La Russie réussit à contourner les sanctions de l’Occident
Il apparaît de plus en plus clairement que les sanctions imposées par l’Occident à la Russie sont contournables via le commerce avec des pays tiers, non sanctionnés par l’Occident, mais qui continuent de leur côté à échanger avec la Russie. C’est plutôt l’Europe qui subit de plein fouet les effets négatifs de ces sanctions.
Habib Glenza
Depuis l’annexion de la Crimée en 2014, et surtout après l’invasion de l’Ukraine en 2022, les États-Unis et l’Europe ont imposé plus de 16 000 sanctions à la Russie, de quoi mettre à plat plus d’une économie dans le monde.
En effet, presque tous les secteurs sont ciblés : embargo sur le pétrole et le gaz, gel des avoirs russes à l’étranger (300 milliards de dollars), restrictions financières, interdiction de l’exportation de certains biens vers la Russie, fermeture des routes aériennes et maritimes… bref tous les secteurs économiques ont été dans le viseur des pays occidentaux. Le manque à gagner pour l’État russe serait équivalent à 400 milliards d’euros, selon des sources américaines
Ces sanctions sont-elles efficaces ? La réponse est oui, selon la représentation de la France auprès de l’Union européenne (UE) : la Russie investit désormais très peu dans l’innovation et les sanctions sur des produits comme les avions ou les semi-conducteurs ont un impact direct sur l’économie du pays.
Néanmoins, il apparaît de plus en plus clairement que les sanctions sont contournables via le commerce avec des pays tiers, non sanctionnés par l’Occident, mais qui continuent de leur côté à échanger avec la Russie.
Plusieurs médias européens confirment que les exportations de l’UE et des États-Unis vers le Kirghizistan ont été multipliées respectivement par 10 et par 4 entre 2021 et 2023. Des chiffres similaires pour l’Arménie.
Ce boom des exportations est d’autant plus suspect qu’il concerne des secteurs précis tels que les importations d’automobiles qui ont augmenté de 1 428% en 2022 et celles de machines électriques de plus de 1 000%. Au Kazakhstan, par exemple, les importations de smartphones et d’ordinateurs en provenance de l’Union européenne ont explosé au cours de l’année 2022. Le Kirghizistan s’est mis à importer des composants aéronautiques depuis les États-Unis.
Des moyens de contournement
Parallèlement, on assiste à une explosion des exportations de ces mêmes pays vers la Russie, ce qui montre que certains États de l’espace post-soviétique servent de plateformes de réexportation: des entreprises locales achètent des technologies occidentales pour les réexpédier chez leur grand voisin. Ces flux commerciaux sont problématiques, car certains des produits concernés sont classés par l’UE comme des «biens à double usage» ou des «technologies avancées cruciales» qui peuvent être détournés à des fins militaires.
Des médias occidentaux ont aussi révélé l’existence d’un milliard de dollars de «produits fantômes», en principe exportés depuis l’Europe vers ces pays tiers, mais qui n’arrivent jamais à destination et sont, selon toute vraisemblance, acheminés vers la Russie. D’autres pays que les anciennes républiques soviétiques servent de zones de transit pour le contournement des sanctions, comme la Turquie (par ailleurs membre de l’Otan), les pays du Golfe et l’Inde.
Depuis le début de la guerre, Moscou a recours à de nombreuses autres stratégies pour contourner les sanctions, notamment en opérant des transactions par l’intermédiaire de banques de pays du Golfe. Un autre moyen technique est déployé par la Russie, selon le Financial Times : la constitution d’une flotte fantôme de méthaniers pour pouvoir acheminer les hydrocarbures. Ces bateaux vieillissants seraient plus vulnérables aux accidents et aux marées noires. «Le plan, révélé dans des lettres adressées à un organisme de promotion commerciale étroitement lié aux services de sécurité russes, visait à utiliser les importantes réserves de roupies amassées par les banques russes grâce à l’essor des ventes de pétrole à l’Inde», écrit le journal britannique.
Cependant, les sanctions continuent de se durcir, touchant également des opérateurs européens. La Banque centrale européenne (BCE) a exigé des banques du continent toujours actives en Russie qu’elles interrompent leurs paiements internationaux, à l’instar de la banque autrichienne Raiffeisen, très active en Russie, qui a annoncé à ses clients, des sociétés européennes présentes sur place, qu’elle interrompt les opérations de paiements à l’international émises depuis ce pays à partir de septembre 2024. La BCE a aussi exigé de cette banque qu’elle réduise de 65% ses prêts à des clients russes d’ici à 2026.
Les sanctions n’ont pas apporté les résultats escomptés
Le Trésor américain a lancé une nouvelle vague de sanctions, prévoyant notamment de très lourdes amendes (et des peines de prison) pour les banques des pays d’Europe et du Golfe qui contournent les mesures adoptées contre la Russie. «Aujourd’hui, les efforts de Washington pour combler ces failles semblent porter leurs fruits. La principale banque publique de Dubaï a fermé certains comptes détenus par des oligarques russes et des négociants en pétrole russe», indique le Wall Street Journal. «Les États-Unis ont également mis en demeure les banques de Vienne, un autre pôle financier important», ajoute le même média.
Toutefois, la question de l’efficacité des sanctions occidentales continue de faire débat. Deux ans et demi après le début de la guerre, l’étau économique semble inefficace. Car, en dépit des sanctions imposées, notamment par les Etats Unis et l’UE, l’économie russe a bouclé l’année 2023 avec une croissance de 3%, un record qui a déjoué tous les pronostics. Le FMI a prévu une croissance de 2,6% pour la Russie en 2024, une performance qui surpasse largement les prévisions pour la zone euro qui devait réaliser un taux faible passant de 0,5% en 2023 – dû certainement à l’aide militaire et financière massive à l’Ukraine – à 0,9% en 2024.
L’économie allemande victime du conflit russo-ukrainien
Pour sa part, l’économie allemande sombre, en raison de la crise énergétique. Bien avant 2022, le gaz russe bon marché coulait à flots par le gazoduc North Stream I. Après le sabotage de ce gazoduc, les Allemands ont commencé à importer du gaz de schiste des Etats-Unis, qui coûte quatre à cinq fois plus cher, en plus il est extrêmement polluant. Sachant que l’énergie représente plus de 30% du coût de production, certains producteurs allemands ont fermé leurs portes, d’autres ont réduit leurs activités comme Volkswagen, Basf ou se sont carrément installés aux Etats-Unis où l’énergie coûte moins cher.
De quoi permettre à Poutine de jubiler en déclarant : «Celui qui sème le vent, récolte la tempête».
L’article La Russie réussit à contourner les sanctions de l’Occident est apparu en premier sur Kapitalis.