TDAH, l’enfant du vent
Si l’école tunisienne veut encore être un lieu d’apprentissage et non de formatage, elle devra apprendre à faire de la place aux enfants du vent. Sinon, ils partiront. Ou ils s’éteindront. Et avec eux, une part précieuse de notre avenir.
Manel Albouchi *
Il court, il parle, il rêve. Il dérange aussi, parfois. Son esprit est une tempête, un fleuve sans digue, une étoile filante qui refuse de suivre l’orbite qu’on lui trace. Il est l’enfant du vent. Ici, on dit qu’il est indiscipliné, qu’il ne tient pas en place, qu’il a besoin d’être recadré. Dans d’autres contrées, on murmure plutôt qu’il est différent et qu’il lui faut un ciel à sa mesure.
En Tunisie, l’enfant du vent est souvent assis au dernier rang, sommé d’éteindre l’incendie qu’il porte en lui. Les bancs de l’école sont des cages trop étroites pour ses ailes. On lui demande de se taire, de rester immobile, d’être « comme les autres ». Mais lui ne connaît que le mouvement, la pensée fulgurante, le désir d’explorer mille mondes à la fois. Alors il s’ennuie. Il s’éteint. Ou il explose. Et on le punit.
Un nom pour l’incompréhension
On l’appelle TDAH (trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité). Trois lettres pour contenir un univers. Trois lettres pour masquer une question plus vaste, plus politique. Pourquoi un enfant qui pense autrement devient-il un problème ? Pourquoi notre système ne sait-il que corriger, freiner, ajuster, au lieu d’écouter, accompagner, réinventer ?
Les enfants du vent ne rentrent pas dans les cases. Alors on les classe. On leur donne des notes basses, on leur prescrit des pilules, on les exclut parfois, pour leur bien. Mais leur bien, qui le définit ? Ceux qui enseignent depuis une estrade, figés dans une ligne droite qu’ils tracent pour les autres ? Ou ceux qui courent et créent, même quand on leur dit de s’arrêter ?
Un papillon parmi les fourmis
On ne critique pas une rose pour la faire grandir, on lui offre un terreau fertile et la patience du temps. Mais face à un enfant TDAH, combien choisissent l’impatience et la réprimande plutôt que l’accompagnement et la compréhension ?
Un enfant TDAH est comme un papillon dans un monde structuré pour les fourmis. Là où l’on exige des rangs bien alignés, des mouvements calculés et des règles strictes, lui danse au gré du vent. Il suit un rythme intérieur que personne ne semble entendre. Et parce qu’il ne rentre pas dans le moule, on tente de le façonner autrement, de lui imposer une marche qui n’est pas la sienne.
Mais l’histoire nous prouve que ces esprits libres ont souvent été les moteurs du progrès. Albert Einstein, incapable de suivre le cadre rigide de l’école, a révolutionné notre vision du monde. Léonard de Vinci, dispersé, inclassable, était un génie touche-à-tout qui voyait mille choses à la fois. Thomas Edison, qualifié d’élève difficile, a éclairé notre monde de ses inventions.
Ces enfants-là ne sont pas un problème à corriger, mais une énergie à canaliser. Le vent ne se dompte pas, il se guide. Il fait tourner les moulins, gonfle les voiles, porte les graines d’un avenir nouveau.
Une société du silence et du contrôle
Mais ici, en Tunisie, ces enfants ne trouvent ni moulins, ni voiles, ni terreau fertile. L’école les réprimande, les adultes s’impatientent, le système les étouffe. On leur dit qu’ils ne sont pas comme il faut, qu’ils doivent faire des efforts, qu’ils posent problème. On leur apprend à douter d’eux-mêmes avant même qu’ils aient eu le temps d’explorer leur potentiel.
Et pourtant, avant de leur demander de nous écouter, prenons-nous réellement le temps de les écouter ? Avant de leur imposer un silence forcé, avons-nous cherché à comprendre la musique qu’ils entendent ?
Honorer le vent
Il est temps de changer de regard. Il ne s’agit pas de guérir ces enfants, mais de guérir le regard que l’on porte sur eux. Il ne s’agit pas de les enfermer dans des cadres trop étroits, mais d’élargir notre conception de l’intelligence et du talent.
Si l’école tunisienne veut encore être un lieu d’apprentissage et non de formatage, elle devra apprendre à faire de la place aux enfants du vent. Sinon, ils partiront. Ou ils s’éteindront. Et avec eux, une part précieuse de notre avenir.
* Psychologue, psychanalyste.
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