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Cannes 2025 – « Once Upon a Time in Gaza », la fable tragique et lumineuse des frères Nasser

19. Mai 2025 um 22:45

Dix ans après avoir foulé le tapis rouge de Cannes avec leur premier long métrage « Dégradé », présenté à la Semaine de la Critique, les frères jumeaux palestiniens Arab et Tarzan Nasser sont de retour sur la Croisette avec « Once Upon a Time in Gaza ». Un film d’une intensité rare, entre humour noir, réalisme cru et tragédie historique, porté par un souffle de révolte et de poésie. Présenté dans la section Un Certain Regard, le film a été ovationné à Cannes, confirmant l’empreinte singulière des deux cinéastes dans le paysage du cinéma palestinien et mondial.

Ancrée en 2007, l’intrigue de Once Upon a Time in Gaza se déroule au moment charnière de l’arrivée au pouvoir du Hamas, dans une bande de Gaza déjà asphyxiée par un blocus israélien de plus en plus sévère. C’est dans ce huis clos étouffant, saturé de pénuries, de funérailles, et de bombardements réguliers, que les deux frères tissent l’histoire d’une improbable amitié entre Yahya, jeune étudiant effacé, et Osama, dealer au cœur tendre qui tient une échoppe de falafels. Ensemble, ils montent un petit trafic de drogue caché dans les pains pitas, jusqu’à ce qu’un policier corrompu ne vienne tout bouleverser.

 

 

Mais Once Upon a Time in Gaza n’est pas seulement le récit d’un trafic de rue dans un territoire assiégé. C’est un film-miroir, un récit gigogne qui bascule soudain dans l’absurde quand Yahya est recruté pour tenir le rôle principal dans un film de propagande produit par le ministère de la Culture. Intitulé The Rebel, ce « premier film d’action à Gaza » devient alors un théâtre de l’absurde : Yahya ne sait pas jouer, les figurants palestiniens rechignent à incarner les soldats israéliens, et faute de budget, les comédiens tournent avec de vraies armes, parfois chargées. Le grotesque flirte alors avec le danger, dans un humour féroce qui ne masque jamais totalement la gravité du propos.

Cette mise en abyme renforce la portée politique du film. Car dans le scénario que Yahya est censé incarner, on découvre un autre Yahya, chef de la résistance, dont l’histoire et les répliques semblent répondre, aujourd’hui, aux discours occidentaux qui accusent systématiquement les résistants palestiniens de terrorisme. Impossible de ne pas penser à Yahya Sinwar, leader du Hamas, dont le prénom – coïncidence ? – est aussi celui du protagoniste. Ce jeu de doubles, entre fiction et réalité, entre les récits qu’on impose et ceux qu’on efface, donne toute sa profondeur au film.

 

 

Le choix de 2007 comme point de départ n’est pas anodin. C’est l’année du « tournant brutal », comme le décrit Arab Nasser. L’année de l’isolement total, de la punition collective, et du début d’une longue descente vers la destruction. Les scènes de la vie quotidienne à Gaza – les files d’attente absurdes pour obtenir un visa de sortie, les coupures de gaz, la séparation d’avec la Cisjordanie – résonnent cruellement avec l’actualité. À travers le parcours de Yahya, refusé à chaque tentative de quitter Gaza, par des refus arbitraires des autorités israéliennes, c’est toute une jeunesse enfermée dans une prison à ciel ouvert qui est dépeinte avec une infinie tendresse.

Le film, entièrement tourné en Jordanie, a été écrit et mis en scène avant le 7 octobre. Mais le réel a fini par le rattraper, et les frères Nasser ont choisi, avec pudeur, d’y intégrer quelques ajustements au montage. Ainsi, le film s’ouvre désormais sur un extrait de discours de Donald Trump, vantant le potentiel touristique de Gaza, qu’il imagine en riviera du Moyen-Orient. L’ironie tragique de ces mots donne le ton d’un film où les rêves les plus fous se heurtent aux murs les plus hauts.

Cette fable politique à l’humour grinçant est portée par un duo d’acteurs remarquables, qui donnent chair à des personnages en quête de dignité. Le film oscille entre burlesque et tragédie, entre western moderne et théâtre de l’opprimé. Il donne à voir des héros en creux, pétris de contradictions, ballottés entre fierté, instinct de survie et quête de reconnaissance.

Mais Once Upon a Time in Gaza ne se contente pas de dénoncer. Il raconte aussi, avec émotion, l’acharnement à vivre malgré tout. Cette force de vie traverse le film, dans les regards, les dialogues, les silences. Dans cette amitié entre Yahya et Osama, dans les rêves de cinéma qui surgissent au cœur du désastre, dans l’humour qui désamorce l’horreur, il y a quelque chose d’universel, une pulsation humaine que la guerre ne parvient pas à étouffer.

 

 

 

Après la projection, les frères Nasser sont apparus émus devant le public cannois. Et dans un geste fort, l’un d’eux a brandi son bébé dans ses bras. Fierté paternelle, certes, mais aussi symbole puissant de continuité et de résistance. À l’heure où leur famille subit les ravages de la guerre à Gaza, ce geste était tout sauf anodin. Il portait en lui l’affirmation que malgré la destruction, la vie continue, et que les générations futures sont là, vivantes, debout, prêtes à témoigner.

« Un jour, le génocide prendra fin », a lancé l’un des deux frères devant la salle. « Et les récits que l’on entendra seront une honte pour l’humanité. » Once Upon a Time in Gaza est l’un de ces récits-là. Un récit qui refuse la simplification, qui déjoue les catégories imposées, qui refuse de faire le tri entre drame et comédie, entre propagande et fiction, entre victime et héros. C’est un film sur le droit de raconter, sur la mémoire, sur le refus de l’effacement. C’est un acte de cinéma, mais surtout un acte de survie.

Neïla Driss

 

 

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Cannes 2025 – Le cinéma palestinien sous les projecteurs

17. Mai 2025 um 19:00

C’est dans le cadre du Marché du Film du Festival de Cannes qu’a eu lieu une table ronde d’une intense charge émotionnelle : « Le cinéma palestinien sous les projecteurs ». Organisé par le Centre du Cinéma Arabe en collaboration avec le Palestine Film Institute, ce panel a mis à l’honneur une cinématographie en lutte, façonnée par l’exil, l’oppression et une quête permanente de mémoire. À travers les récits des intervenant·e·s, s’est dessiné un cinéma de résistance, mais aussi d’une richesse esthétique et narrative encore trop peu connue du grand public.

 

La modération était assurée par Melanie Goodfellow, correspondante internationale senior pour Deadline, qui a orchestré les échanges entre des figures majeures du paysage cinématographique palestinien. Dans la salle, on remarquait la présence de nombreux visages occidentaux — un contraste notable avec l’assistance majoritairement arabe du panel consacré la veille au cinéma égyptien. Un signe sans doute de l’écho international croissant que suscite la Palestine aujourd’hui, dans un contexte mondial marqué par une attention renouvelée à sa cause.

 

 

 

La productrice et réalisatrice May Odeh a ouvert les échanges par un témoignage saisissant sur les entraves physiques et bureaucratiques à la création cinématographique. « Si je voulais tourner un film avec des réalisateurs comme Elia Suleiman ou Hany Abu-Assad, qui ont la nationalité israélienne, je ne le pourrais pas, car je ne suis pas libre de mes mouvements à l’intérieur d’Israël », explique-t-elle. Productrice du film 200 mètres, qui traite justement des restrictions de circulation, elle décrit un quotidien de contrôles, d’autorisations arbitraires, de routes interdites. « J’ai des amis originaires de certaines régions de la Palestine que je ne peux voir qu’à l’étranger. » Et ce type de récit n’est pas isolé : elle évoque aussi le cas de la réalisatrice Najwa Najjar, qui avait dû attendre un mois en Jordanie pour obtenir le visa permettant à l’acteur principal de son film Eyes of a Thief de participer au tournage.

 

 

Cette entrave à la mobilité et à la création, Cherien Dabis l’a vécue de manière plus intime. Réalisatrice et actrice américano-palestinienne, elle raconte son premier voyage en Palestine, à l’âge de 14 ans. « J’ai grandi dans l’Ohio, aux États-Unis. On m’a toujours dit que j’étais palestinienne, mais tout cela restait abstrait. Quand nous sommes allés en famille en Palestine, avec ma petite sœur qui n’avait que deux ou trois ans, j’ai vu mon père, un homme digne, se faire humilier au point d’en rougir de honte. C’était un moment fondateur. » Elle évoque la découverte brutale d’une réalité dont elle connaissait les contours, mais qu’elle n’avait jamais vécue. « Mon cousin a été tué alors que j’avais cinq ans. On en parlait à la maison, mais là, j’ai vu la Palestine. J’ai compris ce qu’était la Nakba. J’ai compris que l’histoire de ma famille était une histoire de dépossession. »

 

 

Rakan Mayasi, lui, n’a jamais pu mettre les pieds en Palestine. Né et élevé en Jordanie, formé au Liban, il explique comment son cinéma est né d’une frustration, d’un vide identitaire. « C’est en réalisant Bonboné que j’ai vraiment commencé à comprendre les difficultés de faire des films palestiniens. Je voulais faire jouer Salah Bakri, mais il n’a même pas pu se rendre au Liban. La logistique, les visas, les refus, les interdictions… tout est un combat. Et c’est une lutte perpétuelle pour trouver des solutions. »

 

 

Le cinéaste Rashid Masharawi, présent lui aussi, a raconté une trajectoire marquée par la volonté de filmer envers et contre tout. Né dans un camp de réfugiés à Gaza, il n’a jamais cessé de documenter la vie quotidienne sous occupation, avec des moyens réduits mais une urgence vitale de témoignage. Il évoque notamment son dernier film, From Ground Zero, tourné dans des conditions extrêmes et pourtant parvenu jusqu’aux portes des Oscars 2025, en étant shortlisté dans la catégorie du meilleur documentaire. À travers ce film d’anthologie, des Gazaouis racontent leur quotidien dans les premiers jours de la guerre, avec une caméra comme seule arme, pour documenter l’indicible et porter la voix d’un peuple oublié. « Être sur la shortlist des Oscars, c’est important non pas pour moi, mais pour la Palestine. Cela signifie que notre voix commence, enfin, à être entendue. »

Pour lui, le cinéma palestinien est encore trop souvent dans la réaction plutôt que dans l’action. Or, leur patrimoine culturel est très riche, et les Palestiniens devraient œuvrer à le faire connaître, à faire entendre leur narratif.

 

 

La chercheuse et curatrice Rasha Salti a apporté, quant à elle, une perspective historique et esthétique, rappelant que le cinéma palestinien s’est construit dans la marge, souvent en dehors des normes classiques. « Les colons ont toujours voulu imposer un récit aux colonisés. Toujours — que ce soient les Anglais aux Indiens, ou d’autres — le cinéma palestinien, pour se débarrasser de ces règles, a dû inventer ses propres formes, casser les cadres. »
Elle revient également sur la manière dont les premiers films réalisés en Palestine, notamment par les Européens, ont contribué à forger une image biaisée. « Dès l’époque des frères Lumière, face à cette terre sacrée qu’est Jérusalem, les films montraient une terre vide, sacrée, déconnectée de la réalité. On n’y voyait jamais les écoles, les hôpitaux, les marchés, la vie réelle. Ils servaient à nourrir un fantasme orientaliste. »

Bien que toutes les histoires racontées par les Palestiniens soient dramatiques, ceux-ci ont su les décliner sous des formes très diverses. « Certains films sont drôles, d’autres poétiques… » En tant que programmatrice, elle évoque les réactions du public à New York, souvent surpris par la qualité artistique de ces œuvres. « Ce sont des films sophistiqués, profonds, qui suscitent des débats très riches. Il faut aussi apprendre à parler avec ceux qui ne sont pas d’accord, qui sont choqués, en colère. »

Elle insiste également sur l’importance de montrer ces films dans les camps de réfugiés, notamment au Liban. « Les spectateurs veulent revoir les villes qu’ils ont quittées et où ils n’ont plus le droit de retourner. Ils veulent aussi découvrir d’autres films arabes, car ils n’ont pas la possibilité de voyager. Le cinéma devient une forme d’évasion, mais aussi de transmission. »

Rasha Salti conclut en rappelant la place centrale de la poésie dans le cinéma palestinien. Les symboles y sont omniprésents : les oliviers, les clés, les maisons abandonnées… Autant de figures récurrentes d’un imaginaire bâti sur la perte, mais aussi sur la persistance.

En filigrane de ce panel dense, c’est toute une géopolitique de l’image qui s’est dessinée. Le cinéma palestinien, loin d’être cantonné à un rôle de témoignage, affirme aujourd’hui une voix esthétique forte, inventive, capable de toucher des publics divers… à condition qu’on lui ouvre enfin les portes.

Neïla Driss

 

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