’’Au Couchant, l’espérance’’ | Sinoué au cœur des fractures marocaines
Paru chez Gallimard, dans la prestigieuse collection Blanche, le 8 mai 2025, ‘‘Au Couchant, l’espérance’’ est le nouveau roman de Gilbert Sinoué, écrivain franco-égyptien né en 1947 au Caire. Auteur de nombreux succès mêlant fiction et histoire (‘‘Le Livre de Saphir’’, ‘‘Avicenne ou la route d’Ispahan’’, ‘‘L’Enfant de Bruges’’), Sinoué s’impose une fois de plus comme un fin connaisseur des civilisations arabes et méditerranéennes. Son écriture, à la fois accessible et érudite, fait dialoguer mémoire collective et destins individuels.
Djamal Guettala
Dans ce roman, l’auteur nous emmène au Maroc, au moment où le royaume bascule sous l’emprise coloniale. Tout commence le 12 août 1912 : le sultan Moulay Abd el-Hafid, affaibli et contraint à l’exil, détruit les symboles de sa souveraineté et quitte le pays à bord d’un croiseur français. Aux commandes : le général Hubert Lyautey, figure centrale de la politique coloniale française, qui lance à ses hommes : «Voilà. Et maintenant, nous allons faire le Maroc.»
Instauration de l’ordre colonial
Faire le Maroc ? L’expression n’est pas anodine. Elle est polysémique et veut dire aussi bien coloniser que construire. Faire le Maroc, pour qui, et avec quels moyens ? C’est cette interrogation que le roman déroule sur près d’un demi-siècle, en croisant les figures historiques majeures (Abd el-Krim, Churchill, Roosevelt, Mohammed V) et les trajectoires anonymes.
Au cœur de la narration, deux personnages : Hussein Chaoui, jeune journaliste marocain engagé, témoin lucide et critique des évolutions de son pays, et Violette, secrétaire française à la résidence coloniale, tiraillée entre son affection pour Hussein et sa loyauté implicite à l’ordre colonial. Leur relation amoureuse, passionnée et tragique, symbolise la tension permanente entre soumission et résistance, entre attirance et rejet, entre la modernité importée et la mémoire enracinée.
Une lumière qui persiste
La force de Sinoué réside dans sa capacité à raconter sans juger, à explorer les nuances de l’époque sans tomber dans les stéréotypes. La colonisation n’est jamais esthétisée, mais regardée dans sa complexité : instrument de domination, elle fut aussi cadre de réformes, d’ambitions, de heurts et de rêves. Le roman n’en masque pas les violences : il évoque les soulèvements du Rif, les exils forcés, les camps, la censure. Mais toujours, au milieu des ruines, subsiste une espérance – fragile, humaine, tenace.
‘‘Au Couchant, l’espérance’’ est un roman historique, mais surtout un roman d’alerte. Car ce que Gilbert Sinoué raconte, au fond, c’est l’histoire d’un peuple qui refuse de mourir, d’un royaume qui vacille mais ne tombe pas, et d’une lumière qui persiste même quand le soleil semble se coucher pour toujours.
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