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‘‘Le dimanche de Bouvines’’ | Les paradoxes de la mĂ©moire. Victoire de la France, dĂ©faite de l’Europe

20. April 2025 um 08:20

Qui a jamais entendu parler de Bouvines en France? Pourtant ce village de la Flandre française situĂ© au sud est de Lille a Ă©tĂ© le siĂšge en 1214 d’une grande bataille impliquant le prĂ©tendant Ă  l’empire germanique Otton IV soutenu par les comtes de Flandre, de Boulogne, de Salisbury, tous financĂ©s par le Roi d’Angleterre, contre le Roi de France Philippe dit l’Auguste ou bien le conquĂ©rant, appuyĂ© par le Pape, qui avec l’aide de la Bourgogne avait rĂ©ussi Ă  annexer au Nord la Normandie, et au Sud le Maine, aux dĂ©pens des Anglais.

Dr Mounir Hanablia *

Le problĂšme entre Français et Anglais avait dĂ©butĂ© le jour oĂč le Duc de Normandie Guillaume avait conquis en 1066 le trĂŽne d’Angleterre. Le Royaume qui se rĂ©sumait en l’üle de France actuelle s’était trouvĂ© encerclĂ© entre les possessions anglaises Ă  l’ouest, et les Allemands Ă  l’est.

A cela s’étaient ajoutĂ©es les menĂ©es du pape menacĂ© dans ses Ă©tats italiens par le mariage de l’hĂ©ritiĂšre des Normands de Sicile avec l’empereur germanique Henry VI.

Ainsi la curie romaine avait essayĂ© de jouer les candidats au trĂŽne de l’empire germanique les uns contre les autres, au besoin en les excommuniant lorsqu’ils se rĂ©vĂ©laient indociles, afin de les affaiblir et d’interdire toute intervention extĂ©rieure indĂ©sirable dans les affaires italiennes qui aurait menacĂ© les intĂ©rĂȘts de la papautĂ©.

Il y avait donc en ces temps lĂ  quatre nƓuds d’intrigues au dessus de la couronne de France: l’empereur germanique Otton, son oncle maternel le Roi d’Angleterre, le Pape, et les nobles thĂ©oriquement vassaux du Roi de France mais jaloux, peu dĂ©sireux de laisser celui-ci intervenir dans leurs affaires et prĂ©fĂ©rant faire partie d’un empire rĂ©gi par des liens lĂąches dont l’empereur est Ă©lu, que d’un royaume dont le souverain accapare tous les pouvoirs.

Dans ces conditions, ce dernier n’avait eu d’autre choix que d’essayer d’atteindre l’embouchure du Rhin Ă  travers les Pays Bas afin d’interdire Ă  ses adversaires autant l’accĂšs Ă  la mer que l’établissement de liens commerciaux sur le continent indispensables Ă  la survie de la couronne anglaise. Et c’est ainsi qu’il s’était assurĂ© l’inimitiĂ© des Flamands qui en tiraient leurs richesses.

La bataille décisive

Le Roi de France, au dĂ©cours de l’une de ses chevauchĂ©es en Flandre, s’était retrouvĂ© coincĂ© face Ă  des adversaires qu’il n’attendait pas, et sa tentative de faire retraite en Ă©vitant la bataille fut stoppĂ©e net  au pont de Bouvines faute du temps nĂ©cessaire pour faire traverser son armĂ©e et s’échapper.

Les pĂ©ripĂ©ties de la bataille n’ont que peu d’intĂ©rĂȘt. Disons que l’armĂ©e de France Ă©tait principalement composĂ©e de nobles et de chevaliers rompus au combat par la pratique des tournois en temps de paix. Celle de ses adversaires Ă©tait en grande partie composĂ©e de soldats issus du peuple dont la guerre Ă©tait devenue le mĂ©tier et qui se vendaient au plus offrant.

DĂ©tail important, les chevaliers et les nobles lorsqu’ils combattaient essayaient d’épargner leurs propres vies de nobles. Le but Ă©tait en effet d’obtenir les rançons qui  dĂ©dommageraient des frais de la guerre, et pour cela il fallait bien garder vivants les prisonniers. Par contre, lorsqu’ils avaient affaire Ă  des gens du peuple, ils n’hĂ©sitaient pas Ă  les massacrer car ils ne se considĂ©raient pas tenus de respecter les lois de la chevalerie face Ă  des gens qu’ils considĂ©raient comme des usurpateurs dans une activitĂ© selon eux leur est rĂ©servĂ©e, la guerre.

Il y avait donc en ces temps-lĂ  certaines lois du combat qui faisaient partie du code de la chevalerie, celui de ne pas s’attaquer aux non combattants, aux prĂȘtres, aux civils ainsi qu’on les appelle aujourd’hui et naturellement ces lois Ă©taient en grande partie inspirĂ©es par l’Eglise, dĂ©sireuse sans doute de prĂ©server ses biens ainsi que les vies de ses membres.

L’Eglise pour atteindre ce but n’avait pas hĂ©sitĂ© Ă  s’impliquer dans ce qu’on avait appelĂ© la querelle des investitures, qui n’était rien d’autre qu’une tentative d’assujettir les Rois Ă  ses propres intĂ©rĂȘts, essentiellement politiques en Italie ainsi qu’on l’a vu et n’ayant rien Ă  voir avec la religion.

Ainsi pour en revenir au pont de Bouvines, le Roi de France, plutĂŽt prudent, avait dĂ» faire front et offrir la bataille Ă  ses ennemis, de surcroĂźt un dimanche, un jour oĂč les chrĂ©tiens Ă©vitent habituellement de faire la guerre, pour Ă©viter d’offenser leur dieu.

Il est naturellement difficile de dire ce qui s’y est rĂ©ellement passĂ©, malgrĂ© l’abondance des rĂ©cits. Ce qui est sĂ»r, c’est que l’empereur germanique a fini par s’enfuir et que les nobles français fĂ©lons ont Ă©tĂ© faits prisonniers. Par contre, comme prĂ©vu, il y eut un massacre de la piĂ©taille qui avait entourĂ© l’empereur pour l’empĂȘcher d’ĂȘtre pris.

D’oĂč vient-il que ces brabançons n’aient pas hĂ©sitĂ© Ă  sacrifier leurs vies pour le salut de celui qui Ă©tant saxon n’était aprĂšs tout qu’un Ă©tranger? C’est bien sans doute lĂ , confirmation de leur intĂ©rĂȘt, beaucoup plus Ă  dĂ©fendre leurs libertĂ©s communales plus Ă  mĂȘme d’ĂȘtre respectĂ©es sous l’empire, que de subir le joug du Roi de France. Et la ville de Lille, dont nul aujourd’hui ne songerait Ă  contester l’appartenance au territoire français, a, aprĂšs Bouvines, chĂšrement payĂ© sa fidĂ©litĂ© au pays flamand.

Ainsi on avait eu dĂšs cette Ă©poque une confrontation de deux modĂšles politiques, celui fĂ©dĂ©ral allemand et celui centralisateur français. C’est nĂ©anmoins la reprĂ©sentation de la journĂ©e de Bouvines qui va Ă  travers les Ăąges inspirer le plus de rĂ©flexions.

Un sentiment national né au forceps

D’affrontement entre le bien français soutenu par le pape, et le mal germanique excommuniĂ© par lui, le conflit glisse au fil des siĂšcles pour aboutir Ă  l’ennemi hĂ©rĂ©ditaire pour qui chaque guerre suscite la suivante, depuis celle de trente ans jusqu’à la seconde guerre mondiale.

Entretemps le sentiment national est nĂ© au forceps, et il faut noter comment le triomphe du Roi Philippe Auguste sur le champ de bataille qui ne concernait somme toute que la noblesse restĂ©e fidĂšle, a Ă©tĂ© plus tard fĂȘtĂ© par ce que l’on nommait le tiers-Ă©tat sans aucun doute entraĂźnĂ© par le clergĂ©, Ă  commencer par les forces montantes de la bourgeoisie naissante.

Ainsi le sentiment national français est nĂ© d’une imposture, l’assimilation des intĂ©rĂȘts de la noblesse par la bourgeoisie. De cet Ă©vĂšnement, la narration du rĂ©cit national a fait plus tard aprĂšs la rĂ©volution bourgeoise de 1789 un conflit de l’État royal centralisateur contre la fĂ©odalitĂ© jalouse de ses privilĂšges, assimilĂ©e aux forces de la dĂ©sintĂ©gration et de l’anarchie. C’est d’autant plus remarquable qu’en Angleterre, une annĂ©e aprĂšs Bouvines, la fĂ©odalitĂ© soulevĂ©e contre le Roi Jean sans Terre, en avait arrachĂ© la Magna Carta, la Grande Charte, prĂ©curseur de toutes les Constitutions du monde moderne.

Il faut dire qu’en Angleterre, la lutte contre l’absolutisme royal avait dĂ©butĂ© avec le conflit entre Henry II et l’archevĂȘque de Canterbury Thomas Beckett, alors qu’au contraire en France, cet absolutisme s’était appuyĂ© sur l’Eglise et avait servi Ă  consolider l’Etat circonscrit Ă  l’origine en Ăźle de France, pour assurer son expansion, en particulier vers le Midi, afin de coloniser d’autres peuples, en particulier l’Occitan, qui parlaient une autre langue, Ă©taient dotĂ©s d’une autre culture, et parfois pratiquaient une religion diffĂ©rente.

Si le Royaume de l’üle de France est finalement devenu la France, c’est parce que la lĂ©gitimitĂ© de son Roi avait Ă©tĂ© consacrĂ©e Ă  travers Clovis puis Charlemagne par l’Eglise catholique romaine en tant qu’hĂ©ritier reconnu des Empereurs Romains. Et c’est ce prestige lĂ  qui a permis au Roi de Paris de triompher de tous les ducs, comtes, rois, empereurs, afin de devenir le Roi de France.

Il demeure nĂ©cessaire de le rappeler pour deux raisons. La premiĂšre est que la France a beau ĂȘtre officiellement laĂŻque, elle ne pourra jamais oublier tout ce qu’elle doit Ă  l’Eglise dans son unification. La seconde est que si le Roi de France n’avait pas existĂ© ou avait Ă©chouĂ©, l’Europe occidentale serait probablement une kyrielle de peuples et de principautĂ©s qui n’auraient pas Ă©prouvĂ© le besoin de se fĂ©dĂ©rer face Ă  un ennemi puissant; elle aurait glissĂ© beaucoup plus facilement vers une structure de type confĂ©dĂ©ral, une Ă©ventualitĂ© difficile Ă  rĂ©aliser avec la division actuelle de la communautĂ© europĂ©enne en Etats-nations que les cas de la Catalogne et de l’Ecosse ne font que confirmer.

Pour tout dire, si l’Etat Nation français n’existait pas, l’Europe ne s’en porterait pas plus mal.

* Médecin de libre pratique.

‘‘Le dimanche de Bouvines (27 juillet 1214)’’, de Georges Duby, Ă©ditions Gallimard, Paris 11 avril 1985.

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