvre un espace où les sujets sensibles peuvent être abordés sans violence, où les contradictions sociales apparaissent avec clarté, où les comportements peuvent être questionnés sans accuser frontalement.

Ce qui frappe, au terme de cette rencontre, c’est l’extrême cohérence de son parcours. Le réalisateur qui refuse un gag facile, qui impose une discipline intransigeante, qui déplace un tournage entier pour convaincre un acteur, est le même qui continue d’enseigner, de transmettre, et de rappeler aux jeunes cinéastes que la comédie est un langage indispensable pour comprendre une société et la faire évoluer.

Et l’on se prend alors à imaginer ce que pourrait devenir la comédie égyptienne si davantage de jeunes réalisateurs acceptaient, comme lui, d’en faire un espace d’action, de réflexion et d’espoir. Peut-être est-ce là l’horizon que cette conversation ouvre : celui d’une génération qui, en revisitant les leçons de Mohamed Abdelaziz, redonnera à la comédie sa force première — faire rire pour mieux éclairer, mieux questionner, mieux transformer.

Neïla Driss

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