ZOOM – Tunisie : l’économie tourne en rond… et s’enfonce
Peut-on encore parler de relance quand la dette explose, que l’inflation ne fléchit pas, que la croissance piétine et que les politiques publiques s’annulent mutuellement ? Derrière les discours rassurants et les indicateurs fragmentés, une réalité s’impose : la Tunisie n’avance plus (*). Elle tourne sur elle-même, enfermée dans une mécanique sans issue où les solutions d’hier deviennent les problèmes d’aujourd’hui.
Une spirale sans fin
Depuis plus d’une décennie, le pays semble piégé dans un engrenage destructeur : plus la dette augmente, plus les prix s’emballent. Cette spirale, où le surendettement nourrit l’inflation et inversement, mine les équilibres économiques. La dépense publique, censée relancer l’activité, devient au contraire une source d’instabilité. Le pouvoir d’achat des Tunisiens recule, les marges de manœuvre de l’État se réduisent, et les investisseurs s’éloignent. Le moteur tourne… mais sans avancer (**).
Une politique monétaire sous anesthésie
Face à la hausse des prix, la Banque centrale a réagi en relevant ses taux directeurs, espérant ainsi freiner l’inflation. Mais cette stratégie, classique sur le papier, perd toute efficacité dans un contexte de stagnation. Augmenter les taux revient à freiner le crédit, décourager l’investissement et ralentir encore plus une économie déjà essoufflée. Et pendant ce temps, les prix continuent de grimper. Comme si la médecine empirique n’agissait plus sur un patient devenu résistant.
Le piège des politiques qui se neutralisent
En réalité, la Tunisie est tombée dans ce que les économistes appellent une « trappe dette-monnaie » : la dette est si lourde qu’elle empêche toute politique budgétaire de relance, tandis que la politique monétaire, devenue rigide, n’a plus de levier réel. D’un côté, l’État coupe dans ses dépenses pour rassurer ses créanciers ; de l’autre, la Banque centrale bride la liquidité pour contenir les prix.
Résultat : les deux politiques se contredisent, et le pays s’enlise.
Des institutions trop faibles pour changer la donne
Mais le problème ne tient pas seulement à la technique économique. Il est aussi profondément institutionnel. Les politiques publiques, souvent dictées par des urgences électorales ou des arbitrages à court terme, manquent de cohérence. Les décisions sont prises dans l’urgence, sans concertation, sans vision commune entre le gouvernement et la Banque centrale. Et surtout, sans tenir compte du contexte réel : instabilité politique, tensions sociales, volatilité mondiale.
L’illusion du mouvement
Quand un expert affirme que « ça tourne », il ne se trompe pas : oui, la machine fonctionne… mais elle tourne sur elle-même. Le pays bouge sans avancer. Les réformes annoncées se répètent, les ajustements deviennent des habitudes, et le débat économique s’épuise dans des diagnostics déjà connus. Ce n’est plus une crise passagère, c’est une routine de stagnation… sur fond d’inflation.
Sortir du piège, enfin
Rompre avec cette spirale suppose un changement de méthode. Il faut, de toute urgence, rétablir une coordination réelle entre les politiques monétaire et budgétaire. Il faut redonner de la lisibilité à l’action publique, restaurer la confiance, et bâtir des institutions solides, capables de penser le long terme. Sans cela, la Tunisie ne fera que prolonger un statu quo insoutenable. Ce n’est plus une question de chiffres, mais de choix.
===========================
Références :
(*) l’auteur fait référence à un modèle empirique, (un SVAR puis un DSGE simplifié), appliqué au contexte tunisien. Ces modèles visent à analyser l’efficacité croisée des politiques budgétaire et monétaire, en tenant compte de leur interaction, de la crédibilité institutionnelle et des périodes de crise (2000-2010 vs 2011-2020). Ils mettent en évidence que des politiques mal coordonnées dans un environnement instable peuvent générer des effets contre-productifs.
(Pour plus de précisions, contacter l’auteur : tahar.elalmi@gmail.com ).
(**) Étude de l’évolution des salaires réels en Tunisie Avant et après la révolution 2005-2015 https://library.fes.de/pdf-files/bueros/tunesien/14391.pdf
===============================
* Dr. Tahar EL ALMI,
Economiste-Economètre.
Ancien Enseignant-Chercheur à l’ISG-TUNIS,
Psd-Fondateur de l’Institut Africain
D’Economie Financière (IAEF-ONG)
L’article ZOOM – Tunisie : l’économie tourne en rond… et s’enfonce est apparu en premier sur Leconomiste Maghrebin.