Pourquoi Israël kidnappe-t-il des Syriens ?
À Gaza, la propagande mensongère israélienne prétend à chaque fois que des civils sont enlevés et tués qu’ils sont des combattants du Hamas même quand il s’agit de journalistes. En Cisjordanie, ceux qui subissent le même sort sont accusés sans aucune preuve d’être des terroristes qui menacent Israël. Aujourd’hui, l’État hébreu applique la même méthode dans le nord de la Syrie, à Qouneitra, où son armée enlève des citoyens syriens sunnites et l’accusation est toute prête, ils seraient tous des islamistes qui représentent un danger pour la sécurité d’Israël.
Imed Bahri
Cette barbarie s’étend aussi à des agriculteurs qui se voient confisquer leurs terres par l’armée israélienne. Ces Syriens sont abandonnés à leur sort puisque leur gouvernement par faiblesse face à la prédation israélienne ou par lâcheté ne fait rien.
Dans tout le gouvernorat de Qouneitra, les habitants vivent dans une terreur absolue en raison des incursions, des enlèvements et des attaques de tireurs embusqués perpétrés par l’armée israélienne contre les citoyens syriens. Cette terreur et ce sentiment d’impuissance s’accompagnent d’une colère face à ce qu’ils perçoivent comme un abandon de la part du gouvernement central syrien. Al-Jazeera est partie à la rencontre de cette population.
Dans toutes les zones rurales de ce gouvernorat, les chars de l’armée israélienne ont établi des points de contrôle et des patrouilles et ont même installé des barrières pour arrêter et fouiller les civils. Les enlèvements ont souvent lieu en pleine nuit.
Vivre dans la crainte d’être enlevé
Dans les villages de Mashara, Al-Dawaya Al-Kabira, Al-Suwaisa, Khan Arnaba, Jabata Al-Khashab et Jaba, où Al-Jazeera a rencontré des habitants, le seul sujet de conversation était les enlèvements et les raids israéliens qui bénéficient d’une impunité totale ainsi que la colère dirigée contre la Force de maintien de la paix des Nations Unies (FNUOD) et la Croix-Rouge, auprès desquelles les habitants ont tenté en vain de joindre leurs bureaux locaux. Tous ont refusé de se montrer à visage découvert par crainte d’être arrêtés.
Israël occupe le plateau du Golan syrien (Hadhbat Al-Joulan) depuis 1967 mais a étendu son occupation du sud de la Syrie -environ 400 kilomètres carrés- après le renversement du président Bachar Al-Assad en décembre 2014. Pire, Israël a déclaré nul et non avenu l’accord de désengagement de 1974 et ses incursions et raids militaires sont depuis lors devenus de plus en plus brutaux et violents.
Dans Al-Dawaya Al-Kabira, à Al-Suwaisa, depuis sa maison surplombant un poste militaire érigé sur une colline à seulement deux kilomètres de là, Kouna Suleiman a relaté l’arrestation par l’armée israélienne de ses fils, Ahmed et Adnan.
Elle et sa belle-fille racontent avec amertume et douleur comment le père des deux hommes Abdulhamid Karyan avait été victime d’un AVC après l’arrestation de ses fils, d’autant plus que l’un d’eux, Ahmed, avait été libéré de la tristement célèbre prison de Saydnaya quelques mois auparavant, après six ans et demi de torture et d’humiliation par le régime de Bachar Al-Assad. Elles ont également raconté comment le père avait rendu son dernier souffle, le cœur brisé, il y a à peine une semaine, répétant : «Je veux Ahmed et Adnan».
La mère raconte comment, il y a trois mois, à 3 heures du matin, les Israéliens avaient fait irruption chez eux, menotté ses fils Ahmed et Adnan et les avaient emmenés après avoir fouillé la maison à la recherche d’armes mais ils n’avaient rien trouvé. Elle ajoute qu’ils ont dit à son mari : «On te connaît. Tu étais à Saydnaya».
Les villageois se plaignent des raids de l’armée israélienne sur leurs maisons, affirmant que leurs enfants ne peuvent plus dormir. Ils demandent : «Pourquoi le monde n’a-t-il pas arrêté Israël?».
Où est le gouvernement ?
Cependant, Kouna Suleiman dirige sa colère contre le gouvernement syrien: «Pourquoi notre président ne fait-il rien ? Où est le gouvernement ?»
Dans une maison voisine, Fares Mohammad Qaryan raconte comment, il y a sept mois, des soldats israéliens ont menotté son frère Mohammad lors d’une perquisition à son domicile à 3 h du matin et l’ont déshabillé devant ses quatre épouses et plusieurs de ses seize enfants. Il raconte aussi comment ils ont perquisitionné sa maison à nouveau il y a trois mois, arrêtant son neveu Marwan Shadi, qu’ils ne trouvaient pas. Il pense que cette perquisition visait probablement à l’arrêter personnellement, compte tenu de son passé de prisonnier à Saydnaya, où il a passé quatre ans et demi.
Certains habitants suggèrent qu’Israël se méfie de tous les anciens prisonniers de Saydnaya, les considérant comme des islamistes hostiles à Israël alors que dans cette prison il y avait différents profils de détenus pas uniquement des islamistes.
Fares exprime sa colère face à l’inaction du gouvernement syrien, affirmant qu’il ne s’est pas adressé à eux ni n’a porté plainte parce que normalement c’est aux représentants du gouvernement de se déplacer, de venir les voir et de réagir et non pas de faire prier pour le faire. Il déplore cette indifférence et cette inertie de gouvernement central.
À Jaba al-Khashab, dans la campagne de Quneitra, à deux pas d’un poste d’observation israélien dominant la zone, Mahmoud Makieh est alité suite à une blessure par balle qui a failli lui amputer la jambe. Touché par des soldats israéliens un mois plus tôt alors qu’il ramassait du bois, il affirme que l’intention était de le tuer et qu’une autre balle a frôlé sa tête. Il déplore le manque d’attention du gouvernement envers son cas. Et ajoute que sept membres de sa famille sont toujours détenus en Israël.
Alors qu’Israël qualifie ces opérations de «mesures de sécurité», les autorités syriennes et les organisations de défense des droits humains les considèrent comme des «enlèvements». Ammar Al-Issa, chargé de la documentation et de la vérification à la Commission nationale pour les personnes disparues, a déclaré au Centre Al Jazeera pour les libertés qu’ils avaient personnellement signalé certaines de ces arrestations mais a refusé de fournir des chiffres précis, expliquant que leur rôle est technique et consiste à documenter, vérifier et à impliquer d’autres agences gouvernementales dans cette affaire.
Des zones entières rasées par les Israéliens
Le Réseau syrien pour les droits de l’homme condamne ces enlèvements. Son président, Fadel Abdul Ghani, a déclaré au Centre pour les libertés d’Al Jazeera que ces arrestations constituent une violation flagrante du droit international humanitaire. Il a souligné qu’elles portent directement atteinte à la souveraineté, à l’unité et à l’intégrité territoriale de l’État syrien, telles qu’elles sont consacrées par la Charte des Nations Unies et l’Accord de désengagement de 1974.
Abdul Ghani a ajouté que ces arrestations impliquent un usage illégal de la force sur le territoire souverain et constituent une violation du principe de protection des civils et de l’interdiction des arrestations arbitraires ainsi qu’une violation de plusieurs droits fondamentaux, notamment le droit à la liberté et à la sécurité de la personne.
Outre ces arrestations en cours, les forces israéliennes renforcent leurs positions en érigeant des remblais de terre et en construisant des miradors. L’unité d’enquête Sanad d’Al Jazeera a vérifié l’établissement de neuf nouveaux camps militaires israéliens en Syrie depuis décembre 2024.
Des notables locaux ont déclaré que la population vit désormais dans la peur et n’est plus en mesure de cultiver ses terres. Ils soulignent que depuis le début des incursions, nombreux sont ceux qui ont cessé de construire et de cultiver la terre et qu’environ 1000 hectares de terres saisies par les forces israéliennes comprennent des vergers, des champs et des pâturages.
Les villageois et les éleveurs affirment que les forces israéliennes ont rasé des zones entières et déraciné des arbres centenaires pour construire de nouvelles fortifications sur le territoire syrien.
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