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Tunisie : la liberté individuelle victime du conservatisme collectif  

29. Oktober 2024 um 07:28

Ces derniers jours, les médias poubelles et nombre de célébrités décérébrés sont montés au créneau pour dénoncer le «contenu immoral» de certains utilisateurs de Tik-Tok. Cela dénote une chose toute simple : la crainte des Tunisiens conservateurs de voir leurs compatriotes s’affranchir de la tutelle étouffante de la morale et se frayer un chemin vers une plus grande liberté sexuelle. Leurs cris d’orfraie et jérémiades ne sont pas tombés dans l’oreille d’un sourd… Et ce qui était prévisible arriva !

Mohamed Sadok Lejri *

En effet, le ministère de la Justice vient de faire savoir que des mesures légales seront prises à l’encontre de toute personne qui commettrait un outrage aux bonnes mœurs et à la morale publique sur Tik-Tok et Instagram.

Ainsi, le pouvoir a décidé de faire plaisir à la plèbe qui, depuis plusieurs jours, s’adonnait à une frénésie de délires vertueux à travers les réseaux sociaux. Cette plèbe rêve d’expédier en taule tous ceux (et surtout toutes celles) qui réfutent sa moraline, toutes celles et tous ceux qui refusent d’adhérer à son système de valeurs réactionnaires et liberticides, toutes celles et tous ceux qui refusent de faire le jeu du conformisme intellectuel sclérosant dans lequel patauge cette plèbe.  

Le pouvoir s’aligne sur la doxa sociale

Le Tunisien moyen, conservateur et conformiste comme il est, redoute comme la peste la sécularisation de la société et l’émancipation des corps et des plaisirs. Et le pouvoir, en satisfaisant les desiderata des «oreilles chastes», n’a fait que s’aligner sur la doxa sociale et sur les diktats des tenants du discours qui dégouline de morale et de toutes sortes de mièvreries dont raffolent les simples d’esprit.

Ce pas de plus vers la restriction des libertés permet aux conservateurs et aux bondieusards qui prônent la censure au nom de la morale et des bonnes mœurs de conserver le monopole du contrôle de l’espace public (réel et virtuel).

Tant qu’à faire, pourquoi ne pas créer un comité pour le commandement de la vertu et la répression du vice (هيئه الأمر بالمعروف و النهي عن المنكر) ?

Personnellement, je suis prêt à m’accommoder de l’absence de démocratie et de liberté politique, ou plutôt à m’y résigner. Si les Tunisiens n’en veulent pas, libres à eux ! En revanche, la répression des mœurs, celle qui s’exerce au nom de la morale et des bonnes mœurs, nous livre à une sorte d’inquisition moyenâgeuse et touche à ce qu’il y a de plus sacré : la liberté individuelle.

La judiciarisation des comportements jugés comme contraire à la morale publique et aux bonnes mœurs n’est pas sans nous rappeler les pires heures de l’Histoire de l’humanité.

Le choc des consciences

Il faut comprendre que la provocation des conservateurs et le choc des consciences participent à la transformation de la société. C’est un passage obligé si l’on veut sortir du vieux dispositif qui sanctifie la morale et qui s’appuie sur la répression des mœurs jugées inconvenantes par une grande partie de la société.

Seul un électrochoc désinhibiteur affaiblira les tabous religieux et sexuels. C’est le seul moyen d’en finir avec le conformisme intellectuel sclérosant, la censure morale et religieuse et les inhibitions qui lui sont liées d’une manière consubstantielle et qui sont à l’origine de tant de névroses en terre d’Islam.

Cette décision populiste du pouvoir en place n’est bonne qu’à entretenir la société tunisienne dans sa misère affective, sentimentale et sexuelle.

P.S. 1 : Pourquoi ne pas fermer les sites pornos, avant de poursuivre en justice les Tunisiens qui font preuve d’une «hardiesse excessive»? Est-ce parce que les acteurs ne sont pas Tunisiens et l’identification à ces derniers n’est pas évidente ?

Ainsi, une étrangère peut me donner la trique sur internet et sur les réseaux sociaux. En revanche, quand il s’agit d’une Tunisienne, ça relève de l’honneur de toute une nation ? Comme si l’honneur d’un pays se trouvait dans l’entrejambes de ces femmes ! Si c’était le cas, les pays arabes ne seraient pas en bas de la liste des priorités des grands de ce monde.

L’on tient absolument à vivre dans une prison morale et à régir le moindre de nos comportements et pensées par un système de valeurs contraignantes et anachroniques, alors autant commencer par les priorités les plus pressantes et s’y cantonner de façon scrupuleuse. Ne faisons pas les choses à moitié.

P.S. 2 : Ceux qui croient que les islamistes sont les instigateurs de cette décision du ministère de la Justice sont complètement à côté de la plaque. En effet, les Tunisiens n’ont pas besoin des islamistes pour pousser des cris d’orfraie et appeler à la censure. Ils sont foncièrement conformistes et moralisateurs et estiment que, dans un pays arabo-musulman et conservateur, l’Etat doit s’inscrire dans une logique prohibitive dès qu’il s’agit de choses moralement répréhensibles. 

En somme, la censure les rassure. Elle leur donne l’impression de vivre dans un pays où l’Etat dégaine le sabre de l’oppression dès que les «fossed» tentent d’injecter le «poison de la débauche» à travers les réseaux sociaux ou les fictions qu’ils diffusent sur leurs chaînes de télévision.

* Universitaire.

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