ECLAIRAGES – Pourquoi exiger de la Tunisie ce que d’autres pays ne feraient jamais?
Pour saisir toute l’ampleur de la question de savoir pourquoi exiger de la Tunisie ce que d’autres pays ne feraient jamais, il faut la replacer dans une comparaison raisonnée avec d’autres économies, en rapportant les données aux proportions tunisiennes.
Imaginons, par exemple, que les États-Unis décident de réduire drastiquement leurs dépenses publiques et d’augmenter les impôts afin de combler un déficit de plusieurs centaines de milliards de dollars.
Logiquement, une telle austérité plongerait l’économie dans la récession, ferait exploser le chômage et nécessiterait encore plus d’efforts financiers pour rétablir l’équilibre budgétaire.
L’indignation des citoyens américains serait immédiate et massive. La population tunisienne, confrontée à une rigueur imposée par l’extérieur et qui semble parfois démesurée, vit aujourd’hui un sentiment analogue de frustration et d’impuissance.
La comparaison a ses limites, certes. Les États-Unis ne pourraient jamais imposer de tels sacrifices à leurs citoyens. Les exemples sont nombreux : face aux crises budgétaires, le gouvernement américain privilégie toujours le compromis; même lorsque les divergences partisanes sont extrêmes. Tout en limitant la réduction des dépenses à des montants proportionnellement modestes.
Tunisie-Grèce vs Etats-Unis
En Tunisie, comme en Grèce, la situation est différente : ce n’est pas le gouvernement tunisien qui décide seul de l’ampleur de la rigueur; mais des institutions internationales, technocratiques, qui imposent des mesures parfois déconnectées de la réalité économique et sociale du pays.
Pourtant, l’expérience grecque démontre qu’un gouvernement soutenu par sa population conserve une marge de manœuvre réelle. Opposés à 80 % à l’aggravation de l’austérité, les Grecs avaient réussi à contraindre leur gouvernement à renégocier certaines conditions avec le FMI, retardant l’application complète d’un plan de rigueur initialement dicté de l’extérieur.
Une dynamique similaire pourrait exister en Tunisie : l’opinion publique, consciente de l’impact social de mesures drastiques, pourrait peser sur les décisions gouvernementales et sur la capacité du pays à négocier des aménagements avec ses créanciers.
L’un des points clés est celui du service de la dette. Aujourd’hui, la Tunisie consacre une part considérable de ses ressources à rembourser intérêts et échéances. Une charge qui pèse sur tout plan de relance économique. Est-il humain ou réaliste de demander à un pays, dont l’économie est déjà fragile, de supporter des taux d’intérêt équivalents à ceux exigés dans d’autres contextes? La simple suspension temporaire des paiements d’intérêts pourrait libérer des liquidités essentielles pour financer l’investissement, stimuler la croissance et soutenir l’emploi.
L’intérêt des créanciers internationaux avant ceux des citoyens
Pourtant, comme l’expérience grecque le montre, les créanciers internationaux – et certains acteurs européens – privilégient avant tout la protection de leurs banques et de leurs portefeuilles, au détriment des citoyens et de l’économie réelle.
Cette approche révèle un déséquilibre fondamental dans la gestion des crises de la dette : elle privilégie les créanciers au détriment des populations. Les responsables internationaux doivent donc repenser leur approche, en considérant non seulement les risques financiers, mais aussi les conséquences sociales et économiques.
En Tunisie, les citoyens ont déjà payé un lourd tribut : compressions salariales, hausse du coût de la vie, pressions fiscales et baisse des services publics. Il est urgent que ces réalités soient intégrées dans toute discussion sur les réformes économiques et l’austérité.
Impératif d’une vision équilibrée…
In fine, la Tunisie, comme la Grèce, dispose de marges de manœuvre pour négocier et protéger ses citoyens. Imposer une rigueur absolue et immédiate revient à épuiser l’économie, freiner toute relance et creuser les inégalités.
Les autorités et institutions internationales doivent donc adopter une vision plus équilibrée : soutenir la solvabilité de l’État tout en préservant la capacité de la Tunisie à investir, créer de l’emploi et garantir une stabilité sociale.
Une politique qui ignore cette dimension humaine et économique risque non seulement de freiner le redressement, mais aussi de générer une instabilité durable, coûteuse pour tous.
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* Dr. Tahar EL ALMI,
Economiste-Economètre.
Ancien Enseignant-Chercheur à l’ISG-TUNIS,
Psd-Fondateur de l’Institut Africain d’Economie Financière (IAEF-ONG)
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