Levée des sanctions américaines contre Damas : à quel prix?
Avec l’annonce d’une levée des sanctions, Donald Trump a effectué un changement de cap majeur de la politique américaine envers la Syrie. En contrepartie de ce geste, Damas est appelé à normaliser ses relations avec l’Etat hébreu avec lequel il est officiellement en guerre depuis 1948. La potion est amère.
A la demande expresse du prince héritier saoudien Mohamed Ben Salman (MBS), à qui le président américain « ne pouvait rien refuser », selon son propre aveu, l’entretien qui devait se passer entre deux portes à la marge de la conférence internationale sur l’investissement tenue à Ryad, aura duré une trentaine de minutes. C’est dire l’importance de la rencontre, mercredi 14 mai, dans la capitale saoudienne, entre Donald Trump en tournée dans trois pays du Golfe et le président syrien par intérim, Ahmed Al-Charaa. Et ce, après que le locataire de la Maison Blanche eut annoncé mardi 13 mai une spectaculaire levée des sanctions contre la Syrie. Ouvrant ainsi le pays à des possibilités économiques, financières et diplomatiques stratégiques pour la région.
Une décision qualifiée par les observateurs de « tournant décisif » après que l’Union européenne, le Royaume-Uni et le Canada eurent déjà assoupli leur propre régime de sanctions. Sachant que les premières sanctions américaines contre Damas, imposées dès 1979 alors que le régime d’Hafez al-Assad était considéré comme un « Etat parrain du terrorisme », pèsent lourdement sur l’économie d’un pays étranglé par quatorze années de guerre civile.
Selon l’agence de presse officielle saoudienne, MBS, le dirigeant de facto du royaume, a participé à la rencontre. Pour sa part, le président turc, Recep Tayyip Erdogan, s’est également joint par Internet à la conversation.
Chantage
Quel est le prix à payer pour le président syrien- jadis ancien djihatiste affilié à Al Qïda et qui troqua le treillis pour un costume trois-pièce au point d’être reçu le 7 mai à l’Elysée, avec les honneurs, par Emmanuel Macron- pour une simple poignée de main avec le milliardaire républicain qui est devenu le premier président américain en vingt-cinq ans à rencontrer un dirigeant syrien?
Selon un compte rendu publié par la Maison Blanche, Donald Trump aura demandé au président syrien- lors de cette rencontre qui a eu lieu malgré les réticences de Tel-Aviv- de « rejoindre les Accords d’Abraham ». En d’autres termes : de normaliser avec l’Etat hébreu avec qui la Syrie est officiellement en guerre depuis 1948.
« Je lui ai dit : j’espère que vous rejoindrez [les accords d’Abraham] une fois que vous aurez réglé votre situation. Et il m’a dit “oui”. Mais ils ont beaucoup de travail à faire », a déclaré le président américain aux journalistes qui l’accompagnaient dans l’avion qui l’emmenait au Qatar.
Le président américain a également demandé à Damas d’expulser les membres de groupes armés palestiniens et de prendre « la responsabilité » des prisons détenant des membres du groupe jihadiste Etat islamique en Syrie, actuellement prises en charge par les forces kurdes. Sachant qu’un rapport des Nations unies publié en janvier 2024 avait estimé que le nombre de combattants de l’organisation terroriste en Irak et en Syrie variait entre 3 000 et 5 000 personnes. En plus de ces quelques milliers de djihadistes, environ 9 000 anciens combattants, femmes et enfants, peuplent les prisons kurdes dans la zone.
A noter que la diplomatie syrienne a évoqué une « rencontre historique », sans toutefois mentionner une quelconque normalisation avec « l’entité sioniste ».
Garanties saoudiennes
En contrepartie de la normalisation avec Israël, affirme un analyste du Centre d’études politiques et stratégiques d’Al-Ahram au Caire, Washington a accepté de facto les garanties de l’Arabie saoudite pour légitimer la nouvelle administration syrienne. Ce qui permettra à Damas de recevoir les financements nécessaires pour relancer l’économie, imposer l’autorité de l’Etat central et lancer des projets de construction « avec le soutien clair du Golfe », ajoute la même source.
Enjeux immenses
C’est que les enjeux économiques et géopolitiques de la levée des sanctions contre Damas sont immenses pour l’Arabie saoudite et la Turquie. Avec à la clé des juteux contrats dans le chantier de la reconstruction estimé à 400 milliards de dollars par l’ONU, y compris infrastructures routières, bâtiments, réseau énergétique… Sans oublier les possibles prospections en ce qui concerne le pétrole et le gaz.
Sur le plan géopolitique, « celui qui aura la meilleure emprise sur le pouvoir de Damas aura la main sur le reste », assure un spécialiste de la Syrie.
« La Syrie est un pays pivot et avoir un pied à Damas c’est avoir un pied dans ce carrefour vers la Turquie, vers les pays du Golfe, vers la Méditerranée et plus loin l’Europe », a-t-il développé. Tout en en concluant que la nouvelle Syrie, une fois reconstruite, formera « une ligne de front dans la guerre froide entre Riyad et Téhéran ».
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