La Ligue… et le malentendu historique !
Loin de nous d’interférer dans le débat en cours sur la situation de la Ligue tunisienne des droits de l’Homme (LTDH), car on peut être un authentique défenseur des droits de l’Homme sans pour autant être encarté dans cette association, comme être un des prédateurs de ces mêmes droits, tout en agitant sa carte d’adhésion.
Pourtant, la Ligue est bien un acquis national qui était venu s’ajouter aux acquis déjà instaurés par l’Etat de l’indépendance. C’est pour cela qu’il faut défendre son existence, qui, à notre avis, n’est pas dangereusement menacée, comme le prétendent certains. Dans cette Ligue, les véritables menaces viennent toujours de l’intérieur. Parfois à cause du sectarisme politique, qui y sévit depuis sa naissance, et d’autres fois par une incapacité de ses dirigeants de gérer des situations délicates.
L’affaire ‘Abir Moussi, victime d’une injustice, et qui croupit en prison, dans l’attente d’un jugement que tout le monde espère équitable, et qui fut victime de propos injustifiés par l’actuel et jeune président de la Ligue, vient de relancer un débat, vieux comme cette organisation : une ligue des droits de l’Homme peut-elle être politiquement neutre ?
Genèse d’une ligue pas comme les autres
La Ligue tunisienne de défense des droits de l’Homme a été créée par Hassib ben Ammar, en 1976 et légalisée en mars 1977. Pour les jeunes qui ne connaissent pas ce grand patriote, destourien de « souche », et qui fut un des fondateurs de l’Etat moderne, c’est le frère de Wassila ben Ammar, ou Wassila Bourguiba, seconde épouse du leader, mais aussi une dame qui avait joué dans les coulisses auprès de son époux, le président de la République, un rôle majeur dans la politique intérieure et extérieure de la jeune République tunisienne.
La ligue fut créée donc avant les évènements de Janvier 78 qui ont opposé l’UGTT au gouvernement Hédi Nouira et au président Habib Bourguiba, et qui avaient provoqué la démission de plusieurs ministres et surtout provoqué un massacre de la population civile, l’emprisonnement de dizaines de syndicalistes dont Habib Achour – secrétaire général de l’UGTT et membre du bureau politique du PSD. Autour de ce dernier pour fonder la LTDH, il y avait le grand Sadoun Zmerli, éminent chirurgien de son état, Ahmed Mestiri, et d’autres destouriens, en rupture de banc du PSD, avant d’être rejoints, par Mohammed el Charfi et Dali Jazi, personnalités de gauche.
On peut, sans crainte de se tromper, affirmer que les vrais fondateurs de cette association étaient non seulement des destouriens pour l’essentiel, mais d’anciens ministres ou hauts fonctionnaires de l’Etat, qui, en plus de leur lutte contre le colonialisme et pour fonder un Etat moderne, s’étaient illustrés le long de leurs parcours par des combats au sein de l’Etat, du parti unique, mais tout en restant proche du pouvoir politique représenté par Bourguiba et le PSD.
Ce groupe, nommé des « libéraux », est le véritable fondateur d’un processus démocratique, selon la vision libérale moderne, qui va continuer jusqu’à 2011, avant que l’Islam politique ne vienne rafler toute la mise et engager ce qu’ils ont appelé « la transition démocratique », qui ressemblait plus à une transe collective qu’à l’instauration d’une véritable démocratie
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La LTDH n’a pas non plus échappé à la dérive sectaire, mais ceci, depuis le congrès d’octobre 2000, jour où elle avait basculé pour tomber sous l’emprise de la gauche radicale, et qui continue à l’être jusqu’à maintenant. Si cette radicalisation se justifiait sous l’ancien régime à cause du raidissement dont il avait fait preuve contre cette organisation, le sectarisme et le radicalisme n’ont plus logiquement lieu d’être. Pourtant, la LTDH continue à se comporter comme un parti politique et non comme une partie de la classe politique. La raison nous semble liée à ses relations internationales, car la LTDH n’est plus, en raison de sa dépendance du financement et de ses multiples liens idéologiques et politiques, qu’un maillon d’une vaste chaîne mondiale de ce qu’on appelle les “droits-hommistes“. Et la guerre à Gaza a prouvé qu’ils pratiquent la règle des deux poids deux mesures quand il s’agit de violations des droits de l’Homme.
Dreyfusards et islamo-gauchistes
Il semblerait que les organisations, et autres associations, obéissent à la même loi de la génétique qui détermine la naissance, l’évolution puis la mort des êtres vivants.
Rappelons d’abord que la LTDH est la première ligue du genre dans le monde musulman, arabe et africain, pour ne pas dire dans le tiers-monde. Car la LTDH est à l’origine un produit bien français, qui est née de la fameuse affaire du capitaine Dreyfus, officier d’origine juive, qui fut condamné à tort à cause de sa judaïté. Les grands intellectuels de l’époque, dont Emile Zola (“J’accuse“ de Zola au Figaro) se sont mobilisés et ont fini par le libérer, mais aussi en créant la Ligue des droits de l’Homme et des Citoyens, dont la tâche principale est la lutte contre l’antisémitisme et la défense des valeurs de la République, et contre les possibles abus de l’Etat, qui n’était d’ailleurs que le fruit de la Révolution française.
C’était donc au départ un problème bien français, et la Ligue française pendant toute la période coloniale ne s’était jamais distinguée par son combat anticolonialiste ou par la défense des peuples massacrés par l’armée française comme en Tunisie, en Algérie, au Maroc ou en Afrique noire. En exemple, la Ligue française n’a jamais défendu publiquement les leaders du mouvement national ou les prisonniers politiques dans les geôles françaises. Elle n’a jamais aussi dénoncé les procès staliniens, et la dictature communiste, les goulags, et même les génocides.
Une question se pose alors, pourquoi le groupe des libéraux tunisiens, dont Hassib ben Ammar lui-même, a-t-il tenu à créer ce qui ressemble, du moins selon le nom, à une succursale de la Ligue française ? Tout pousse à croire qu’ils ont senti la montée en puissance des sociaux-démocrates français dont le PS de François Mitterrand, et leur prochaine arrivée au pouvoir, ce qui sera fait en 1981, le parti de Ahmed Mestiri sera membre par la suite de l’Internationale socialiste, comme le parti d’Ahmed Ben Salah, l’Unité Populaire et le futur RCD.
Mais d’une association tunisienne indépendante, surtout sous Sadoun Zmerli, la LTDH va se muer en cartel de partis dont le parti au pouvoir sous Ben Ali et en tremplin pour les postes ministériels sous Ben Ali, comme c’est le cas de Mohammed Charfi, de Sadoun Zmerli et Dali Jazi. Moncef Marzouki, devenu président de la Ligue, a raté de peu son poste de ministre, car Ben Ali s’était aperçu qu’il tissait des liens multiples avec Mitterrand et avait déjà des ambitions présidentielles.
La Ligue a, depuis lors, perdu sa vocation d’organisation neutre et indépendante, ceci d’autant plus qu’elle a été phagocytée par la Ligue française, qui a fini par créer une organisation internationale dont la présidence est accordée aux plus fidèles à sa mission première, la lutte contre ce qu’ils appellent maintenant « l’antisémitisme » qui n’est plus qu’un crie de ralliement à la politique génocidaire de l’Etat sioniste.
L’actuelle direction de la ligue a tout à gagner à clarifier définitivement sa position, surtout en ces moments cruciaux. Entre dreyfusards et islamo-gauchistes, les militants de la Ligue n’ont pas à choisir car il y a une voie bien tunisienne qui fut tracée par les fondateurs, qui consiste à ne pas transformer la ligue en “succursale de partis politiques“, mais en groupe de pression composé de notabilités politiques et de la société civile, mais surtout pouvoir influencer la décision politique, notamment quand il s’agit de bafouement des droits humains.
La LTDH peut encore se réformer et être sauvée, par exemple en nommant un comité de sages dont le rôle est purement consultatif mais qui doit avoir une aura nationale et dont les membres sont reconnus pour leur intégrité morale. Cela aidera certainement à la repositionner sur la scène nationale et récupérer son crédit d’antan.
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