Trump, l’Europe et le mythe de l’Occident
Les humiliations que Trump ne cesse de faire subir aux Européens en négociant derrière leur dos, et à leurs dépens, avec la Russie, la Chine et l’Inde, c’est-à-dire avec ceux qui comptent, vont-elles réveiller l’Europe et l’inciter à accélérer sa construction politique pour ne plus être un appendice négligeable des politiques américaines ? (Les Etats-Unis et l’Union européenne : Quand le «grand» parle, les «petits» n’ont qu’à bien se tenir.)
Cherif Ferjani *

En adepte du néolibéralisme et de la révolution conservatrice, Trump mène une politique identitaire –America First, voire Only America ! – appliquant la conception politique du conservateur Carl Schmitt fondée sur l’opposition «ami/ennemi», les rapports de force et la loi du plus fort – ou de la jungle –, et nullement sur le droit, la délibération, la concertation rejetés comme entraves à l’exercice de la «souveraineté» de celui qui a le pouvoir.
L’Etat de droit, la démocratie, le respect des institutions sont balayés aussi bien au niveau de la politique intérieure que sur le plan des relations internationales.
Trump, depuis sa réélection, se comporte comme les cowboys qui ne tiennent compte que de ceux qui ont la force de se faire respecter et de rendre coup pour coup. On l’a vu, à titre d’exemple, aussi bien à travers sa politique douanière, concernant les taxes, que dans ses rencontres au sujet la guerre en Ukraine. Volodymyr Zelensky a été humilié ouvertement lors de sa première rencontre avec Trump, retransmise en direct, contrairement à Poutine pour qui le tapis rouge fut déroulé et avec qui l’échange se déroula à huis clos, pour ménager les susceptibilités des protagonistes.
Les «petits» n’ont qu’à bien se tenir
Lors de la dernière réunion à la Maison Blanche avec Volodymyr Zelensky, à laquelle les dirigeants européens se sont invités pour ne pas laisser celui-ci tout seul face au cowboy, les entretiens étaient entrecoupés de coups de fil entre le patron de la Maison Blanche et le Maître du Kremlin, comme pour lui dire que tout se passait conformément à leurs accords en Alaska et que les «petits» ont été bien roulés dans la farine. Il en est de même pour les taxes : avec les puissants, Trump négocie et cherche des compromis; avec les «petits» – dont l’Europe paralysée par ses divisions, son incapacité à parler d’une seule voix, et sa difficulté à rompre les liens de soumission aux Etats-Unis – Trump passe en force et impose ses décisions.
L’Europe n’a pas compris que pour Trump et les isolationnistes américains de l’AFC (America First Comittee) qui l’ont porté au pouvoir, l’Occident ne veut rien dire, sinon un moyen pour imposer l’hégémonie des Etats-Unis à ceux qu’ils ont maintenus, depuis la fin de la Seconde guerre mondiale, dans la peur d’un Orient à géométrie variable, selon l’ennemi du moment.
L’Occident devenu un fardeau pour les Etats-Unis
Pour l’AFC inspirant la politique de Trump, l’Occident est devenu un fardeau pour les Etats-Unis qui ne leur apporte plus rien, ou pas autant qu’ils le souhaitent.
Les Européens n’ont pas encore compris que l’Occident, comme l’a bien montré Georges Corm (‘‘L’Europe et le mythe de l’Occident’’, Paris, La Découverte, 2009), n’est qu’un mythe battu en brèche par l’évolution du monde à l’ombre du triomphe de la mondialisation du néolibéralisme et de la révolution conservatrice. Seules les victimes de cette mondialisation, au Nord, dont l’Europe, et au Sud, croient encore en cette chimère. L’Europe a encore du mal à réaliser que ce mythe ne correspond plus à aucune réalité; c’est cette illusion qui la fait encore courir derrière les Etats-Unis, malgré toutes les humiliations qu’ils lui font subir, en croyant qu’ils peuvent la protéger dans le cadre d’un Otan qui n’a plus aucune raison d’être depuis la disparition du Pacte de Varsovie et l’implosion de l’Union Soviétique.
Les humiliations que Trump ne cesse de faire subir aux Européens en négociant derrière leur dos, et à leurs dépens, avec Poutine, la Chine et l’Inde, c’est-à-dire avec ceux qui comptent, vont-elles réveiller l’Europe et l’inciter à accélérer sa construction politique pour ne plus être un appendice négligeable des politiques américaines ? Pour cela, il faut beaucoup de conditions dont la première est de renoncer au dollar comme monnaie d’échange internationale à l’instar du choix des pays du Brics; car le dollar était le principal moyen de domination des Etats-Unis depuis la fin de la Deuxième guerre mondiale et, surtout, depuis 1971, suite à la décision unilatérale de la Maison Blanche mettant fin à sa convertibilité en or, condition de son adoption comme monnaie internationale à Bretton Woods, en 1944. Les dirigeants qui continuent à se faire humilier par la Maison Blanche auront-ils le courage de prendre une telle décision ? Espérons-le, pour l’intérêt de leur pays et, surtout, pour renforcer la lutte contre l’hégémonisme et l’arrogance des Etats-Unis.
* Professeur honoraire de l’Université Lyon2.
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