Drame de Mezzouna | Les autorités aux abonnés absents
Kais Saïed a enfin réagi au drame survenu hier, lundi 14 avril 2025, à Mezzouna (Sidi Bouzid) où trois élèves de 18 et 19 ont trouvé la mort dans l’effondrement d’un mur devant leur lycée… Pour botter en touche et se défausser sur quelques responsables régionaux.
Imed Bahri
«Le destin a voulu que ce mur ne s’effondre pas lors du séisme d’une magnitude de 4 degrés sur l’échelle de Richter, survenu le 17 février de cette année, mais qu’il le fasse plus tard», a-t-il déclaré dans ce qui ressemble à une vaine (et bien tardive) explication qui ne justifie rien et ne console personne, en tout cas pas les parents des élèves décédés ou blessés, leurs camarades et les habitants de Mezzouna qui savaient que ce mur menaçait ruine depuis des années et avaient déjà signalé la menace aux autorités régionales et nationales à plusieurs reprises.
Ils auraient sans doute mieux apprécié de voir le président de la République, la cheffe du gouvernement ou, tout au moins, le ministre de l’Education ou son collègue de la Santé se rendre sur place pour partager la douleur des familles des victimes, mais ces chers responsables n’ont pas cru devoir le faire, par peur peut-être de faire face à la douleur et à… la colère.
La démission des autorités publiques
Pis encore, même les responsables locaux et régionaux ont brillé par leur absence et leur silence, et les journalistes qui les ont sollicités sur place, notamment ceux des médias publics (Radio et Télévision nationales, agence Tap, etc.), n’ont pas réussi à avoir la moindre déclaration. C’est dire que le drame a été très mal géré par les autorités publiques qui ont perdu une nouvelle occasion pour se rendre utiles.
Dans un communiqué publié tôt ce matin, longtemps après le drame, le président de la république a «exprimé sa profonde douleur à la suite du décès des élèves dans la ville de Mezzouna (…) après l’effondrement d’un mur menaçant ruine depuis longtemps».
«Ce mur, comme d’autres, n’avait pas besoin ni d’experts ni de commissions, mais simplement d’être reconstruit», s’est indigné le président lors de sa rencontre, lundi soir, au Palais de Carthage, avec la cheffe du gouvernement, Sarra Zaâfrani Zenzeri, ajoutant que la question ne relève pas uniquement des législations, mais de leur application par ceux qui en ont la charge. «Une révolution législative ne peut réussir que si elle est accompagnée d’une révolution dans les esprits», a-t-il affirmé.
Selon un communiqué de la présidence, le chef de l’État a donné ses instructions pour que la responsabilité soit assumée par toute personne ayant failli à son devoir. Des sanctions vont donc suivre…
Saïed a également insisté sur la nécessité d’anticiper afin d’éviter la répétition de tels drames et d’accélérer les travaux de maintenance indispensables dans tous les établissements scolaires qui en ont besoin.
Il a également abordé, lors de cette rencontre, le fonctionnement de plusieurs services publics, en soulignant que la révolution législative, dans le cadre du combat de libération nationale, ne pourra atteindre ses objectifs que si elle est portée par des responsables animés par l’esprit de lutte, de sacrifice et de dévouement.
Pour le reste, rien ne permet de penser que les milliers d’établissements éducatifs qui menacent ruine dans toutes les régions du pays vont bientôt être restaurés pour la simple raison que le budget de l’Etat pour l’année 2025 n’a pas prévu des sommes nécessaires pour de tels travaux. Et au-delà de cette logorrhée officielle qui ne fait pas manger son homme, les Tunisiens savent à quoi s’en tenir réellement : les équipements publics délabrés vont continuer à l’être encore longtemps, puisque l’essentiel du budget de l’Etat continue d’être dépensé dans le paiement des salaires et que le budget d’investissement continue de fondre comme neige au soleil. Alors des lycées décents pour nos enfants, ce n’est sans doute pas pour demain la veille !
Une transe morbide
Ce sentiment de désenchantement est partagé par beaucoup de Tunisiens. Et c’est tout naturellement que l’ancien ambassadeur Elyes Kasri l’a exprimé dans un poste Facebook ce matin, car le drame de Mezzouna ne devrait pas occulter, par l’ampleur de l’émotion qu’il a provoquée dans l’opinion, tous autres que nous vivons quotidiennement dans un pays qui gère très mal ses affaires. Nous reproduisons ci-dessous ce texte poignant de vérité :
«Après le drame effroyable de Mezzouna, viendra l’avalanche de larmes, certaines sincères et d’autres de crocodiles, ainsi que la sempiternelle chasse aux boucs émissaires.
Hélas, il ne serait pas excessif de penser que nous sommes tous coupables. Certains par commission. Mais, l’écrasante majorité par omission et acquiescement plus ou moins complice, chacun selon ses contraintes et raisons propres, d’un concours de circonstances et de choix aux conséquences tragiques.
Au point où en est arrivée la Tunisie, l’effroyable drame de Mezzouna n’est malheureusement ni le premier ni le dernier accident dont sont victimes des jeunes ravis à la fleur de l’âge.
Si les parents des jeunes de Mezzouna, face à leur tragédie poignante, pourront quand même enterrer leurs enfants morts prématurément et insensément, d’autres parents tunisiens n’auront pas eu ce réconfort, car la mer aura étouffé l’énergie du désespoir et englouti le sursaut d’une dernière chance qui ont poussé leurs enfants à l’exil et au naufrage.
Dans une transe morbide, la Tunisie ne cesse de compromettre son avenir et de malmener ses jeunes.»
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