La guerre démographique fait rage à Jérusalem/Al-Qods
Alors qu’Israël et son cher ami Donald Trump veulent contraindre les Gazaouis au déplacement forcé pour mettre la main sur leur terre, que l’armée israélienne et les colons déchaînés s’adonnent à tous les crimes en Cisjordanie pour rendre la vie impossible aux Palestiniens dans l’espoir de les voir partir et de s’approprier également ce territoire, une guerre démographique a eu lieu à Jérusalem/Al-Qods. Cet enjeu est d’une telle importance que des experts s’y sont penchés et gare aux préjugés et aux conclusions hâtives et superficielles!
Imed Bahri
Le journal israélien Israel Hayom a mené une enquête sur ce sujet très important que l’auteur Lidor Sultan a commencée par des interrogations: «À quoi ressemblera Jérusalem dans cinq ans? Y aura-t-il plus de Juifs orthodoxes? Combien d’Arabes y vivront? La migration négative va-t-elle se poursuivre (solde migratoire négatif, Ndlr)? Des interrogations évidemment curieuses. Toutefois si nous voulons comprendre les tendances démographiques vers lesquelles se dirige la capitale d’Israël dans l’avenir, nous devons d’abord nous tourner vers les données actuelles: selon les chiffres de 2024, plus d’un million de personnes vivent à Jérusalem dont 60% sont des Juifs, 39% des Arabes et le reste étant des minorités en nombre marginal. Par conséquent, cette situation crée trois groupes centraux dans la ville.»
«Nous parlons d’une combinaison très unique en Israël», explique Yair Assaf-Shapira, chercheur senior et chef de l’équipe d’information et de données à l’Institut de recherche politique de Jérusalem/Al-Qods. Il poursuit son explication: «À ce jour, il n’existe pas de majorité claire pour un groupe de population particulier à Jérusalem. Ni les Juifs orthodoxes, ni les Arabes, ni les Juifs non orthodoxes ne constituent une nette majorité ce qui n’est le cas d’aucune autre grande ville du pays. À Haïfa et à Tel-Aviv, par exemple, la majorité est constituée de Juifs non orthodoxes. À Jérusalem, on a assisté à une situation de trois groupes fondamentaux d’égale importance avec d’innombrables autres courants».
Un clivage central entre Juifs et Arabes
Le professeur Sergio Della Pergola, démographe à l’Université hébraïque de Jérusalem, explique: «C’est une ville qui présente une rare mosaïque de différents groupes de population vivant ensemble dans une relative harmonie, chaque groupe de population étant concentré dans son propre quartier. Les différences entre les quartiers créent des tensions et constituent une part importante du clivage central entre Juifs et Arabes dans la ville notamment en ce qui concerne le nombre.»
Israel Hayom explique qu’en pratique, depuis la guerre des Six Jours en 1967, la question se pose de l’avenir démographique de la ville et de ce qui peut être fait pour augmenter le nombre de Juifs et établir le statut de la capitale unifiée en tant que ville juive. Dès lors, de nombreuses personnes se sont penchées sur cette question qui a pris une importance particulière à la fin des années 1990 pendant le mandat de maire d’Ehud Olmert. À l’époque, Olmert avait réuni les meilleurs experts pour un projet ambitieux visant à comprendre les transformations que Jérusalem/Al-Qods devrait subir d’ici 2020 y compris les transformations démographiques dans une tentative de changer la réalité par rapport aux tendances naturelles que les experts prévoient pour la ville.
«J’ai été invité à être le chef de l’équipe démographique du projet», se souvient le professeur Della Pergola. «Olmert, en tant que maire, a demandé comment garantir qu’il y ait une majorité juive de 75% en 2020 à Jérusalem. Il a pris grand soin de nos recherches entrant dans les détails de chaque tableau et de chaque ligne. Dès lors, j’ai compris que les tendances dans la ville vont en réalité dans d’autres directions. J’ai expliqué que le taux juif en particulier diminuerait tandis que le taux arabe augmenterait plus rapidement. J’ai expliqué qu’atteindre l’objectif est une chose, et atteindre ce qui est attendu sur la base de la recherche en est une autre», explique-t-il.
Selon les données du Centre de recherche et d’information de la Knesset, la part des Juifs à Jérusalem/Al-Qods à la fin des années 1990 était d’environ 69,5%. Ces données, comme la méthode de mesure actuelle incluent également d’autres groupes minoritaires. La municipalité de Jérusalem/Al-Qods s’est saisie de cette question.
Le professeur Della Pergola ajoute: «En supposant que nous ne modifions pas les frontières de Jérusalem comme l’a demandé Olmert, nous avons conclu à l’époque que le taux de Juifs n’augmentera pas mais baissera en 2020 à 60-65%. Environ 20 ans plus tard, j’ai été surpris de constater que notre prédiction n’était erronée que de 0,6% et que le taux de Juifs dans la ville était d’environ 61,5%».
Les Juifs augmentent beaucoup moins vite que les Arabes
Les résultats statistiques publiés en 2020 ont montré que la population juive a augmenté de 40% tandis que la population arabe a augmenté de 110% soit plus du double. Les experts ont dégagé des tendances intéressantes et qui peuvent paraître contradictoires notamment dans le domaine de la reproduction naturelle. Assaf-Shapira explique: «Ces dernières années, nous constatons que la population arabe de Jérusalem fait moins d’enfants que par le passé. Il est vrai que le taux de croissance de la communauté arabe de la ville est plus élevé que celui de la population juive comme les experts l’avaient prédit auparavant mais il s’avère que les taux de natalité sont bien inférieurs aux taux de la population juive de la ville dans son ensemble».
Les données du Bureau central des statistiques au début de 2024 renforcent ce diagnostic: le taux de fécondité parmi les femmes juives et non juives de la capitale était de 4,3%, tandis que parmi les femmes arabes, il était de 2,81%.
Assaf-Shapira déclare: «Pour diverses raisons, le taux de fécondité général dans la société arabe, en particulier dans le nord du pays, dans le centre et à Jérusalem, a diminué ces dernières années. En revanche, le taux de fécondité dans la communauté juive orthodoxe de Jérusalem est resté élevé».
Alors, comment se fait-il alors que le taux de croissance de la communauté arabe de la ville reste supérieur à celui de la population juive? Il y a quelque chose qui affecte bien plus que le taux de fécondité, c’est l’immigration. Considérez la ville comme un vaisseau plus petit que ce qu’il peut contenir de sorte que les excédents débordent sous forme de migration négative. C’est une marche qui caractérise toutes les grandes villes même Tel-Aviv.
Provio Della Pergola: «Traditionnellement, Jérusalem est perdante dans la balance de l’immigration, le nombre de personnes qui la quittent chaque année est de plusieurs milliers supérieur au nombre de ceux qui s’y installent et c’est un fait qui nous accompagnera dans un avenir proche. La migration interne négative caractérise le secteur juif et non le secteur arabe où cette perte est presque inexistante. En conséquence, le secteur arabe est en croissance continue même si sa reproduction naturelle reste relativement lente par rapport à la communauté juive.»
Malgré tout cela, la population de Jérusalem/Al-Qods continue de croître. Della Pergola indique qu’en théorie, la migration négative est censée réduire la population de la ville. Dans la pratique, Jérusalem/Al-Qods a un taux de natalité très élevé et un taux de mortalité faible en raison du jeune âge de la population la ville continue donc de croître. Cette tendance se poursuivra également dans les années à venir.
Un autre fait intéressant révélé par les données publiées en 2020 concerne la répartition des résidents quittant la ville.
«Dans les migrations interurbaines, les secteurs juifs de Jérusalem semblent être plus concernés que la communauté arabe de la capitale», souligne Della Pergola et poursuit: «En termes de catégories, les données montrent que les laïcs quittent davantage le territoire vers le centre tandis que les Juifs orthodoxes se déplacent principalement vers Beitar Illit, Beit Shemesh et Modiin Illit et la plupart des religieux nationalistes partent pour la Cisjordanie à Ma’ale Adumim et dans les zones de colonies de peuplement autour de Jérusalem. L’opinion publique croit que tous les laïcs quittent la ville et que Jérusalem devient une ville des Juifs orthodoxes mais ce n’est pas tout à fait exact. Cette tendance urbaine existe mais elle est lente car le taux de départ des Juifs orthodoxes de Jérusalem est très élevé».
Pour sa part, Yair Assaf-Shapira ne semble pas dubitatif dans ce qu’il voit comme avenir démographique de la ville: «Il faut se méfier de la prophétie d’une Jérusalem ville des Juifs orthodoxes. À Jérusalem, il y a toutes les couleurs et différents groupes de population en grand nombre. Tel ou tel groupe de population ne disparaîtra ni demain ni dans une décennie.»
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