Tunisie | Le gaz naturel ouvre une voie durable pour l’industrie
Dans le corridor nord-ouest de la Tunisie, une transition énergétique majeure transforme discrètement les moyens de subsistance des communautés et la trajectoire de l’industrie locale. Autrefois dépendante du fioul lourd, la région se tourne désormais vers le gaz naturel pour alimenter les foyers et les usines, marquant une avancée significative vers une énergie plus propre en Afrique du Nord et potentiellement un modèle pour des transitions similaires sur tout le continent.
Solomon Irungu
Ce changement est mené par la Société tunisienne de l’électricité et du gaz (Steg), avec le soutien de la Banque africaine de développement (Bad). Leur initiative conjointe – le Projet de développement du réseau de transport et de distribution de gaz naturel – a commencé à approvisionner en gaz des municipalités clés telles que Béja Sud et Medjez El-Bab, et prévoit de raccorder plus de 13 000 foyers et installations industrielles dans 19 villes d’ici 2026.
Bien que modeste par rapport aux mégaprojets énergétiques d’autres régions du monde, l’impact en Tunisie a été profond. Le projet remplace le fioul lourd à forte intensité de carbone par une alternative plus propre, le gaz naturel, réduisant ainsi la pollution de l’air, améliorant l’efficacité industrielle et diminuant les coûts énergétiques pour les entreprises et les consommateurs.
Réduction de l’empreinte environnementale
À l’usine de transformation agroalimentaire Sicam de Béja, spécialisée dans les conserves de tomates, la transition a déjà apporté des bénéfices mesurables. «Grâce au gaz, nous avons éliminé la pollution visible, réduit nos factures d’énergie de plusieurs centaines de milliers de dinars et amélioré notre efficacité de production», explique Kamel Trabelsi, directeur général adjoint de l’entreprise. Leurs chaudières, autrefois laborieuses et polluantes au démarrage, atteignent désormais 95 % de leur capacité presque instantanément grâce au gaz naturel canalisé.
Cette transition a non seulement amélioré les conditions de travail et réduit les temps d’arrêt opérationnels, mais a également considérablement réduit l’empreinte environnementale de l’entreprise. Avant ce changement, l’utilisation du fioul lourd dégageait d’épaisses fumées noires dans les quartiers voisins et contribuait à l’émission de gaz à effet de serre en Tunisie.
L’initiative tunisienne est particulièrement pertinente pour les autres pays africains confrontés à l’insécurité énergétique, au sous-développement industriel et à des niveaux de pollution élevés. Selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE), plus de 600 millions de personnes en Afrique n’ont toujours pas accès à l’électricité. Parallèlement, les industries dépendent souvent de générateurs diesel coûteux et polluants, contribuant à la fois à l’inefficacité économique et à la dégradation de l’environnement.
Stimuler la croissance verte et la compétitivité industrielle
Le projet Steg, financé à hauteur de 49,39 millions d’euros par la Bad, illustre comment des investissements stratégiques dans des infrastructures de taille moyenne peuvent stimuler la croissance verte et la compétitivité industrielle, sans recourir à des solutions de grande envergure coûteuses et gourmandes en énergie fossile.
Mehdi Khoali, directeur des opérations à la Bad, explique que le projet a déjà dynamisé l’industrialisation locale. «Dix nouvelles unités industrielles, telles que des briqueteries et des cimenteries, se sont implantées le long du nouveau gazoduc. D’autres se sont développées. Des emplois sont créés et la région devient plus résiliente économiquement», note-t-il.
L’initiative sert également d’étude de cas en matière d’efficacité du financement du développement. Contrairement à de nombreux projets d’infrastructure financés par des donateurs qui souffrent de longs retards, le cycle de décaissement rapide de la Bad – parfois en une semaine – a permis à la Steg de respecter les délais. Le coordinateur du projet, Mohamed Riadh Hellal, affirme que cette efficacité a été «essentielle pour fournir les infrastructures au moment et à l’endroit où elles étaient nécessaires».
La conception du projet reflète un équilibre délicat entre les priorités de développement : connecter les ménages mal desservis, soutenir les entreprises locales et réduire les émissions, le tout sans provoquer de pics de dette publique ni compromettre les normes techniques.
De plus, l’infrastructure est conçue dans une optique d’évolutivité, offrant des possibilités d’intégration future aux corridors gaziers régionaux et même aux initiatives d’hydrogène renouvelable explorées par des pays comme le Maroc et l’Égypte.
Bien que le gaz naturel reste une énergie fossile, les experts affirment qu’il représente une passerelle concrète pour la transition énergétique africaine. «Dans les contextes où les énergies renouvelables ne peuvent pas encore fournir une fiabilité 24h/24 et 7j/7 ou une énergie de qualité industrielle, le gaz naturel constitue une étape intermédiaire plus propre et rentable», explique Leila Maalouf, analyste en politique énergétique basée à Tunis.
Pour la Tunisie et les économies similaires, l’essentiel sera de veiller à ce que cette transition ne devienne pas une fin en soi, mais une voie vers une économie bas carbone intégrant l’énergie solaire, l’éolien et l’hydrogène vert. À cet égard, l’expérience tunisienne pourrait être riche d’enseignements pour d’autres pays africains qui souhaitent décarboner leurs économies sans compromettre leur développement.
Alors que le continent se prépare à accueillir les négociations mondiales sur le climat lors de la COP30 en 2025, des exemples comme celui de la Tunisie sont susceptibles d’occuper le devant de la scène, démontrant comment des solutions énergétiques adaptées et spécifiques à chaque région peuvent bénéficier à la fois aux populations et à la planète.
Traduit de l’anglais.
Source : Africa Sustainability Matters.
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