ââLe bouleversement du monde, lâaprĂšs 7 Octobreââ : LâhĂ©catombe face au gĂ©nocide? Un dĂ©lire onirique
Gilles Kepel, qui a consacrĂ© 40 ans de sa vie Ă lâĂ©tude du monde musulman contemporain, ne semble en tirer, en bon orientaliste, aucun respect particulier pour ceux Ă qui il a consacrĂ© son attention et sa rĂ©flexion. EntraĂźnĂ© par son islamophobie hors des sentiers de la rigueur scientifique exigĂ©e des chercheurs universitaires, il nâen finit pas de justifier le gĂ©nocide des Palestiniens. EcĆurantâŠ
Dr Mounir Hanablia *
Dans son dernier livre, dĂ©jĂ dĂ©passĂ© par lâactualitĂ© lors de sa parution, Gilles Kepel situe le 7 octobre 2023 en tant quâĂ©vĂ©nement fondateur dâun ordre international nouveau, hors celui issu de la seconde guerre mondiale. Câest dĂ©jĂ trop dire.
On a dĂ©jĂ Ă©voquĂ© dans les mĂȘmes termes la chute du mur de Berlin, la guerre du Golfe, la disparition de lâUnion SoviĂ©tique, le 11 septembre 2001. Concernant la victoire israĂ©lienne de Juin 1967, on avait dĂ©jĂ parlĂ© de guerre des Six jours en se rĂ©fĂ©rant au rĂ©cit biblique, dĂšs lors quâil sâagit de Juifs, de la crĂ©ation du monde, en lâoccurrence dâun autre monde. Cette tendance Ă faire de chaque Ă©vĂ©nement contemporain une exception, en particulier quand des Juifs y sont impliquĂ©s, relĂšve plutĂŽt du dĂ©lire onirique.
Le 7-Octobre est encore loin dâavoir dĂ©voilĂ© tous ses secrets et seule une enquĂȘte internationale indĂ©pendante le fera. Mais lâauteur sâappuyant sur un rapport de lâorganisation Human Rights Watch en attribue la responsabilitĂ© Ă la direction du Hamas, plus particuliĂšrement Ă Yahya Sinwar, dĂ©crit comme un tueur sanguinaire responsable de lâattaque «pogromiste» selon les termes de lâauteur, et qui, ainsi quâon le sait, tombera les armes Ă la main contre lâenvahisseur.
Câest dĂ©jĂ choisir son camp que de dĂ©crire les faits dâune maniĂšre plutĂŽt dĂ©nuĂ©e de critiques pour un universitaire, certes Ă la retraite. Il exonĂšre Ă©videmment IsraĂ«l de toute responsabilitĂ© en tant que victime de lâattaque «pogromiste».
Bien sĂ»r, pour donner le change, il exonĂšre lâIran de toute responsabilitĂ© dans la tuerie, mĂȘme sâil mentionne bien que câest la RĂ©publique Islamique qui a armĂ© le Hamas en faisant transiter lâaide militaire par la Mer Rouge, le Soudan, le SinaĂŻ et Ă travers le corridor Philadelphia avec lâaide financiĂšre du Qatar et la complicitĂ© intĂ©ressĂ©e des gĂ©nĂ©raux Ă©gyptiens.
Tout ce beau monde aprĂšs la niĂšme guerre contre le Hamas nâaurait pas Ă©veillĂ© lâattention des services secrets israĂ©liens. Et mĂȘme ce serait le chef du Mossad qui aurait fait transiter vers Gaza la valise remplie de billets verts qui rĂ©guliĂšrement dĂ©barquait du Qatar. De lĂ Ă dire que Netanyahu accusĂ© de corruption aurait prĂ©levĂ© sa part du trafic, il nây a quâun pas que lâauteur ne franchit pas.
Un gĂ©nocide avec lâassentiment des AmĂ©ricains
LâIran accusĂ© de faiblesse militaire dans sa riposte (annoncĂ©e) contre IsraĂ«l et dâincompĂ©tence dans le contre-espionnage aprĂšs lâassassinat de Ismail Haniyeh Ă TĂ©hĂ©ran et de quelques uns de ses gĂ©nĂ©raux en Syrie, se rĂ©vĂšlera pourtant capable par ses missiles balistiques de hausser le ton aprĂšs lâassassinat de Hassan Nasrallah, le chef du Hezbollah, et dâinfliger de sĂ©rieux dommages Ă lâinfrastructure militaire israĂ©lienne sur tout son territoire, suffisamment dissuasifs pour prĂ©venir des reprĂ©sailles sĂ©vĂšres.
Ce sont les AmĂ©ricains qui en lâoccurrence auraient bridĂ© les vellĂ©itĂ©s bellicistes de leurs alliĂ©s, dĂ©montrant que la thĂšse de lâauteur, celle dâun Netanyahu libĂ©rĂ© de toute entrave avec les Ă©lections amĂ©ricaines et la victoire prĂ©visible de Trump, relevaient une fois encore du dĂ©lire onirique. Tout ce qui sâest passĂ© lâa Ă©tĂ© avec lâassentiment de lâadministration amĂ©ricaine, qui nâa jamais interrompu son aide militaire ou financiĂšre, il convient de le rappeler, malgrĂ© les contraintes imposĂ©es par la guerre en Ukraine. Comment en aurait-il Ă©tĂ© autrement dans un bouleversement du monde. Mais câest dans sa tentative dâattribuer Ă Netanyahu un comportement rationnel que le livre semble le plus critiquable.
On en arrive ainsi Ă la distinction entre lâHĂ©catombe, conjoncturelle Ă la guerre sanglante entreprise en reprĂ©sailles, et le gĂ©nocide, terme rĂ©servĂ© aux souffrances du peuple juif par les bien-pensants occidentaux, lâĂ©limination pure et simple de la population civile adverse, par les bombardements directs, la destruction de lâinfrastructure nĂ©cessaire Ă la prĂ©servation de la santĂ© publique, et lâembargo sur lâeau et les produits alimentaires.
Il est clair que ce quâon voit tous les jours Ă la tĂ©lĂ©vision relĂšve du gĂ©nocide perpĂ©trĂ© par lâarmĂ©e de lâEtat juif et que cela nâa pas Ă©chappĂ© au Procureur de la Cour pĂ©nale internationale (CPI).
Pourtant le premier ministre israĂ©lien, pour rappeler quâIsraĂ«l est une dĂ©mocratie rĂ©servĂ©e, semble toujours ĂȘtre prĂ©sentĂ© comme lâotage de sa majoritĂ© extrĂ©miste. Les intentions quâon lui prĂȘte de prolonger la guerre Ă des fins personnelles, ainsi que lâen accusent les familles des otages, relĂšvent nĂ©anmoins du crime prĂ©mĂ©ditĂ©. Netanyahu nâa jamais semblĂ© soucieux de faire libĂ©rer ces otages; cela aurait supprimĂ© lâune des principales raisons de lâagression sanglante menĂ©e contre Gaza dont il ne prĂ©voit pas la fin, ainsi quâon lâa vu.
Alors de quel bouleversement et de quel monde sâagit-il?
Les terroristes de Daech de nouveau Ă la rescousse
La guerre contre les Palestiniens nâa jamais cessĂ© depuis 1917 date de la dĂ©claration Balfour et la derniĂšre sâinsĂšre dans cette continuitĂ©. On veut maintenant supprimer la population de Gaza afin de lâannexer, en crĂ©ant le prĂ©cĂ©dent nĂ©cessaire Ă lâannexion de la Cisjordanie occupĂ©e et Ă lâexpulsion de sa population. On a essayĂ© de faire de mĂȘme au Sud Liban mais lâentreprise sâest rĂ©vĂ©lĂ©e beaucoup plus difficile que prĂ©vu et la rĂ©sistance du Hezbollah a fini par imposer son caractĂšre incontournable. Maintenant câest en Syrie grĂące aux terroristes de Daech commanditĂ©s par la Turquie et Ă la cinquiĂšme colonne au sein du rĂ©gime syrien quâon prĂ©tend interrompre le ravitaillement en armes de la rĂ©sistance libanaise.
Les rĂ©cents revers militaires dâune armĂ©e syrienne surĂ©quipĂ©e face Ă des mercenaires brandissant des fusils et de lance-roquettes se dĂ©plaçant dans des pick-up et ressemblant aux hordes sauvages de Mad Max, ne saurait sâexpliquer que par la trahison.
Ce sont ces terroristes-lĂ , de Daech, ceux soutenus par le Qatar, la Turquie, les AmĂ©ricains et IsraĂ«l, qui avaient commis les attentats de Toulouse et de Montauban, de Charlie-Hebdo et du Bataclan en 2015 qui ont servi de point de ralliement et dâĂ©mergence Ă lâextrĂȘme droite française dans son discours anti-immigrĂ©. Cela date de bien avant le 7-Octobre, et abstraction faite de la crainte justifiĂ©e de nombreux Juifs français dâĂȘtre privĂ©s de leur nationalitĂ© ainsi que cela sâĂ©tait passĂ© sous Vichy, le ralliement sioniste autour de Marine Lepen nâa eu dâautre objectif que dâempĂȘcher la France, et Ă travers elle lâOccident, dâadopter une attitude anti-israĂ©lienne qui menacerait lâaide militaire et financiĂšre dont le gouvernement israĂ©lien a besoin pour mener Ă bien sa politique coloniale gĂ©nocidaire.
Faut il dĂšs lors sâĂ©tonner que de nombreux Occidentaux, dont les jeunes et les Ă©tudiants, renouant avec une tradition chrĂ©tienne de charitĂ© qui nâexiste plus dans leurs sociĂ©tĂ©s, Ă©valuent le gĂ©nocide de Gaza Ă sa juste mesure et le dĂ©noncent tout autant que lâinjustice de leurs propres sociĂ©tĂ©s?
PlutĂŽt que dâun bouleversement du monde, on aurait peut-ĂȘtre dĂ» parler dâun monde Ă rebours, celui du retour Ă lâĂšre coloniale et Ă lâextermination des populations allogĂšnes.
DĂ©cidĂ©ment, Gilles Kepel, qui a consacrĂ© 40 ans de sa vie Ă lâĂ©tude du monde musulman contemporain, ne semble en tirer, en bon orientaliste, aucun respect particulier pour ceux Ă qui il a consacrĂ© son attention et sa rĂ©flexion. Ses ouvrages laissent toujours Ă lâArabo musulman que je ne cesse pas dâĂȘtre un goĂ»t dâinjustice et dâamertume Ă la fin du dernier chapitre.
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