La gouvernance verte : une nécessité et non un luxe
Avec l’intensification des effets du changement climatique, la surconsommation et la dégradation des ressources naturelles, la perte accélérée de biodiversité, et les crises économiques, la gouvernance verte est devenue une nécessité pour répondre aux défis environnementaux contemporains, promouvoir un développement durable et garantir un avenir meilleur pour tous.
Dr Fathia Hamzaoui
La gouvernance verte est une approche permettant de concilier croissance économique et durabilité environnementale, en intégrant des pratiques écologiques dans les politiques économiques et les décisions des entreprises. L’idée principale est de démontrer que les objectifs économiques peuvent être atteints sans compromettre les ressources naturelles et l’environnement, mais au contraire, en les protégeant.
Concrètement, il s’agit d’un ensemble de politiques, d’initiatives et de pratiques visant à intégrer les enjeux écologiques dans les décisions économiques et sociales.
En mettant l’accent sur la durabilité, la gouvernance verte encourage des décisions qui privilégient des modèles de développement plus propres et plus responsables. Cependant, la gouvernance verte est cruciale pour promouvoir un développement économique qui soit à la fois équitable et respectueux de l’environnement.
Ainsi, loin de freiner la croissance, la gouvernance verte permet de bâtir un modèle de développement plus juste et plus durable, où l’économie et l’écologie se renforcent mutuellement.
Dans cet article nous allons exposer les principes fondamentaux de la gouvernance verte,comment celle-ci peut soutenir la croissance économique, et où en est la gouvernance verte en Tunisie.
Les principes fondamentaux
Les grands principes de la gouvernance verte sont des lignes directrices visant à intégrer la durabilité et la préservation de l’environnement dans la prise de décision économique, politique et sociale. Ces principes orientent les actions des gouvernements, des entreprises et de la société civile pour une croissance qui respecte les limites écologiques de la planète.
1. Le principe de durabilité exige que les décisions prises aujourd’hui répondent aux besoins des générations actuelles sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs. Cela implique une gestion prudente des ressources naturelles, de l’énergie, et des écosystèmes.
2. Le principe de précaution stipule qu’en cas d’incertitude scientifique sur les impacts environnementaux potentiels d’une activité, des mesures préventives doivent être prises pour éviter ou minimiser les risques. Cela s’applique notamment dans les domaines liés aux produits chimiques, à la pollution et aux nouvelles technologies.
3. Le principe de pollueur-payeur stipule que les entreprises ou individus responsables de la pollution ou des dommages environnementaux doivent en assumer les coûts, plutôt que de les transférer à la société ou aux générations futures.
4. Le principe de participation dela gouvernance verte valorise l’inclusion des parties prenantes, y compris les citoyens, les ONG, et les entreprises, dans les décisions qui affectent l’environnement. Les décisions prises sont ainsi mieux informées, transparentes et acceptées par la société, ce qui renforce leur efficacité.
5. Le principe de transparence et de responsabilité dans la gouvernance verte signifie que les informations relatives aux politiques, aux impacts environnementaux et aux mesures prises sont accessibles à tous. Cela va de pair avec une responsabilité accrue des gouvernements et entreprises, qui doivent rendre compte de leurs actions et de leur conformité aux normes environnementales.
6. Le principe d’innovation et d’adaptation : enencourageant l’innovation, la gouvernance verte aide à trouver des solutions respectueuses de l’environnement, telles que les technologies propres et les énergies renouvelables. De plus, elle reconnaît la nécessité de s’adapter aux changements climatiques et aux évolutions des écosystèmes pour répondre efficacement aux enjeux écologiques.
7. Le principe d’équité intra- et intergénérationnelle vise à assurer que les ressources naturelles et les bénéfices d’un développement durable sont partagés équitablement, tant entre les générations actuelles qu’entre les générations présentes et futures.
8. Le principe de résilience dont se réclame la gouvernance verte valorise des systèmes économiques et sociaux capables de résister aux chocs écologiques et économiques. Cette gouvernance favorise des systèmes de production plus économes en ressources et réduit la vulnérabilité aux pénuries de matières premières, aux catastrophes naturelles et aux fluctuations des prix de l’énergie fossile.
Ces principes majeurs constituent le socle de la gouvernance verte et orientent les politiques vers un développement économique respectueux des limites de la planète. Ils permettent de concilier croissance, bien-être, et préservation de l’environnement pour un avenir plus durable.
Quels bénéfices pour la croissance économique ?
Une gouvernance verte ne se contente pas de protéger l’environnement, elle peut également catalyser une croissance économique durable et inclusive à travers plusieurs mécanismes.
1. L’innovation technologique et compétitivité : en favorisant la recherche et l’innovation en technologie verte, comme les énergies renouvelables, l’agriculture durable, et les transports écologiques, la gouvernance verte permet de réduire les coûts à long terme, de stimuler des secteurs émergents et de créer des emplois dans l’économie verte.
2. La création d’emplois verts : latransition vers une économie verte génère des emplois dans les secteurs des énergies renouvelables, de l’efficacité énergétique, de la gestion des déchets, et du transport durable. Ces emplois contribuent à la croissance économique tout en réduisant les impacts écologiques.
3. La fiscalité verte peut être utilisée comme un levier pour encourager les comportements écologiques. Par exemple, des taxes sur le carbone ou des subventions pour les énergies renouvelables incitent les entreprises et les consommateurs à réduire leur empreinte écologique tout en stimulant des investissements dans des secteurs verts.
4. L’accès à des financements verts : de plus en plus d’institutions financières et d’investisseurs favorisent les projets et entreprises qui respectent des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance. Les obligations vertes, les fonds d’investissement durables et les subventions permettent de mobiliser des ressources pour financer des projets de croissance économique durable. Les entreprises et gouvernements engagés dans la gouvernance verte peuvent accéder plus facilement à ces financements, favorisant des projets écologiques et rentables.
5. La réduction des risques économiques : en intégrant les considérations environnementales, la gouvernance verte réduit les risques économiques associés aux changements climatiques, à la pollution et à la dégradation des ressources naturelles. Des risques comme les catastrophes naturelles, la raréfaction des matières premières ou la volatilité des prix des combustibles fossiles sont ainsi minimisés.
6. Le renforcement de la résilience économique : la gouvernance verte soutient des économies moins dépendantes des ressources fossiles et plus autonomes énergétiquement. En adoptant des systèmes agricoles et industriels résilients aux aléas climatiques, elle favorise une croissance plus stable.
7. La valorisation des ressources naturelles et des écosystèmes : la gouvernance verte reconnaît la valeur économique des écosystèmes sains. Par exemple, le développement de l’écotourisme génère des revenus tout en préservant la biodiversité. De même, des écosystèmes en bonne santé fournissent des «services écosystémiques» essentiels pour la croissance économique.
8. Réglementations et normes environnementales : la mise en place de normes strictes pour la gestion des ressources et le contrôle des émissions encourage les entreprises à adopter des pratiques durables. Plutôt que de freiner la croissance, cela stimule la compétitivité, car les entreprises adoptant des technologies propres gagnent en efficacité et en image de marque.
Initiatives et politiques pour la Tunisie
Pour assurer une croissance économique durable en Tunisie, tout en protégeant les ressources naturelles et l’environnement, il sera crucial de renforcer le cadre juridique, d’attirer des financements verts, et de promouvoir une culture de durabilité parmi les entreprises et les citoyens tunisiens. Notre pays cherche à mettre en œuvre des politiques qui intègrent des pratiques respectueuses de l’environnement dans tous les secteurs économiques. Voici quelques initiatives :
1- Stratégie nationale de développement durable (SNDD) : mise en place pour orienter le pays vers un modèle de développement plus vert et plus durable.
2- Plan solaire tunisien : lancé pour encourager le développement des énergies renouvelables, notamment l’énergie solaire et éolienne, afin de réduire la dépendance aux énergies fossiles et de diminuer les émissions de gaz à effet de serre.
3- Code de l’environnement : bien que nécessitant une mise à jour, ce code établit des directives pour la protection de l’environnement et l’utilisation durable des ressources naturelles.
4- Le Plan solaire tunisien (PST) : a pour objectif d’atteindre 30 % de la production d’énergie nationale à partir de sources renouvelables d’ici 2030. Cette transition vise à limiter les émissions de CO₂ et à réduire la dépendance aux énergies importées.
5- Des projets de dessalement d’eau : des initiatives de dessalement et réduction des pertes d’eau sont en cours. Le pays explore également des technologies d’irrigation plus économes pour l’agriculture, un secteur majeur en termes de consommation d’eau.
6- Des projets de gestion de déchets : sont en place pour encourager le tri, la réutilisation, et le recyclage des matériaux, notamment via des programmes de sensibilisation et des incitations fiscales pour les entreprises qui s’engagent dans une économie circulaire.
7- Le développement de l’écotourisme : avec des projets visant à protéger les zones naturelles et à promouvoir des pratiques respectueuses de l’environnement parmi les hôtels et les opérateurs touristiques.
8- Renforcement de la société civile et de la participation citoyenne : pour promouvoir la sensibilisation environnementale et encourager des pratiques durables au niveau local. La participation de la société civile et des citoyens est essentielle pour garantir une gouvernance transparente et participative.
En conclusion, la gouvernance verte offre un cadre permettant d’allier croissance économique et durabilité. Elle vise à promouvoir une économie résiliente, respectueuse de l’environnement et inclusive, où les gains économiques d’aujourd’hui ne se font pas aux dépens des générations futures.
La gouvernance verte remet en question la croissance basée uniquement sur le produit intérieur brut (PIB), en encourageant des indicateurs alternatifs comme le bien-être, la santé des écosystèmes et la qualité de vie. Elle propose un modèle de développement où la prospérité n’est pas seulement quantitative mais aussi qualitative, intégrant la satisfaction des besoins humains, la protection de l’environnement, et la justice sociale.
En somme, la gouvernance verte vise à montrer que la croissance économique et la durabilité environnementale peuvent aller de pair. En encourageant un développement qui respecte les limites de notre planète, elle propose une croissance non seulement viable, mais aussi résiliente et inclusive.
* Docteur en sciences économiques.
Références
1. Duit, A. (2016). « The Four Faces of the Environmental State: Environmental Governance Regimes in 28 Countries » Environmental Politics, 25(1).
2. Meadowcroft, J. (2007). « Who is in Charge here? Governance for Sustainable Development in a Complex World » Journal of Environmental Policy & Planning, 9(3-4).
3. Bowen, A., & Hepburn, C. (2014). « Green Growth: An Assessment » Oxford Review of Economic Policy, 30(3).
4. Kemp, R., & Loorbach, D. (2003). « Governance for Sustainability Through Transition Management » Innovation: The European Journal of Social Science Research, 16(4).
5. Baker, S., & Eckerberg, K. (2008). « In Pursuit of Sustainable Development: New Governance Practices at the Sub-national Level in Europe » Journal of Environmental Planning and Management, 51(6).
6. World Bank (2012). « Inclusive Green Growth: The Pathway to Sustainable Development »
7. OECD (2011). « Towards Green Growth »
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