La migration est un supermarché et les migrants des produits!
La migration temporaire, surnommée également dans certains médias la migration choisie, est un moyen de servir les besoins du marché du travail des pays de destination pour une période déterminée à l’issue de laquelle le migrant retourne chez lui. Son séjour dépend uniquement de son utilité dans un secteur bien déterminé.
Imed Bahri
Cette migration prend de plus en plus d’ampleur surtout dans les pays dirigés par la droite et l’extrême droite. La question migratoire est un sujet permanent de surenchère électoraliste pour arriver au pouvoir mais une fois cet objectif atteint, ils se servent des migrants comme des acheteurs dans un supermarché, ils prennent ceux dont ils ont besoin pour la période qui leur convient et les autres, ils ne sont pas les bienvenus. Un modèle migratoire égoïste et cynique qui est assumé sans aucun complexe par ces gouvernements européens. Les ressources humaines des pays en développement sont intéressantes quand elles sont utiles voire vitales à certains secteurs économiques sinon elles sont un fardeau dont il faut se débarrasser.
Dans une enquête intitulée «Comment rendre l’immigration acceptable à l’ère du populisme?», le magazine britannique The Economist indique que les programmes d’accueil des travailleurs migrants temporaires connaissent un essor mondial remarquable, offrant des avantages considérables aux pays d’accueil et aux travailleurs eux-mêmes, qui, de toute façon, sont contents de prendre ce qu’on leur propose.
Ces programmes sont devenus la solution politique et économique adoptée par les pays riches pour faire face aux pénuries de main-d’œuvre résultant des changements démographiques, tout en satisfaisant la tendance populiste à s’opposer à l’immigration permanente.
Des migrants à la carte
L’enquête examine la propagation de ce modèle migratoire dans les pays dirigés par des gouvernements de droite comme l’Italie et la Hongrie en particulier et dans les pays occidentaux en général. Elle souligne également qu’en dépit du discours d’extrême droite, la présidente du Conseil italien Giorgia Meloni a annoncé la délivrance de 165 000 visas de travail d’ici 2026 contre seulement 30 000 il y a cinq ans. Elle a également signé un accord avec l’Inde pour promouvoir la mobilité professionnelle.
Le Premier ministre hongrois Viktor Orbán, malgré ses déclarations selon lesquelles l’économie de son pays n’a pas besoin de migrants, a discrètement adopté des plans d’accueil temporaire de travailleurs. Le nombre de travailleurs migrants en Hongrie devrait atteindre environ 78 000 en 2024, soit une hausse de 92 % par rapport à 2019.
The Economist a également noté que le nombre de travailleurs temporaires en France, en Espagne et au Japon a augmenté, atteignant 2,5 millions dans les pays de l’OCDE en 2023 contre 1,5 million en 2014. Cela reflète l’expansion mondiale de ce modèle économique qui fait la renommée des États du Golfe et de Singapour.
Le magazine britannique a souligné que, compte tenu des besoins de main-d’œuvre des pays riches, la montée de l’extrême droite ne les a pas empêchés de mener des politiques anti-immigration permanente, contribuant ainsi au succès de ces programmes.
Le magazine a cité l’exemple de l’Allemagne, qui a récemment supprimé une voie d’accès accélérée à la citoyenneté, et du Royaume-Uni, qui prévoit d’augmenter la durée de résidence requise pour l’obtention de la citoyenneté de cinq à dix ans, renforçant ainsi le recours à ces contrats temporaires qui répondent aux besoins du marché sans accorder la résidence permanente aux immigrés.
Main-d’œuvre temporaire
L’enquête identifie l’agriculture, la santé, la construction, les technologies, les emplois qualifiés et les aides publiques comme des secteurs clés dépendant de la main-d’œuvre temporaire.
Elle souligne que ces programmes bénéficient également aux travailleurs, citant le chercheur Lant Pritchett de la London School of Economics, qui affirme que le travail temporaire aux États-Unis pourrait augmenter les salaires des travailleurs de 11 pays en développement jusqu’à 424%.
Selon l’enquête, l’augmentation de la proportion de travailleurs temporaires pourrait compenser le ralentissement économique dû à la décroissance démographique dans des pays comme la Corée du Sud où une augmentation de la proportion de travailleurs étrangers temporaires de 3% à 15% –comme ce fut le cas en Australie – pourrait stimuler le PIB, selon les estimations de l’Université George Mason.
S’appuyant sur des données de la Banque mondiale, l’enquête indique que les avantages de la migration temporaire vont au-delà des transferts de fonds. Des études montrent que les migrants de retour sont plus susceptibles de créer leur propre entreprise, ce qui stimule l’entrepreneuriat et le développement économique dans leur pays d’origine.
Les pays en développement soutiennent donc avec enthousiasme cette tendance dans les pays riches. Des pays comme l’Inde et l’Ouzbékistan ont conclu des accords bilatéraux d’exportation de main-d’œuvre avec des garanties que les travailleurs seront renvoyés à l’expiration de leurs visas, tandis que le Vietnam vise à envoyer 130 000 travailleurs cette année.
Difficulté d’intégration
L’enquête a fait part toutefois de deux problèmes majeurs à savoir la difficulté d’intégration des migrants dans les pays d’accueil et la facilité avec laquelle ils sont exploités.
The Economist cite l’expérience de l’Allemagne de l’Ouest dans les années 1950, qui a accueilli environ 1,4 million de travailleurs étrangers, principalement turcs. Nombre d’entre eux sont restés longtemps sans possibilité d’obtenir la nationalité, ce qui a compliqué leur intégration sociale.
L’enquête indique aussi que le ministère japonais de la Santé a constaté en 2022 que 74% des entreprises employant des travailleurs migrants violaient le droit du travail, notamment en exigeant des migrants qu’ils effectuent des heures supplémentaires non rémunérées.
Certaines entreprises néerlandaises ont eu recours au recrutement de travailleurs via de faux bureaux dans d’autres pays européens, exploitant ainsi la liberté de circulation au sein de l’Union européenne, laissant les migrants à la merci d’intermédiaires et de fausses entreprises, ignorant les lois qui leur sont applicables.
Selon le magazine britannique, des études indiquent que la migration temporaire réduit la productivité des travailleurs et les avantages pour l’entreprise et le pays d’accueil. Les entreprises considèrent la formation des employés temporaires comme un gaspillage de ressources, tandis que les travailleurs ne peuvent pas quitter l’entreprise qui les recrute et changer d’emploi, ce qui est essentiel au développement des compétences.
Les économistes proposent donc l’adoption de visas permettant aux travailleurs de changer librement d’entreprise. Des pays comme l’Australie, le Canada et le Japon ont commencé à faciliter la circulation des travailleurs au sein de différents secteurs.
The Economist prédit que la migration temporaire des travailleurs expatriés se poursuivra malgré la montée de la droite en Occident, à un moment où les besoins en main-d’œuvre augmentent. La migration s’apparente alors davantage à une porte permettant aux travailleurs d’entrer et de sortir selon leurs besoins, plutôt qu’à une échelle menant à la résidence permanente et à la citoyenneté.
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