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Le modèle démocratique occidental est-il réellement un exemple?

24. April 2025 um 12:11

Crises sociales, montée des extrêmes, domination des élites : l’Occident n’a plus le monopole du progrès démocratique. Il est temps pour la Tunisie d’assumer sa propre voie, souveraine et participative.

Adlen Kamoun *

La démocratie est un mode d’organisation permettant au peuple de confier la direction de la nation à ses représentants élus. Si l’Occident aime en revendiquer l’invention, ses racines sont bien plus anciennes : dès 4000 ans avant notre ère, les Sumériens disposaient de formes de délibération collective.

Organiser la démocratie implique trois espaces distincts : l’expression politique (choix entre des projets), le cadre législatif, et l’exécutif. Mais la démocratie évolue avec la conscience collective et les technologies.

Depuis 2011, en Tunisie, beaucoup rêvent d’un simple copier-coller du modèle français ou occidental. Pourtant, comme sur d’autres sujets, nous défendons une autre approche : penser notre propre voie démocratique.

Historique et transformations du modèle démocratique

Au XIXe siècle, l’éligibilité politique s’est élargie non par pur idéal démocratique, mais sous la pression de groupes sociaux organisés: presse, loges maçonniques, réseaux économiques. Le suffrage universel a été pensé pour intégrer les nouvelles classes tout en contrôlant leurs aspirations.

En Tunisie, le Pacte Fondamental de 1857 et la Constitution de 1861 montrent que notre monde arabo-musulman avait engagé ses propres réformes démocratiques avant l’imitation occidentale.

Après 1945, la structuration politique reposait sur des clivages profonds: capital/travail, gauche/droite. Ce modèle, consolidé par la Guerre Froide, a servi aussi les intérêts stratégiques des puissances occidentales, plutôt qu’un idéal démocratique universel.

En Tunisie, Bourguiba fut soutenu tant qu’il garantissait la stabilité et un libéralisme contrôlé, indépendamment de toute exigence démocratique réelle.

Depuis 2008, les clivages traditionnels se sont effacés au profit d’une politique émotionnelle : engagement par causes, mouvements de foule via réseaux sociaux, crowdfunding. La démocratie est devenue plus fluide, mais aussi plus instable.

En 2017, l’élection de Donald Trump aux États-Unis et d’Emmanuel Macron en France marque l’effondrement des partis classiques. Les citoyens ne votent plus pour des programmes structurés, mais pour des figures qui captent l’air du temps.

En Tunisie, Kaïs Saïed a incarné ce rejet des partis en récupérant l’aspiration à une souveraineté morale sans passer par les structures politiques traditionnelles.

Critique du modèle démocratique occidental

Longtemps érigé en modèle universel de gouvernance, le système démocratique occidental montre aujourd’hui des signes clairs de dérive oligarchique et de délitement structurel. Derrière l’apparente pluralité électorale et le formalisme institutionnel, se cache une concentration toujours plus forte du pouvoir entre les mains de l’élite économique.

Aux États-Unis, une étude de Gilens & Page (2014), Testing Theories of American Politics: Elites, Interest Groups, and Average Citizens, révèle que sur 1 723 lois promulguées entre 1997 et 2017, environ 80% favorisaient les 20% les plus riches. Moins d’une centaine de lois ont eu un impact tangible sur les classes moyennes ou les populations défavorisées, confirmant l’hypothèse que les élites économiques orientent majoritairement les politiques publiques.

En Europe, les dynamiques sont similaires. En France comme au Royaume-Uni, l’alternance politique n’a pas enrayé la montée des inégalités ni le démantèlement progressif de l’État social. Comme l’a montré Thomas Piketty dans Le Capital au XXIe siècle (2013), la croissance des inégalités de patrimoine et de revenus est désormais structurelle : le capital croît plus vite que le revenu du travail, accentuant la concentration des richesses d’une génération à l’autre.

En 2019, selon Oxfam, 2 153 milliardaires détenaient à eux seuls 60% des richesses mondiales. En 2023, ce chiffre est monté à 2 760 milliardaires concentrant 70% des richesses. La pandémie du Covid-19, loin de corriger ces déséquilibres, les a aggravés : les marchés financiers ont continué à s’envoler pendant que des millions de travailleurs perdaient leurs emplois. Les grandes fortunes ont capté l’essentiel des plans de relance.

La France illustre crûment ce paradoxe. En 2023, les 10% les plus riches détiennent plus de 50% du patrimoine national, tandis que 10 millions de citoyens vivent avec moins de 1 000 euros par mois. Pire encore, pendant la crise sanitaire, les milliardaires français ont vu leur fortune croître de 30%, accaparant près de 80% des aides publiques (Oxfam France, 2022). Le modèle démocratique semble produire ce qu’il prétend combattre : l’inégalité, l’injustice, et la marginalisation.

À cette crise sociale s’ajoutent les tensions politiques. La montée des extrêmes, l’attrition de la participation électorale, la défiance envers les médias montrent un système à bout de souffle. Dmitry Orlov (Les cinq stades de l’effondrement, 2013) décrit ce processus de dislocation des institutions, déjà visible en Occident.

Ce qui est en crise, ce n’est pas l’idée de démocratie, mais sa captation par les élites économiques. Repenser la démocratie implique de revenir à sa racine : le pouvoir du peuple pas celui des marchés.

Typologies des organisations politiques

La culture politique dominante au XXe siècle s’est fondée sur une logique organisation-centric, centrée sur des structures institutionnelles rigides : partis traditionnels, associations loi 1901, syndicats classiques, think tanks élitistes, et entreprises politiques «verticalisées». Ces entités fonctionnent selon une logique hiérarchique et descendante : le citoyen est invité à choisir entre des structures existantes, avec cette question implicite en filigrane : «Quelle organisation me convient le mieux?»

Cette approche, héritée du fordisme organisationnel et des partis de masse du XXe siècle (voir Panebianco, Political Parties: Organization and Power, 1988), tend à reproduire les mêmes logiques d’entre-soi, de verrouillage des carrières militantes et de déconnexion vis-à-vis des préoccupations populaires. Dans ce modèle, les programmes sont rédigés par des cercles restreints d’experts ou de responsables, puis diffusés vers la base militante et l’électorat, souvent sans réel mécanisme de feedback.

En Tunisie, cette logique a largement prévalu depuis 2011, avec une multiplication des partis sans base idéologique forte, souvent fondés autour d’un leader ou d’un intérêt électoral ponctuel. Les partis traditionnels n’ont pas su renouveler ni leur lien au terrain, ni leurs pratiques internes. Cette culture politique fermée est aujourd’hui largement rejetée par une jeunesse en quête de participation directe et d’impact concret.

À l’opposé, une nouvelle logique émerge : celle d’une People Centric Culture, c’est-à-dire une culture centrée sur les citoyens, leurs aspirations, leurs imaginaires et leur capacité d’agir. Le cœur de cette dynamique repose sur une question radicalement différente : «Quelle Tunisie souhaite réellement le peuple?», une interrogation qui ne postule plus la primauté de la structure, mais celle du projet collectif.

Cette approche s’inspire des mouvements de démocratie délibérative (Fishkin, 2009), de gouvernance collaborative (Ansell & Gash, 2008) et des pratiques issues des civic tech : plateformes de consultation citoyenne, budgets participatifs, assemblées locales ouvertes, intelligence collective territoriale, etc. Elle donne la priorité à la co-construction, à l’écoute active et à la décentralisation des processus décisionnels.

Perspectives et risques futurs

L’avenir politique sera sans doute façonné par des formes d’expression de plus en plus protéiformes : communautés citoyennes agiles, collectifs numériques décentralisés, plateformes électorales flexibles, coalitions éphémères autour de causes spécifiques.

Ces nouvelles dynamiques traduisent une volonté profonde de se réapproprier l’espace public, en dehors des structures partisanes classiques. Elles ouvrent la voie à une démocratie plus fluide, réactive et horizontale. Cependant, cette fluidité peut aussi se transformer en fragilité. Les structures émergentes sont particulièrement vulnérables aux manipulations externes, à la dépendance financière vis-à-vis d’acteurs internationaux, ou à des instrumentalisations idéologiques.

Le rôle de l’Open Society de George Soros, par exemple, dans la structuration de réseaux associatifs post-révolutionnaires en Tunisie, interroge sur les limites d’une démocratie influencée par des agendas exogènes (Herman & Chomsky, Manufacturing Consent, 1988). L’ingénierie sociale opérée par des fondations transnationales, souvent au nom des «droits humains» ou du «développement démocratique», soulève des questions cruciales de souveraineté culturelle, politique et stratégique.

Face à ces risques, notre responsabilité collective est de redéfinir les modes d’expression politique à partir de nos propres fondations civilisationnelles. Il ne s’agit pas de rejeter l’innovation démocratique, mais de l’ancrer dans un imaginaire propre, nourri par notre histoire, notre pensée politique et nos dynamiques sociales contemporaines. La choura, les jamaâs de gouvernance locale, les formes de solidarité communautaire, ou encore les expériences constitutionnalistes tunisiennes du XIXe siècle (comme la Constitution de 1861), sont autant de ressources oubliées qu’il nous faut reprendre, adapter, moderniser, laïciser.

Il nous faut construire un avenir politique en harmonie avec les aspirations des jeunes générations, tout en renouant avec l’essence participative et morale de notre culture politique. Cette approche  vise à garantir une représentation authentique, autonome et résiliente, capable de résister aux vents dominants du néolibéralisme global et de bâtir un avenir fondé sur la justice, la souveraineté et la dignité.

* Initiative Intilaq 2050.

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