Ukraine l Zelensky promulgue une loi pour protéger les corrompus
Des manifestations sans précédent ont eu lieu en Ukraine après l’adoption par le parlement d’une loi supprimant l’indépendance des instances anticorruption. Promulguée mardi 22 juillet 2025 par le président Volodymyr Zelensky, cette loi très critiquée à l’intérieur et à l’extérieur affaiblit l’autonomie des institutions anticorruption, provoquant indignation et inquiétude au sein même de l’Union européenne (UE), principal soutien du régime en place à Kiev.
Habib Glenza

En promulguant cette loi qui met fin à l’indépendance des agences anticorruption, le président Zelensky a suscité des protestations à l’intérieur et, à l’extérieur, une inquiétude parmi les alliés de Kiev. Plusieurs centaines de manifestants sont descendus dans les rues de la capitale ukrainienne, rapportent des reporters locaux, pour exprimer leur colère. «Le projet de loi a été adopté à la hâte», a critiqué l’un d’eux.
L’initiative a été qualifiée de «sérieux recul» par l’UE, qui s’est dite «profondément préoccupée». La commissaire chargée de l’élargissement de l’UE, Marta Kos, a déclaré que le respect de «l’État de droit reste au cœur des négociations d’adhésion» entre Kiev et Bruxelles.
L’adoption de la loi par les députés ukrainiens, au lendemain de l’arrestation contestée d’un responsable travaillant dans l’une de ces structures, a suscité les critiques de militants et d’ONG en Ukraine qui s’inquiètent d’un recul démocratique dans le pays depuis le début du conflit russo-ukrainien en février 2022.
La corruption est un mal endémique en Ukraine, mais le pays a fait des progrès sur ce front en créant notamment, respectivement en 2014 et en 2015, une instance d’enquête, le Nabu, et un parquet, le Sap, spécialisé dans ces affaires de corruption.
Une loi sur mesure pour des «personnes intouchables»
Mardi, le Parlement a voté avec 263 voix pour, 13 contre et 13 abstentions, une loi ratifiée par le président Zelensky qui subordonne les activités de ces deux structures au procureur général, lui-même subordonné au président de la république, qui, on le sait, n’est pas lui-même au-dessus de tout soupçons. La nouvelle loi supprime donc de fait l’indépendance du Nabu et du Sap et met fin, en quelque sorte, à la lutte contre la corruption qui gangrène le pays depuis assez longtemps.
Le chef du Sap, Oleksandre Klymenko, a déclaré que le texte «détruit effectivement l’indépendance des institutions anti-corruption vis-à-vis de toute influence politique et pression sur nos enquêtes».
Selon le député Roman Lozinsky, ce texte accorde au procureur général le pouvoir de gérer le Sap, de donner des «instructions écrites obligatoires» au Nabu et d’avoir accès aux détails de n’importe quelle affaire et de les déléguer au procureur de son choix ou à d’autres agences.
Anastassia Radina, à la tête du Comité anticorruption du parlement, a dénoncé un texte qui «va à l’encontre de nos obligations dans le cadre du processus d’intégration à l’UE». Quelques heures avant le vote, un porte-parole de l’UE, Guillaume Mercier, avait souligné que le Nabu et le Sap étaient «essentielles au programme de réforme» que l’Ukraine s’est engagée à mener pour pouvoir adhérer à l’UE.
«L’infrastructure anticorruption fonctionnera. Simplement, sans l’influence russe», a écrit Zelensky sur Telegram dans la nuit de mardi à mercredi. «Il est important que le procureur général soit déterminé à assurer qu’en Ukraine, l’inévitabilité des peines soit véritablement assurée pour ceux qui vont à l’encontre de la loi», a-t-il ajouté.
Le directeur du Nabu, Semion Kryvonos, ne partage nullement c et avis. «Aujourd’hui, avec les votes de 263 députés, l’infrastructure anticorruption a été détruite», a-t-il regretté lors d’une conférence de presse, avertissant que la loi permettra l’existence de «personnes intouchables» en Ukraine.
Un pas vers un régime autoritaire
Depuis Kiev, après le vote, un diplomate européen, s’exprimant sous couvert de l’anonymat, a qualifié cette décision de «regrettable», tout en nuançant : «Est-ce un revers ? Oui. Est-ce un point de non-retour ? Non». Lundi, les services de sécurité ukrainiens (SBU) avaient annoncé l’arrestation d’un responsable du Nabu soupçonné d’espionnage au profit de Moscou, et ont perquisitionné les locaux de l’organisation, qui rejette ces accusations.
La branche ukrainienne de l’ONG anticorruption Transparency International a dénoncé cette arrestation, selon laquelle ces perquisitions sont illégales et «visent à obtenir de force des informations et à influencer les enquêtes menées sur de hauts responsables».
L’ONG a fait état dans un communiqué d’une «pression systématique» des autorités à l’encontre des structures anti-corruption en Ukraine. Avant le vote de mardi, les militants ukrainiens s’étaient déjà inquiétés des récentes poursuites judiciaires visant Vitaliï Chabounine, directeur d’une des principales ONG de lutte contre la corruption. Selon des médias ukrainiens, ces mesures interviennent alors que le Nabu et le Sap s’apprêtaient à inculper l’ex-ministre de l’Unité nationale Oleksii Tchernychov et alors que les deux instances enquêtaient sur l’ex-ministre de la Justice Olga Stefanishina.
«Aujourd’hui est un jour de honte pour le Parlement ukrainien. Les autorités ont introduit des amendements à la loi visant à détruire l’organe de lutte contre la corruption», a dénoncé sur Telegram le député indépendant Oleksii Gontcharenko, disant y voir un «pas vers un régime autoritaire». «Nous n’avons pas voté pour cette mascarade. J’ai honte et j’ai honte pour les gens dans cette salle», a abondé un autre député, Iaroslav Jelezniak du parti libéral Holos.
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