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‘‘Un homme’’ | Qui voulait donc la peau de Panagoulis, ce héros ambigu ?

16. März 2025 um 08:04

Les personnes qui accordent leur pardon à leurs tortionnaires après avoir été soumises à de graves sévices physiques et psychologiques et qui refusent de les accabler appartiennent certainement à une catégorie rare de l’humanité. Le Grec Aleko Panagoulis en fait certainement partie…

Dr Mounir Hanablia *

Emprisonné après l’échec d’une tentative d’assassinat contre le Premier ministre du régime des colonels. Il avait caché sous un pont les explosifs qui auraient dû faire sauter la voiture de sa cible alors qu’elle circulait sur la route qu’elle emprunte normalement et l’explosion ne s’était pas produite au moment opportun.

Capturé rapidement, Panagoulis avait été torturé mais n’avait avoué ni son identité ni les noms de ses complices. Ses vieux parents furent détenus pendant plus de trois mois et son frère, officier de l’armée qui avait quitté le pays, fut livré par les Israéliens avant de mourir en détention, probablement sous la torture. 

Finalement condamné à mort, sa peine avait été commuée en emprisonnement à vie après la campagne internationale en sa faveur qui avait fait de lui une icône de la liberté contre la dictature. Mais Alekos s’était révélé durant sa détention particulièrement combatif. Il n’avait pas hésité à agresser ses tortionnaires quand il en avait l’occasion et à les humilier. Il s’était montré insolent et irrespectueux de la Cour lors de son procès. Naturellement il en avait payé le prix. Ses côtes avaient été toutes brisées lors des passages à tabac que ses gardiens n’hésitaient pas à lui infliger pour se venger, ce qui l’avait poussé à entreprendre d’innombrables grèves de la faim pour obtenir le droit de lire, écrire, être visité par sa famille. Il avait été piégé lorsqu’on l’avait photographié à son insu tenant un ballon de football dans une cour déserte de la prison afin de prouver au monde qu’il était en bonne santé.

Panagoulis s’était enfui une première fois avec l’aide d’un de ses gardiens, un jeune soldat, mais il avait été trahi par ceux chez qui il s’était réfugié en pensant qu’il pouvait leur faire confiance. La seconde, le directeur de la prison prévenu de ses projets avait attendu de le prendre en flagrant délit. La troisième, il avait été repris à la périphérie du camp de détention. Il fut même victime d’une tentative de meurtre lorsqu’on mit le feu à son cachot. Tout ceci ne l’empêcha pas de composer des poèmes. 

Au bout de cinq années de cachot, Panagoulis fut gracié avec tous les prisonniers politiques mais il refusa sa grâce, et se montra, comme il en a l’habitude, peu respectueux lors de la cérémonie tenue pour marquer sa libération de prison. Soumis à une surveillance constante de la police, il fut victime de nouvelles tentatives  de meurtre lorsqu’une voiture banalisée s’efforça sans succès de pousser la sienne dans un ravin en Crète, puis en Italie lorsque son taxi fut pris en chasse par une autre automobile qui tenta de le percuter.

Les généraux tenaient le haut du pavé

Après de multiples tracasseries administratives, Panagoulis s’exila en Italie avec sa compagne, la journaliste Oriana Fallaci, dont il fit la connaissance à sa sortie de prison, l’auteur du livre, et s’efforça d’organiser un réseau de résistance clandestin, dans son pays, dont l’une des bombes tua trois artificiers. Cet événement fut le signal de son engagement politique contre la dictature et le convainquit d’abandonner la lutte violente.

Cependant, en 1974, à l’instigation de la Grèce, un coup d’Etat militaire mit fin au régime civil à Chypre, ce qui entraîna en réaction une invasion du nord de l’île par l’armée turque. Les militaires grecs, responsables de cette situation, décidèrent d’abandonner le pouvoir et de le confier aux civils. C’est ainsi que la démocratie fut rétablie et Alekos Panagoulis, rentré dans son pays quelques semaines plus tard, fut élu député sur une liste d’un parti centriste qu’il ne connaissait pas mais qu’il avait choisi parce qu’il ne croyait pas aux leaders des grands partis de droite ou de gauche, Constantin Caramanlis et Georges Papandréou.

Néanmoins, pour Panagoulis, le rétablissement de la démocratie n’avait été qu’un processus purement formel alors que les véritables détenteurs du pouvoir continuaient d’être les généraux qui avaient tenu le haut du pavé pendant la dictature, entre 1967 et 1974.

Dès lors le nouveau député n’eut de cesse de découvrir les preuves de la collusion du nouvel homme fort, le ministre de la Défense Evangelos Avéroff, avec le fascisme italien pendant la guerre, puis avec le régime militaire, celui des colonels supplantés par des généraux. Les documents qu’il réunit grâce à la complicité de l’épouse de l’un des membres des services secrets, Fani Hazizikis, qu’il réussit à séduire, furent interdits de publication.

Finalement, Panagoulis fut tué une nuit du premier mai 1976 lorsque sa voiture fut prise en chasse par deux autres avant d’être percutée pour s’écraser contre un mur.

Quelques jours plus tard, un ancien coureur automobile établi au Canada, Michel Stefas, un adhérent du parti socialiste grec de Papandréou, se livra à la police et prétendit être le responsable de ce qui n’était qu’un accident malheureux. Il démentit la présence d’une seconde voiture malgré les témoignages de personnes présentes sur les lieux, et naturellement rares furent ceux qui le crurent. La Justice cependant  en fit sa thèse en refusant de tenir compte des conclusions de l’enquête scientifique en faveur des deux poursuivants et le condamna à 5 années de prison avec sursis.

Héros, démagogue ou charlatan ?

L’enterrement de Panagoulis fut grandiose tant la foule qui accompagna son cercueil vers le cimetière fut nombreuse, des centaines de milliers de personnes se pressèrent devant le cortège funèbre qui ne réussit à joindre le cimetière normalement situé à dix minutes, qu’après plus de quatre heures. Les représentants de tous les partis politiques ne manquèrent pas d’être présents, particulièrement le futur premier ministre, le socialiste Papandréou qui prononça l’éloge politique du défunt alors que Panagoulis le considérait comme un démagogue et un charlatan.

Mort, Panagoulis connut enfin la reconnaissance et la popularité alors que toute sa vie il demeura un marginal et un solitaire qui affrontait le système en ne comptant que sur ses seules forces. Il est vrai que quelques-uns de ses poèmes avaient été chantés, en particulier par le grand musicien Mikis Theodorakis, depuis l’époque de sa détention.

Naturellement ce livre écrit par sa compagne italienne dévoile les véritables ressorts de sa personnalité. Homme sensible et passionné, Panagoulis se révélait capable de graves actes de violence, et se réfugiait parfois dans de monumentales beuveries pour dissiper son désespoir. Disciple de Dionysos, le dieu de la jouissance, et de Mars celui de la guerre, il devint obsédé par Hadès, le maître de la Mort, qui finit par avoir raison de lui. Si on s’en réfère à ses traits de caractère pathologiques, ceux d’un maniacodépressif, on peut se demander comment, en étant un odieux manipulateur, il parvint à entretenir l’amour que lui portait sa compagne, malgré tous les préjudices subis par elle dont il fut bel et bien le responsable (avortement), ou dont elle l’accusa peut être abusivement après sa mort de l’être (cancer).

Face à une dictature militaire rabaissée par ses excès, Panagoulis le héros formidable et solitaire qui se dressait face à elle, apparut ne le lui céder en rien, en sacrifiant tous ceux qui l’admiraient ou toutes celles qu’il séduisait, au nom d’une chimère, la liberté, afin d’abattre la tête du système, le rocher sur la montagne qui sitôt précipité des hauteurs reprenait sa place.

Parti pour terrasser le dragon Avéroff, ministre de la Défense et selon lui véritable maître du pays, le Héros formidable se retrouva face une hydre à trois têtes, associant au précédent, Caramanlis, et de Papandréou, qui lui fut fatale.

Il reste à savoir si cet acharnement contre le ministre de la Défense ne constituait pas le prolongement de son caractère porté à tous les excès, à la recherche d’un adversaire qu’il estimait digne de lui. En effet, dans la Grèce des années 70, les collaborateurs des occupants fascistes et nazis ne manquaient certainement pas, et ce sont ceux-là même que les Anglais ont utilisés à la fin de la guerre pour lutter contre le parti communiste grec, et l’empêcher de prendre le pouvoir. Et Panagoulis confirma son mépris pour le menu fretin en s’abstenant de charger ses tortionnaires lorsqu’ils passèrent en justice, tout comme lors du procès des grandes têtes de la dictature rendu nécessaire pour crédibiliser le retour à la démocratie il jugea leur condamnation aussi superflue et inutile qu’une comédie, y compris celle de Papadopoulos qu’il avait tenté d’assassiner et qui l’avait gracié, parce qu’ils n’étaient plus les détenteurs du pouvoir. Mais à côté de cela, il accordait beaucoup d’importance aux signes et aux rêves prémonitoires qui devenaient prophétiques une fois accomplis.

une tragédie grecque

Les commentaires sur la fatalité, le caractère fatal des couleurs (vertes) et des voitures annonçant le drame qui se préparait servait de justificatif à l’angoisse de la mort qui avait pris le héros aux tripes avant que ne s’accomplisse son destin. Mais peut être n’est-ce là que la touche latine de l’auteur, de culture chrétienne catholique, encensant le sacrifice et le don de soi, qui s’était sans aucun doute culpabilisée d’avoir été absente au moment de sa mort alors qu’elle venait d’embarquer à l’aéroport de New York pour venir le rejoindre à Athènes, et qui s’efforçait de transformer ce fait divers politique comme il y en a tant dans le monde, dont plusieurs avaient été les sujets de ces propres articles au Vietnam, au Brésil, ou ailleurs, en un drame unique, en une tragédie grecque, en une nouvelle crucifixion l’absolvant de ses péchés.

Il n’en demeure pas moins que si la mort du héros fut limpide, et que les coupables ne souffrent aucune discussion, sa vie apparaît l’avoir été beaucoup moins. Ce retour précipité d’Union Soviétique au cours d’un voyage où il était l’invité d’une organisation de jeunesse présidée par des vieillards, parce qu’il avait reconnu sa propre souffrance dans le passage à tabac par la police d’un indésirable dans l’hôtel où il résidait,  suscite la perplexité. Tout comme la suscitent  les voyages clandestins en Grèce à l’époque de la dictature et la pose de bombes dans de multiples endroits d’Athènes.

Enfin on ne comprendra pas comment le ministre de la défense de l’île de Chypre, membre d’un gouvernement démocratiquement élu dans un Etat indépendant dont la majorité de la population est hellénophone, de langue grecque, où les Britanniques disposent d’une importante base militaire, aura fait confiance à un obscur jeune idéaliste mathématicien et poète venu de Grèce opposé au régime des colonels, au point de bénéficier d’un stage de sabotage, et de disposer des explosifs nécessaires à un futur attentat contre le chef d’un gouvernement grec installé par la CIA.

Quand de la folie commence à émerger une méthode, il convient de se poser beaucoup de questions, particulièrement sur le cheminement politique qui mène la Grèce, membre de l’Otan, de la monarchie constitutionnelle, appelée à voir l’alliance socialiste-communiste remporter les élections législatives et la majorité parlementaire, à la dictature dite des colonels mettant fin au processus électoral, puis à celle des généraux après le soulèvement de la marine et ce qu’on a cru être le soulèvement populaire  suivi du massacre de l’école polytechnique d’Athènes, enfin à la décrispation avec la libération des prisonniers politiques, la politique des ponts envers l’opposition avant le retour de la démocratie imposé par la débâcle de Chypre, et l’instauration d’un régime militaire soft avec une façade civile institutionnelle qui fera de l’amnistie son leitmotiv, plus pour épargner les bourreaux que réhabiliter les condamnés.

Etonnants remakes en Algérie et en Tunisie

Les généraux algériens des années 80-90 dans un étonnant remake n’agiront pas différemment en écrasant le mouvement populaire escamotant les luttes pour le pouvoir au plus haut sommet de l’Etat, en interrompant le processus électoral, et en conférant une apparence de légalité à leur autorité derrière des personnalités civiles reconnues détenant l’apparence du pouvoir, et non sa réalité, et qui se compromettront avec l’amnistie en faveur des auteurs des massacres. Le général tunisien Rachid Ammar, en obtenant le départ de Ben Ali, en 2011, et en installant une autorité civile révocable (!!!), apportera la preuve que, s’agissant de partager le pouvoir, ou son apparence, les différends opposant tortionnaires et prisonniers d’hier s’estompent aisément dans la grande Réconciliation. Un homme comme Béji Caïd Essebsi, directement impliqué dans la détention des prisonniers politiques en 1963, n’aura même pas besoin, de dissimuler son passé de tortionnaire, pour devenir, en 2014, le premier président de la république issu du régime démocratique. Pas plus que les accointances sionistes révélées au grand jour de Nabil Karoui n’auront empêché son parti de devenir, en 2019, un membre de la nouvelle troïka au pouvoir et de permettre l’accession catastrophique de Rached Ghannouchi à la présidence du parlement.

Les Grecs seraient-ils donc plus vertueux que les Tunisiens? Pourquoi donc dans le contexte politique grec, le ministre Avéroff aura-t-il eu besoin de tenter de dissimuler un passé de traître que nul n’ignore, pour se réfugier derrière les visages rassurants de Caramanlis et  Papandréou, les opposants réfugiés à l’étranger durant la dictature et de retour dans le pays pour prendre les rênes du gouvernement? Et plus que tout, pourquoi aura-t-il eu besoin de prendre au sérieux ce qu’il convient bien de nommer la névrose obsessionnelle d’un député paumé en rupture de ban nommé Panagoulis, au point de le faire assassiner, pour d’obscurs documents dérobés aux services secrets dont rien ne dit qu’ils n’eussent pas été des faux fabriqués pour la circonstance? Est-ce là l’œuvre de l’Araignée (Arachnoïdes), cette organisation paneuropéenne parafasciste semblable au Gladio italien et noyautée par les services secrets de l’Otan durant la guerre froide? Beaucoup de choses le suggèrent en tout cas.

Panagoulis n’était pas tenu en odeur de sainteté par les Américains qui lui avaient refusé le visa d’entrée dans des conditions assez conflictuelles, au point de voir la décision du consul américain à Athènes paraphée par Henry Kissinger lui-même. Léonardo  Sciascia le Sicilien aurait pu comparer cette signature du secrétaire américain à une sentence de mort. Mais si on considère qu’il pouvait représenter une menace pour les intérêts américains, elle n’aurait pu provenir que des preuves recueillies auprès des services secrets sur la collusion de la CIA avec le putsch de Chypre qui avait entraîné l’occupation turque du nord de l’île. Et l’enquête sur Avéroff et les documents en sa possession prouvaient effectivement les contacts entretenus par Panagoulis avec les services secrets grecs. Quelques officiers traduits en justice avaient  d’ailleurs évoqué la thèse de la provocation américaine dans l’affaire de Chypre. Or de telles révélations étaient susceptibles d’entraîner un revirement politique de la Grèce limitrophe des Dardanelles, de la Bulgarie, de la Yougoslavie, et de l’Albanie, que l’Otan n’était nullement prête à accepter.

Pour conclure,  par quel mécanisme, en dehors d’une foi chrétienne, un homme politique ostracisé durant sa vie devient-il du fait de sa seule mort, le héros de tout un peuple, si les médias eux mêmes tributaires de leurs propriétaires ne le suggèrent pas? On comprend que la journaliste Oriana Fallaci, impliquée par la force des choses au-delà de toute mesure dans le récit, ait tenté de se mettre en règle avec sa conscience grâce à son témoignage. Son livre soulève malheureusement plus de questions qu’il n’apporte de réponses. 

‘‘Un homme’’ de Oriana Fallaci, éditions Grasset, Paris, 17 mars 2004.  658 pages.

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