La Foire du livre constitue un espace idéal et particulier de rencontre entre ceux et celles qui écrivent, éditent ou présentent le livre, et ce, sans, parfois, le savoir. Ainsi, des relations se tissent et peuvent aboutir à des projets autour de manuscrits, de rééditions ou de traductions d’œuvres de tout genre.
Parmi ceux que nous avons rencontrés entre les allées abritant les stands des exposants le poète et auteur dramatique Tarek Essaker. Vivant à Liège en Belgique depuis plus de quarante ans il a été un acteur culturel actif dans le milieu culturel belgo-français au niveau de la poésie, du théâtre et du spectacle de scène. Quittant la Tunisie en 1978 depuis sa ville natale, Gafsa, dans des conditions particulières, nous avons voulu en savoir plus sur lui, sur son itinéraire et sur son parcours.
Délimitant les contours de cette interview, que j’ai voulu ouverte plus sur le pensif plus que sur le présentatif, le traitement de l’itinéraire du poète se fait ainsi autour de ce qu’il est comme être idéal et non comme un paraître avec un ensemble de réalisations datées et d’événements vécus.
Qui est Tarek Essaker ?
Je suis un îlot de pensées, d’histoire, de réflexions et de mémoire qui, dans leurs singularités, tiennent à leur particularité en tant qu’authenticité qui participe « au tout monde » pour enrichir et s’enrichir. L’idée de partage est l’idée centrale dans le relationnel, elle constitue le fil conducteur et la conduite même entre « le Soi » et « l’Autre » étant quelqu’un qui a choisi de vivre ailleurs que « chez soi ».
Est-ce que cette définition que vous vous donnez de vous-même est fille de votre exil?
Certainement. C’est tout un cheminement de l’histoire et de la condition humaine, aiguisé par une conscience politique qui refuse un état de fait injuste à plusieurs niveaux, d’un jeune Tunisien expulsé de tous les lycées de la république suite à sa participation aux manifestations qui ont suivi, à Gafsa et dans tous le pays, les événements du 26 Janvier 1978. Le pays vivait à cette époque la dictature du Parti Unique avec une répression sanglante et policière qui a touché les jeunes dans leur avenir. Plusieurs milliers comme moi ont vu le même sort en perdant l’espoir d’accéder au savoir qui leur permettrait de s’émanciper. Ceci m’a poussé à quitter le pays pour m’installer d’abord à Paris puis en Belgique et plus précisément à Liège.
Cette immigration était-ce une immigration pour pallier une situation matérielle défaillante ou était-ce une migration mentale qui refusait un système dans son ensemble?
C’était vécu comme un bannissement, un arrachement aux racines, à ce qui constitue ce que je suis en tant qu’entité culturelle, mentale et historique. Cela n’avait rien à voir avec le matériel.
Ce n’était pas facile.
Non pas du tout, parce qu’il fallait réaliser ce qui était pour moi nouveau et trouver les repères nécessaires pour vivre en symbiose avec ce nouveau contexte et conditions tout en sauvegardant mon « Moi ».
« Le Moi » oui et « l’Autre » alors ?
Ce n’est pas du hasard mais de la nécessité. Ce faisant, en cheminant, l’autre est devenu une partie du « Moi ». C’est à la fois un enrichissement personnel que collectif pour arriver enfin à ce « Vivre ensemble » que je suis en train de vivre en tant qu’immigré intégré bien entendu à ma manière de penser le monde et de le vivre.
Oui mais vous ne m’avez pas encore dit qui vous êtes.
Je suis au départ poète. Cela se manifeste par un ensemble de recueils de poésie en langue française, éditée aussi bien en France qu’en Belgique, avec des traductions en arabe, en italien et en espagnol. Une quinzaine de recueils dont le premier s’intitule « Des Grilles parfumées de passé » édité par Tetras Lyre à Liège (Belgique) en 1989.
Le cheminement était-il que poétique ?
Non. La poésie m’a donné soif d’autres modes d’expression. Au fait je me suis toujours rappelé qu’au départ le cinéma était mon premier amour. J’étais cinéaste amateur membre du club de Gafsa où j’ai réalisé un court métrage sur les conditions de vie et de travail des ouvriers de Métlaoui en 1975/1976. Mon appartenance à la poésie ne m’a pas empêché d’aborder l’art de la scène, du spectacle et de l’écriture dramatique.
Pour ce faire, la poésie, chez vous, s’est beaucoup associée à la musique. Comment avez-vous vécu cette expérience et avec qui ?
J’ai toujours pensé que la poésie nécessitait un passage à son oralité d’où l’idée de la mise en voix et la mise en musique de mon recueil édité par L’ARBRE A PAROLES à Amay en Belgique, « Les Cheminants », en collaboration avec le musicien tunisien vivant en France, Ziad Ben Youssef qui est le traducteur du recueil. Ziad est musicien, compositeur et luthiste de talent.
Il opère en France et ailleurs à partir de la région de Bordeaux où il est installé. Dans sa musique il a cette capacité de marier des genres musicaux atypiques en s’inspirant des musiques des terroirs, tunisienne, arabe, andalouse, indienne, iranienne, afro-américaine et latino. Ma collaboration avec lui datait de 2015.
Nous nous sommes rencontrés sur un projet franco-belge destiné aux Journées Théâtrales de Carthage « Les sages du désert », spectacle poético-musical bilingue arabo-français écrit par Paul André qui a vécu pendant trois années à Kairouan, et depuis nous cheminons ensemble. « Les Cheminants », en tant que spectacle poético-musical, s’inscrit dans ce sens et est réalisé en collaboration avec Perrine Fifadji, chant, musique de Ziad ben Youssef, Jean Luc Thomas et Yacine Amaouchene dans une mise en scène de Tarek Essaker
Pensez-vous vous produire ou vous faire éditer en Tunisie ?
Me produire ici cela ne peut être que dans le cadre d’une collaboration avec une maison de production, il y a peut-être un espoir. Cela dépend de certaines conditions, le projet murit encore. Quant à l’édition, cela serait une forme de retour aux sources et la fin d’un long parcours d’errance. Se retrouver édité dans son pays serait une reconnaissance non uniquement littéraire mais surtout une reconnaissance identitaire qui concilie l’âme avec la géographie de l’origine. Une possibilité est, en effet, envisagée avec une grande maison d’édition de la place pour mon nouveau recueil de poème intitulé « Aux portes de Tunis » et c’est grâce à vous. Je vous en remercie. Par contre, certains de mes recueils circulent dans certaines librairies de la place.
Par Majid JALLOULI