Réformer le financement pour libérer l’économie tunisienne

Par Mohamed OUERTATANI
- Le tissu des PME, colonne vertébrale de l’économie nationale, est en train de s’effondrer silencieusement, faute d’un modèle de financement adapté à ses besoins
- Moins de 15 % des crédits bancaires sont alloués aux PME, et cette proportion tombe à des niveaux dérisoires dans les régions de l’intérieur
- À travers les écarts se lit une injustice économique profonde, mais aussi une impuissance collective à faire émerger une croissance inclusive et durable
- Banques, compagnies d’assurance, sociétés de leasing, fonds d’investissement : tous doivent sortir de leur logique de gestion passive des risques
- Financer les PME, ce n’est pas prendre un risque : c’est investir dans la résilience, la prospérité et la stabilité de notre pays
Tunis, UNIVERSNEWS (SEF) – Alors que l’économie tunisienne traverse l’une de ses périodes les plus critiques depuis la révolution de 2011, une question clé revient avec insistance : comment sauver nos petites et moyennes entreprises (PME), ce tissu économique vital qui représente plus de 90 % des entreprises du pays et plus de 70 % de l’emploi privé ?
La réponse est sans ambiguïté : il faut réformer d’urgence le modèle de financement en Tunisie.
Le tissu des petites et moyennes entreprises (PME), colonne vertébrale de l’économie nationale, est en train de s’effondrer silencieusement, faute d’un modèle de financement adapté à ses besoins. Dans un pays où les PME représentent plus de 90 % du tissu productif et plus de 70 % de l’emploi privé, leur marginalisation structurelle par le système financier ne relève plus de l’anomalie, mais du danger stratégique. Moins de 15 % des crédits bancaires leur sont alloués, et cette proportion tombe à des niveaux dérisoires dans les régions de l’intérieur. Les jeunes entreprises, les femmes entrepreneures, les projets à contenu technologique ou culturel, tous restent durablement exclus des circuits classiques du crédit, prisonniers d’un modèle fondé sur la garantie matérielle, la taille critique et l’aversion au risque. Cette situation n’est pas nouvelle, mais elle devient aujourd’hui insoutenable. Nous faisons face à une triple fracture : entre grandes et petites entreprises, entre les régions du littoral et celles de l’intérieur, entre l’économie tangible et l’économie de la connaissance.
À travers ces écarts se lit une injustice économique profonde, mais aussi une impuissance collective à faire émerger une croissance inclusive et durable. Et c’est là que se joue notre avenir. Il ne s’agit pas simplement d’ouvrir quelques lignes de crédit supplémentaires ou de créer de nouveaux guichets. Il s’agit de refonder en profondeur le système de financement tunisien, pour qu’il cesse d’être un frein à l’initiative, et devienne au contraire un levier de transformation économique.
Cette réforme doit être systémique, audacieuse et portée par une vision de long terme. Elle implique de réorienter les flux de financement vers les PME, de développer des instruments hybrides adaptés aux réalités des entrepreneurs tunisiens, de faciliter l’accès au capital pour les porteurs d’idées dans tous les territoires, et de valoriser les actifs immatériels qui font la richesse du XXIe siècle : la créativité, le savoir-faire, le numérique, l’innovation sociale. Il est également essentiel que l’État reprenne une position stratégique, non pas en se substituant au marché, mais en le guidant : en fixant des priorités claires, en créant des incitations intelligentes, en assumant son rôle de garant de la cohésion économique et sociale. Car une stratégie nationale de financement des PME n’est pas un luxe : c’est un impératif de survie, un acte de souveraineté économique. Elle permet de renforcer l’emploi, de lutter contre l’économie informelle, d’élargir l’assiette fiscale et de stabiliser les territoires. Mais l’État ne pourra rien sans l’engagement du secteur financier lui-même. Banques, compagnies d’assurance, sociétés de leasing, fonds d’investissement : tous doivent sortir de leur logique de gestion passive des risques et prendre part activement à la construction d’un modèle de croissance soutenable. Leur responsabilité est historique. Le moment est venu pour ces institutions de prouver leur utilité nationale en soutenant, avec courage, les entrepreneurs qui innovent, produisent et embauchent malgré les obstacles. Financer les PME, ce n’est pas prendre un risque : c’est investir dans la résilience, la prospérité et la stabilité de notre pays. La Tunisie ne pourra pas rebondir sans ses PME. Et celles-ci ne pourront survivre sans un environnement financier profondément repensé. Il est temps de choisir : continuer à ignorer les signaux d’alerte, ou enfin bâtir un pacte économique fondé sur la confiance, la justice et l’engagement partagé.
Financer les PME, c’est financer l’avenir de la Tunisie. Le moment est venu d’en faire une priorité nationale.