Tribune : L’histoire de la médecine tunisienne : un héritage précieux
PAR Dr Hamza ESSADDAM*
Au cours de l’Antiquité et du Moyen Âge, la médecine développée en «Tunisie» était très prisée en Occident. Cette médecine méditerranéenne se déployait à travers quatre grands espaces : l’Égypte, la Grèce, Alexandrie et Carthage punique et latine. Cependant, après l’occupation romaine, la médecine de ces régions a commencé à décliner, à l’exception de Carthage.
Les Romains considéraient la profession médicale comme indigne des personnes cultivées. A Rome, philosophes et médecins étaient perçus comme des «empoisonneurs», d’esprits pour les premiers et des corps pour les seconds. Cette aversion pour la médecine a conduit Caton l’ancien, au 2e siècle avant J.-C., à interdire à son fils de consulter des médecins, et Pline l’Ancien, au 1er siècle après J.-C., à condamner cet art.
Les Goths germains, qui ont vaincu l’Empire romain, se sont alors tournés vers la médecine de Carthage. Une thèse contemporaine soutient que la chute de l’Empire romain n’est pas due aux invasions germaniques, mais plutôt à la propagation des germes, conséquence du déclin de la médecine.
Au Moyen Âge, la médecine occidentale rationnelle a de nouveau été mise à l’écart, revenant à des pratiques pré-hippocratiques. À cette époque, les maladies étaient souvent nommées d’après des saints, et les traitements consistaient principalement à réciter des textes religieux. C’est à partir de Kairouan, une autre ville tunisienne, que la médecine cartésienne a été de nouveau réintroduite. Cette médecine a pénétré en Occident par le sud, en passant par l’Italie, où a été fondée la première université médicale occidentale : l’École de Salerne.
Aujourd’hui, l’Occident se tourne de nouveau vers la médecine tunisienne.
Qu’est-ce qui explique cet attrait durable ?
L’intérêt constant pour la médecine tunisienne repose sur son efficacité, reconnue depuis le 5e siècle avant J.-C. par Hérodote, et confirmée en 2008 par Marc Lautier dans Sciences sociales et médecine. De nombreux témoignages de médecins français et allemands du 19e siècle, ainsi que le recours du Président Gaston Doumergue aux urgences de l’hôpital Sadiki (Aziza-Othmana) lors d’une visite officielle en Tunisie en 1931, témoignent de cette réputation.
Cet enthousiasme pour la médecine tunisienne peut être attribué à la philosophie développée durant l’Antiquité et le Moyen Âge, fondée sur les deux principes essentiels de la dignité humaine : l’humanisme et la laïcité. Fait surprenant, ces deux doctrines ont vu le jour en Tunisie. Aujourd’hui, l’humanisme est souvent associé au poète carthaginois du 2e siècle avant J.C., Térence. Selon Benoît XVI, Saint Augustin est considéré comme le père de la laïcité moderne, qui prône le vivre-ensemble plutôt que la simple séparation entre le religieux et le profane.
Il est intéressant de se demander si Augustin a appris ces principes à Carthage, où il a été à la fois étudiant et professeur. Ce principe également évoqué dans le serment d’Hannibal avant la seconde guerre punique, était recherché par de nombreux réfugiés de l’Antiquité à nos jours, allant d’Alyssa à Farès Eschédiak, de Garibaldi à Bettino Craxi, d’Henry Dunant à Yasser Arafat et de Charles Nicolle au Père Fontaine….
L’héritage prestigieux de la médecine tunisienne nous incite à préserver ce patrimoine pour les générations futures et pour le monde entier. Il est essentiel de continuer à enrichir cet héritage à travers la promotion d’une Académie de médecine tunisienne.
H.E.
*Professeur émérite Université Tunis al-Manar
Membre de la Société tunisienne d’histoire de la médecine et de la pharmacie
Secrétaire général adjoint de la Société internationale d’histoire de la médecine