Sept villages-fantômes du sud tunisien
Sur la route qui mène de Médenine jusqu’à Tozeur, j’ai appris à traverser de nombreux villages abandonnés, m’y arrêtant toujours pour sacrifier aux vieilles pierres et aussi y observer les rares traces de vie.
A Metameur, je ne manque jamais de marquer l’étape du ksar fortifié qui coiffe le village. Là, parmi les ghorfas abandonnées, une femme travaille, attend le passage des touristes pour gagner son pain quotidien. Sans elle, rien sinon l’écho des pierres ne vivrait dans ce qui, grenier à blé d’antan, à désormais sombré dans un oubli coupable.
Je continue ensuite ma route jusqu’à Toujane dont le site ancien est en contrebas. Des ruines ocres parfois interrompues par le blanc de la chaux vive d’une maison qui vit encore, où l’on voit quelques chèvres dont les bêlements trouent le silence.

Chaque jour, les habitants de Toujane sont confrontés à ce village fantôme d’où jaillissent quelques miettes de vie et traversent eux-mêmes le temps qui s’est arrêté sur le seuil des demeures de leurs ancêtres.
J’arrive dans la région de Matmata. Ici les maisons troglodytes sont nombreuses et parfois enclavées dans des terroirs lunaires. C’est à Tamezret que se trouve mon village entre splendeur et chute, à la fois vivant et mort, comme un corps en décomposition. Je marche dans les ruines tenaillé par l’incompréhension et la tristesse des marabouts délaissés. Parfois, mes pas aboutissent à la vieille cité de Tamezret, à quelques kilomètres, loin dans les terres et oubliée de tous.
Aucune politique patrimoniale ne se soucie de ce legs immémorial qui s’effrite et se perd. Comme si une malédiction silencieuse pesait sur cet héritage pourtant autochtone. Je ressens ce manque et, chaque fois que je visite cette désolation, me demande pourquoi un site punique ou romain importe-t-il davantage qu’un ksar amazigh ou un village berbère.

Ma route des villages fantômes continue jusqu’à ce que j’appelle l’envers de Kebili. Au cœur de cette oasis du Nefzaoua, la grandeur fanée de la cité est en ruines malgré une tentative de restauration qui a fait long feu. Dans les vestiges où seule une mosquée rassemble les travailleurs agricoles, la vie bat encore au rythme des prières et des invocations.
J’ai souvent marché seul dans le dédale de ce qui fut un village, admiré ce double silencieux de la ville contemporaine de Kebili. Dans les ruelles qui devaient vibrer de vie, quelques portes en bois de palmier résistent mais sont proches de leur dernier souffle. Dans ce village devenu sa propre dernière demeure, comme une calligraphie invisible, les prières des orants montent au ciel comme une interminable fatiha psalmodiée au chevet d’une dépouille.
Plus loin, au-delà de Tozeur, trois autres villages fantômes attendent dans les replis montagneux : Chebika dont la source nourricière tourne le dos aux maisons abandonnées ; Mides dont l’étrange cité abandonnée surplombe les méandres d’un canyon ; et Tamerza dont le site ancien se confond avec le lit d’une rivière.
Hanté par ces villages, j’y reviens toujours, par la même route, la tristesse chevillée au cœur tout à la joie des retrouvailles avec les vestiges.

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