La pollution plastique nuit gravement à l’image de la Tunisie
Dans cette «Lettre ouverte à Monsieur Kaïs Saïed, Président de la République», l’auteur plaide pour l’intensification de la lutte contre la pollution plastique pour préserver l’environnement du pays qui se dégrade jour après jour, dans l’indifférence et l’inaction des responsables publics.
Naceur Bouabid *
S’il y a un mal qui ronge viscéralement notre pays, hier et aujourd’hui, c’est bien l’état lamentable de son environnement, tous domaines confondus : une biodiversité marine et terrestre en proie aux atteintes à répétition, des ressources naturelles surexploitées, une gestion des déchets défectueuse et calamiteuse, une érosion côtière en mal de contrôle, une esthétique des villes marginalisée, une pollution des mers et de l’air en recrudescence.
Constat vergogneux et alarmant
Force est d’admettre que la Tunisie entière est aujourd’hui malade de son environnement et aucune région n’est épargnée par ce mal tenace qui tend à se pérenniser. Un tel constat n’est plus un secret pour personne, tant sont visibles les dégâts et les méfaits, tant la nuisance a atteint des seuils intenables et intolérables, notamment celle engendrée par la prolifération des déchets plastiques qui, au lieu d’inquiéter, semble se banaliser dans les esprits à force d’être côtoyée.
En effet, aujourd’hui, toutes les régions du pays sont concernées; aucune ville n’est épargnée par ce fléau qui prolifère sans coup férir; il suffit de sillonner le pays en longeant ses côtes, en parcourant ses campagnes, en visitant ses villes et ses villages avec leurs quartiers, en empruntant ses routes, en fréquentant ses plages, pour constater l’ampleur des dégâts et prendre conscience de la gravité de la situation devenue intenable, indigne de notre pays.
Le spectacle est décevant et traumatisant tant sont indescriptibles le volume et l’état d’éparpillement des déchets solides : des sachets, débordant souvent des containers renversés ou venus à saturation à défaut de régularité des dessertes de ramassage communal, et poussés par le vent, butent aux plantes et aux arbres pour ne plus lâcher prise, conférant aux lieux assaillis un aspect de désolation d’une rare laideur; des emballages en plastique de toutes sortes, bouteilles, boîtes de yaourt, cannettes sont abandonnées après usage sur nos plus belles plages ou tout simplement jetés par-dessus bord par certains usagers de la route pour s’en débarrasser.
Ajoutons à cela les amas d’ordures ménagères de constitution multiforme déversées pêle-mêle à même le sol, parfois à l’entrée des villes, et non des moindres, attendant le passage de la benne municipale qui tarde souvent à venir, des restes provenant des chantiers de construction abandonnés à la hâte dans tout terrain vague ou tout champ loin des yeux, sans respect des biens d’autrui.
Combien le cœur souffre à la vue de ces dépotoirs anarchiques où s’amoncellent des amas d’ordures répugnantes et nauséabondes, des détritus épars couvrant de grandes étendues à la sortie de beaucoup de nos villes, devenues aujourd’hui plus visibles à tous les usagers empruntant les ceintures périphériques aménagées récemment aux sorties des grandes villes !
Qu’il est navrant de voir les bas-côtés de nos routes, les abords des prestigieux sites archéologiques et des lieux de mémoires emblématiques envahis par le plastique, notre désert ravissant et enchanteur, nos merveilleux lacs salés et nos oasis luxuriantes entachés de pollution dégradante.
A quand la délivrance ?
Monsieur le Président de la République, cette situation environnementale cauchemardesque porte gravement préjudice à l’image de notre si beau pays; demandez avis aux braves guides de tourisme qui, dans l’exercice de leur mission d’accompagnement des groupes de touristes et de visiteurs étrangers, parcourent le pays de long en large, ils vous diront des choses à pleurer; en dignes porte-voix de leur pays, de sa culture, de son patrimoine, ils œuvrent fièrement à leur en faire découvrir, admirer et apprécier les beautés enfouies, les richesses patrimoniales et les diversités paysagères, mais, confrontés à l’amère réalité de la prolifération tous azimuts des déchets, leur gêne est immense et inconsolable. A vrai dire, ils ne sont pas à envier, tant ils sont exposés aux commentaires peu flatteurs et dépréciatifs émanant, à raison, des clients souvent ahuris et déçus par la prévalence d’une telle dégradation environnementale et d’autant de déchets au milieu d’autant de richesses, de beautés inouïes et de splendeurs.
A quand la délivrance, Monsieur le Président? Nous voyons le mal gagner effrontément du terrain, prospérer et sévir, sans qu’aucun signe nous donne à espérer en des lendemains meilleurs.
Nous avons nourri l’espoir de voir le décret gouvernemental n°32/2020 du 16 janvier 2020, relatif à l’interdiction de la production, la fourniture, la distribution et la détention sur le marché intérieur de certains types de sachets plastiques, mis en application, mais c’était sans compter sur l’inertie et l’inefficacité dont ont fait montre les différents ministres de l’Environnement qui se sont succédé pour ne rien apporter, sinon comment justifier qu’un décret gouvernemental d’une telle importance et d’un tel enjeu demeure à ce jour sans effet, soit quatre ans après son adoption?
En outre, le projet «Djerba sans plastique», initié suite à une décision prise au mois de mai 2022 conjointement par les ministères du Tourisme et de l’Environnement, d’interdire la commercialisation et la distribution des sacs plastiques à usage unique à Djerba, nous a donné également à espérer, mais ce n’était qu’illusions perdues, car le projet n’est jamais parvenu à terme en raison du désistement des deux ministères à l’origine de la décision; voilà, alors, un projet pilote avorté à sa naissance en dépit, à vrai dire, de la bonne volonté et de l’engagement manifeste des trois communes de l’île.
Certains pays d’Afrique, dont le Rwanda, l’Afrique du Sud, le Kenya, le Gabon, sont parvenus à relever le défi et gagner le pari de l’interdiction de la fabrication des sachets plastiques, pourquoi sommes-nous condamnés à subir échec après échec pour nous résoudre à vivre sous le joug réducteur, rapetissant et humiliant de cette pollution?
L’article 47 de la Constitution du 25 juillet 2022 stipule ceci : «L’Etat garantit le droit à un environnement sain et équilibré et contribue à la protection du milieu. Il incombe à l’Etat de fournir les moyens nécessaires à l’élimination de la pollution de l’environnement», et au nom-même de ce droit constitutionnel, nous vous implorons à intervenir rigoureusement auprès de qui de devoir d’agir, ministre de l’Environnement et gouverneurs en tête, pour leur faire assumer sciemment leurs sacro-saintes responsabilités envers le pays et les citoyens.
Veuillez consulter les experts en la matière dont regorge fièrement notre pays; ils sont compétents, chevronnés et patriotiques, et ils n’hésiteront pas un instant à faire œuvre utile, sans calculs, ni considérations politiciennes partisanes, car mus par le seul souci de débarrasser leur pays de ce lourd fardeau qui l’accable, qui envenime le quotidien et l’existence des citoyens et qui compromet, associés aux autres problématiques environnementales, l’enjeu, combien urgent, du développement durable.
Vous appelez sans cesse à mener une guerre contre la corruption et les lobbies, et nous en convenons inconditionnellement; ajoutez, de grâce, une autre à mener sans scrupules contre ce mal qui a trop nui à l’image de notre pays pour le laisser encore sévir. Faites de la question environnementale une priorité majeure au même titre que les autres questions brûlantes; le salut environnemental de notre pays, nous le voyons à ce prix, Monsieur le Président.
* Ancien président de l’Association pour la sauvegarde de l’île de Djerba.
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