Les autorités judiciaires n’ont pas perdu beaucoup de temps avant de passer à l’action et d’appliquer les instructions du ministère de la Justice pour sévir contre les «créateurs de contenus» portant atteinte à la moralité publique sur les réseaux sociaux, et notamment Tik-Tok et Instagram.
En effet, le ministère public auprès du Tribunal de première instance de Tunis a émis lundi 28 octobre 2024 cinq mandats de dépôt contre quatre «créateurs de contenu» et une «instagrameuse», pour des accusations liées à des comportements obscènes et harcèlement d’autrui sur les réseaux sociaux, ainsi que d’autres accusations d’ordre moral, a rapporté Mosaïque FM, hier soir, lundi 28 octobre, en citant une source bien informée.
Rappelons que la ministre de la Justice Leila Jaffel a, dans un communiqué publié samedi, autorisé le ministère public à «prendre les mesures légales nécessaires pour lutter contre les personnes utilisant les réseaux sociaux, notamment Tik-Tok et Instagram, pour diffuser des contenus numériques en nette contradiction avec les bonnes mœurs par l’usage de certaines expressions ou l’apparition dans des poses portant atteinte à la moralité publique et aux valeurs de la société, et qui pourraient influer négativement sur les comportements des jeunes interagissant dans les plateformes électroniques signalées».
Le ministère a autorisé le ministère public «à prendre les mesures légales nécessaires pour faire face à ces pratiques et à ouvrir des instructions judiciaires contre quiconque produit, présente et diffuse des contenues numériques, des photos ou des vidéos présentant des contenus immoraux».
Ces derniers jours, les médias poubelles et nombre de célébrités décérébrés sont montés au créneau pour dénoncer le «contenu immoral» de certains utilisateurs de Tik-Tok. Cela dénote une chose toute simple : la crainte des Tunisiens conservateurs de voir leurs compatriotes s’affranchir de la tutelle étouffante de la morale et se frayer un chemin vers une plus grande liberté sexuelle. Leurs cris d’orfraie et jérémiades ne sont pas tombés dans l’oreille d’un sourd… Et ce qui était prévisible arriva !
Mohamed Sadok Lejri *
En effet, le ministère de la Justice vient de faire savoir que des mesures légales seront prises à l’encontre de toute personne qui commettrait un outrage aux bonnes mœurs et à la morale publique sur Tik-Tok et Instagram.
Ainsi, le pouvoir a décidé de faire plaisir à la plèbe qui, depuis plusieurs jours, s’adonnait à une frénésie de délires vertueux à travers les réseaux sociaux. Cette plèbe rêve d’expédier en taule tous ceux (et surtout toutes celles) qui réfutent sa moraline, toutes celles et tous ceux qui refusent d’adhérer à son système de valeurs réactionnaires et liberticides, toutes celles et tous ceux qui refusent de faire le jeu du conformisme intellectuel sclérosant dans lequel patauge cette plèbe.
Le pouvoir s’aligne sur la doxa sociale
Le Tunisien moyen, conservateur et conformiste comme il est, redoute comme la peste la sécularisation de la société et l’émancipation des corps et des plaisirs. Et le pouvoir, en satisfaisant les desiderata des «oreilles chastes», n’a fait que s’aligner sur la doxa sociale et sur les diktats des tenants du discours qui dégouline de morale et de toutes sortes de mièvreries dont raffolent les simples d’esprit.
Ce pas de plus vers la restriction des libertés permet aux conservateurs et aux bondieusards qui prônent la censure au nom de la morale et des bonnes mœurs de conserver le monopole du contrôle de l’espace public (réel et virtuel).
Tant qu’à faire, pourquoi ne pas créer un comité pour le commandement de la vertu et la répression du vice (هيئه الأمر بالمعروف و النهي عن المنكر) ?
Personnellement, je suis prêt à m’accommoder de l’absence de démocratie et de liberté politique, ou plutôt à m’y résigner. Si les Tunisiens n’en veulent pas, libres à eux ! En revanche, la répression des mœurs, celle qui s’exerce au nom de la morale et des bonnes mœurs, nous livre à une sorte d’inquisition moyenâgeuse et touche à ce qu’il y a de plus sacré : la liberté individuelle.
La judiciarisation des comportements jugés comme contraire à la morale publique et aux bonnes mœurs n’est pas sans nous rappeler les pires heures de l’Histoire de l’humanité.
Le choc des consciences
Il faut comprendre que la provocation des conservateurs et le choc des consciences participent à la transformation de la société. C’est un passage obligé si l’on veut sortir du vieux dispositif qui sanctifie la morale et qui s’appuie sur la répression des mœurs jugées inconvenantes par une grande partie de la société.
Seul un électrochoc désinhibiteur affaiblira les tabous religieux et sexuels. C’est le seul moyen d’en finir avec le conformisme intellectuel sclérosant, la censure morale et religieuse et les inhibitions qui lui sont liées d’une manière consubstantielle et qui sont à l’origine de tant de névroses en terre d’Islam.
Cette décision populiste du pouvoir en place n’est bonne qu’à entretenir la société tunisienne dans sa misère affective, sentimentale et sexuelle.
P.S. 1 : Pourquoi ne pas fermer les sites pornos, avant de poursuivre en justice les Tunisiens qui font preuve d’une «hardiesse excessive»? Est-ce parce que les acteurs ne sont pas Tunisiens et l’identification à ces derniers n’est pas évidente ?
Ainsi, une étrangère peut me donner la trique sur internet et sur les réseaux sociaux. En revanche, quand il s’agit d’une Tunisienne, ça relève de l’honneur de toute une nation ? Comme si l’honneur d’un pays se trouvait dans l’entrejambes de ces femmes ! Si c’était le cas, les pays arabes ne seraient pas en bas de la liste des priorités des grands de ce monde.
L’on tient absolument à vivre dans une prison morale et à régir le moindre de nos comportements et pensées par un système de valeurs contraignantes et anachroniques, alors autant commencer par les priorités les plus pressantes et s’y cantonner de façon scrupuleuse. Ne faisons pas les choses à moitié.
P.S. 2 : Ceux qui croient que les islamistes sont les instigateurs de cette décision du ministère de la Justice sont complètement à côté de la plaque. En effet, les Tunisiens n’ont pas besoin des islamistes pour pousser des cris d’orfraie et appeler à la censure. Ils sont foncièrement conformistes et moralisateurs et estiment que, dans un pays arabo-musulman et conservateur, l’Etat doit s’inscrire dans une logique prohibitive dès qu’il s’agit de choses moralement répréhensibles.
En somme, la censure les rassure. Elle leur donne l’impression de vivre dans un pays où l’Etat dégaine le sabre de l’oppression dès que les «fossed» tentent d’injecter le «poison de la débauche» à travers les réseaux sociaux ou les fictions qu’ils diffusent sur leurs chaînes de télévision.
L’avocat Mehdi Louati, président de l’Association tunisienne de lutte contre la cybercriminalité, a déclaré qu’«il y a des principes moraux fondamentaux qui ne changent pas, surtout que nous vivons dans une société arabo-musulmane».
Me Louati, qui intervenait dans l’émission Ahla Sbah sur Mosaïque FM ce lundi 28 octobre 2024, commentait la décision de la ministre de la Justice d’ouvrir des instructions contre quiconque diffuse des «contenus immoraux» sur les réseaux Tik-Tok et Instagram.
«Ce phénomène existe depuis quelque temps et certaines voix se sont élevées sur les réseaux sociaux pour demander l’intervention de l’Etat à travers le ministère public pour y mettre fin», a-t-il dit, ajoutant que «ce qui est considéré comme délictueux dans la vie réelle l’est également dans le monde virtuel. Aussi l’Etat a-t-il un rôle important à jouer à cet égard».
«Quand vous naviguez sur Tik-Tok, par exemple, vous constaterez que certaines pages dans ce réseau sont en passe de se transformer en des nids de prostitution. Et pareille pratique requiert une sanction pénale», a estimé Me Louati.
Rappelons que la ministre de la Justice Leila Jaffel a, dans un communiqué publié avant-hier, autorisé le ministère public à «prendre les mesures légales nécessaires pour lutter contre les personnes utilisant les réseaux sociaux, notamment Tik-Tok et Instagram, pour diffuser des contenus numériques en nette contradiction avec les mœurs publiques par l’usage de certaines expressions ou l’apparition dans des poses portant atteinte à la moralité publique et aux valeurs de la société, et qui pourraient influer négativement sur les comportements des jeunes interagissant dans les plateformes électroniques signalées».
Le ministère a autorisé le ministère public «à prendre les mesures légales nécessaires pour faire face à ces pratiques et à ouvrir des instructions judiciaires contre quiconque produit, présente et diffuse des contenues numériques, des photos ou des vidéos présentant des contenus immoraux».
Les «contenus immoraux» sur les réseaux sociaux sont sanctionnés par la loi en Tunisie, a déclaré le juge Ferid Ben Jha, ajoutant que le réseau Tik-Tok regorge de scènes constituant une atteinte flagrante à la moralité publique.
Ben Jha, qui intervenait ce lundi 28 octobre 2024 dans l’émission Sbah Ennes sur Mosaïque, a indiqué que des peines pouvant atteindre 6 mois de prison sont prévues par la loi tunisienne pour quiconque portant publiquement atteinte aux mœurs.
Celui qui utilise les enfants dans ce genre de contenu peut écoper d’une peine de plusieurs années de prison avec une amende d’un montant de 50 millions de dinars, et ce conformément au Décret-loi n° 2022-54 du 13 septembre 2022, relatif à la lutte contre les infractions se rapportant aux systèmes d’information et de communication.
Le juriste a, par ailleurs, appelé les membres de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) à amender le Code pénal et le Décret-loi 54 pour renforcer les sanctions pour quiconque diffuse un contenu érotique, car cela est en flagrante contradiction avec les spécificités culturelles de l’Etat tunisien, qui est arabe et musulman, selon ses termes.
En ce qui concerne les Tunisiens résidents à l’étranger, Ben Jha a déclaré que «tout Tunisien qui commet un crime hors du territoire national peut être jugé par l’Etat tunisien en Tunisie sur la base de sa nationalité et peut même demander son extradition par son pays de résidence».
Cette réaction fait suite à la levée de bouclier provoquée sur les réseaux sociaux par certaines vidéos carrément pornographiques diffusées par des internautes tunisien(ne)s sur le réseau Tik-Tok, qui est en passe de devenir une véritable poubelle où tout est étalé.
Les tenants de la moralité publique exigent des sanctions assez dissuasives pour mettre fin à ce phénomène, alors que les défenseurs des libertés et des droits avertissent contre les dérives de la chasse aux sorcières qui se prépare et qui risque d’atteindre certains producteurs de contenus.