Un souffle d’honneur sur la route de Rafah
«L’humanité commence dans l’homme par le désintéressement», écrivait Amiel. Il n’est de plus grande noblesse que de voir un être humain se lever pour en secourir un autre. Plonger dans les flots pour sauver un naufragé, courir dans une maison en flammes pour en extraire un enfant ou une personne âgée — ces gestes, par leur simplicité héroïque, nous rappellent ce qu’il y a de plus grand en nous. Car sauver l’autre, c’est au fond sauver soi-même. C’est préserver en nous la part humaine, celle que l’égoïsme et l’indifférence s’emploient chaque jour à ronger.
Khémaïs Gharbi *

Ce sursaut d’humanité, nous le voyons aujourd’hui prendre forme dans une initiative concrète, modeste peut-être en apparence, mais immense par la portée symbolique qu’elle recèle : une caravane de solidarité est partie de Tunis, avec à son bord des citoyens tunisiens, algériens, marocains, mauritaniens — et bientôt des Libyens — unis par la seule force de leur conscience et de leur cœur. Leur destination : le poste-frontière de Rafah, entre l’Égypte et Gaza.
Ils ne transportent pas des armes, ni des discours creux. Ils portent avec eux ce que les peuples opprimés attendent le plus du reste du monde : une preuve que leur souffrance n’est pas invisible. Une main tendue. Un regard fraternel. Un cri qui rompt le silence.
Les peuples se lèvent
Depuis plus d’un an, Gaza endure l’insoutenable : famine organisée, blocus total de nourriture, de médicaments, de soins, de logement… et des bombardements quotidiens qui ont déjà fait plus de 160 000 morts et blessés.
Face à ce martyre, les grandes puissances — celles qui ont les moyens d’agir — restent paralysées par des calculs géopolitiques ou des intérêts sordidement matériels. Mais les peuples, eux, ne se taisent pas. Ils se lèvent. Comme toujours dans l’Histoire, ce sont les anonymes, les sans-grades, les consciences éveillées, qui répondent présents.
Partout en Europe et au-delà, des manifestations massives ont dénoncé le blocus de Gaza, l’occupation israélienne, le génocide en cours, et le silence complice des institutions internationales. À peine le bateau Maddalena avait-il été intercepté par l’armée israélienne qu’une nouvelle initiative s’est mise en route, cette fois par voie terrestre.
Un devoir moral
À Tunis, des femmes et des hommes se sont rassemblés, ont formé une caravane, et pris la direction de la Libye avec un seul but : rejoindre Rafah, non pour «briser» le blocus — ils n’en ont pas les moyens — mais pour dire que Gaza n’est pas seule. Pour rappeler que la solidarité est un devoir moral avant d’être un acte politique. Pour raviver cette flamme humaine qui refuse de s’éteindre, même sous les gravats.
Ce geste est beau. Il est simple. Et il est profondément politique, au sens le plus noble du mot. Il est l’écho d’une tradition ancienne, où l’on allait, sans calcul, secourir ou réconforter l’autre parce qu’il est notre semblable.
À cette caravane, nous disons merci. Merci de nous rappeler que l’honneur n’est pas mort. Merci de réaffirmer, dans un monde de plus en plus indifférent, que l’humanité est encore capable d’élans désintéressés. Puissent vos pas faire vibrer les consciences. Et si vous n’êtes pas autorisés à entrer à Gaza, sachez que vous êtes déjà entrés dans le cœur de ceux qui gardent foi en la justice et en la dignité humaine.
* Ecrivain et traducteur.
L’article Un souffle d’honneur sur la route de Rafah est apparu en premier sur Kapitalis.