Appel aux derniers gardiens du temple économique…
Dans son article intitulé « Quand le bavardage prétend à la rigueur intellectuelle », publié en réaction à mon texte « Néo-protectionnisme ou néomercantilisme : où en sommes-nous exactement ? », l’auteur s’autorise un exercice qui se veut critique, mais qui verse rapidement dans la caricature, l’attaque personnelle et le jugement de valeur. Le débat d’idées mérite mieux.
À ceux qui aspirent à élever la discussion économique, je propose ici une mise au point en trois temps : sur la rigueur conceptuelle, sur l’éthique du débat, et sur les contours thématiques choisis délibérément dans mon article initial.
Un distinguo conceptuel fondamental : néo-protectionnisme et néomercantilisme
L’un des reproches formulés est que la distinction que je fais entre néo-protectionnisme et néomercantilisme relèverait d’un artifice académique, ou d’un « dualisme simpliste ». Cette critique néglige profondément les apports de l’économie politique internationale contemporaine, ainsi que ceux de la géoéconomie stratégique.
Le néomercantilisme, dans sa définition actualisée, renvoie à une stratégie étatique de long terme, visant la puissance par l’outil économique. Il repose sur une articulation entre politique industrielle, commerciale, monétaire et technologique. Il vise à façonner l’ordre économique mondial de manière structurelle et hégémonique.
Le néo-protectionnisme, à l’inverse, traduit des mesures souvent fragmentées, prises sous la pression de contextes politiques internes, sans coordination d’ensemble ni ambition géoéconomique. Il s’agit d’un repli ponctuel, d’une gestion de crise ou d’une réponse populiste, qui se distingue par sa volatilité et sa faible cohérence stratégique.
La différence n’est pas théorique : elle est observée empiriquement. Elle permet de comprendre, par exemple, pourquoi la Chine développe une expansion géoéconomique concertée, alors que certaines puissances occidentales adoptent des mesures protectionnistes improvisées, souvent contradictoires. Elle éclaire également les effets différenciés sur les pays en développement, pris entre des flux erratiques et des stratégies de domination commerciale.
Contester cette distinction revient à effacer les lignes de force qui structurent aujourd’hui l’économie mondiale. C’est confondre les symptômes avec les causes, les rhétoriques politiques avec les stratégies étatiques.
Une critique ne dispense jamais de l’éthique du débat
Au-delà des divergences sur le fond, je me dois de réagir à la tonalité du texte qui m’est adressé. L’usage récurrent d’un registre injurieux, moqueur ou condescendant n’est pas simplement un choix de style : c’est un affaiblissement volontaire du débat intellectuel.
Me prêter des intentions creuses, qualifier mon travail de « dissertation de licence égarée » ou de « bavardage pseudo-savant », ironiser sur ma fonction ou sur mon identité intellectuelle n’apporte aucune valeur argumentative. Cela révèle surtout un refus d’engager un échange d’idées respectueux.
Il n’existe aucun droit – ni moral ni intellectuel – à disqualifier personnellement un contradicteur. La critique se fonde sur l’analyse, la confrontation d’arguments, la précision conceptuelle. Elle ne se fonde ni sur la dérision, ni sur la suspicion, ni sur les attaques ad hominem.
En sus, Karl Marx à Elinor Ostrom, en passant par Friedrich Engels, Thorstein Veblen, Pierre Bourdieu, Amartya Sen, Silvio Gesell, John Kenneth Galbraith, Ivan Illich ou encore Muhammad Yunus, nombreux sont ceux qui, sans être des économistes de souche, ont profondément transformé la pensée économique en venant d’horizons philosophiques, sociologiques, politiques ou même pratiques.
J’aurais accueilli une objection rigoureuse avec intérêt. J’aurais volontiers poursuivi un dialogue critique. Ce que je lis ici, en revanche, relève davantage d’un règlement de comptes déguisé que d’une contribution sérieuse à la réflexion stratégique.
Du choix des cadres d’analyse : pourquoi la Tunisie ne figurait pas dans l’article initial
L’auteur s’étonne, voire s’offusque, de l’absence de toute mention de la Tunisie ou du Maghreb dans mon article. Faut-il le rappeler : écrire en tant qu’auteur tunisien ne signifie pas que chaque texte doive être réduit à un prisme exclusivement national ou régional.
L’objet de mon article était clair : analyser les logiques macroéconomiques des puissances dominantes, leurs choix stratégiques face à la mondialisation, et les répercussions globales de ces transformations. Il s’agissait d’une contribution à la lecture systémique du désordre commercial mondial, non d’un commentaire sur la situation maghrébine.
Cela n’exclut nullement que la Tunisie ou la région soient pertinentes à analyser. Bien au contraire. Elles le seront, mais dans un cadre propre, avec les outils méthodologiques appropriés, tenant compte des contraintes spécifiques, des dépendances structurelles, et des marges de manœuvre réelles. J’annonçais déjà, en conclusion, qu’un article futur serait consacré à ce sujet. Il le sera.
Penser avec rigueur dans un monde brouillé
Le monde économique d’aujourd’hui est traversé par des tensions nouvelles, des recompositions silencieuses, des contradictions apparentes. Il exige, de la part des analystes, non pas des certitudes bruyantes ou des postures péremptoires, mais de la nuance, de la méthode, de la patience intellectuelle.
Loin d’être une construction artificielle, la distinction que je propose entre néo-protectionnisme et néomercantilisme constitue un cadre d’analyse utile pour décrypter les trajectoires géopolitiques actuelles.
Et loin d’être un bavardage, l’exercice d’écriture stratégique repose sur l’ambition de mettre de l’ordre dans un monde brouillé. Le désaccord est bienvenu, la contradiction est nécessaire, la polémique peut être féconde. Encore faut-il qu’elle soit menée avec respect, lucidité, et surtout d’une bonne dose d’humilité intellectuelle.
À bon entendeur, une fois encore.
Note : Droit de réponse – Pour une critique sérieuse, rigoureuse et respectueuse.
———————–
Articles en relation :
Néoprotectionnisme ou néomercantilisme : où en sommes-nous exactement ?
Marx 1.0 vs Marx 4.0 ?
ECLAIRAGE – Néomercantilisme et géopolitique – Un retour stratégique ou un repli systémique ? (1/3)
CLAIRAGE – Géopolitique – La Tunisie à l’épreuve du néomercantilisme mondial (2/3)
————————————-
Mahjoub Lotfi Belhedi
Chercheur en réflexion stratégique optimisée IA // Data analyst & aiguilleur d’IA
L’article Appel aux derniers gardiens du temple économique… est apparu en premier sur Leconomiste Maghrebin.