Une association prend l’initiative d’organiser un colloque pour éclairer l’opinion publique et rééquilibrer les élans vers un légitime récit «correctif» de la version romaine et une attitude aussi légitime des archéologues et historiens, très attachés à leurs études et découvertes.
La place publique témoigne d’une effervescence réelle portant sur le sentiment d’appartenance à l’illustre Carthage aussi, et pas seulement, sur le net. On avance des hypothèses ingénues, on récuse des affirmations considérées comme des «vérités» historiques, on accuse des scientifiques, censés être objectifs, de charlatans.
C’est un véritable bouillon de culture au Garum. Une association prend l’initiative d’organiser un colloque pour éclairer l’opinion publique et rééquilibrer les élans vers un légitime récit «correctif» de la version romaine et une attitude aussi légitime des archéologues et historiens, très attachés à leurs études et découvertes.
Ce phénomène social n’est pas à négliger et il nous paraît très important de l’accompagner pour en mesurer l’impact sur le sentiment d’appartenance à cette terre qui a toujours été une joute où se jouait, et se joue encore, l’avenir de l’Humanité, eu égard à sa position géographique stratégique, d’une part, et à son histoire millénaire, de l’autre.
Nous envisageons d’interviewer des personnes ayant pignon sur rue, en la matière, pour que cet intérêt accru à notre histoire devienne un facteur de développement de la nécessaire implication du citoyen tunisien à son présent, après une réelle réconciliation avec son passé, en strates dont certaines demeurent encore sous le sol… des discours contradictoires des ayants droit au chapitre.
Une Nation ne se fonde pas toujours sur les mythes et légendes, tels que la louve de Rome ou la peau de taureau de la Reine Didon. Interview avec Abdelaziz Belkhodja, auteur du livre « Hannibal La véritable histoire et le mensonge de Zama».
L’exposition « Magna Mater tra Roma e Zama » au Colisée de Rome a été suivie d’une polémique. Quelle est votre position?
«Ces polémiques, même si elles sont parfois exagérées, prouvent que beaucoup de Tunisiens connaissent leur histoire et refusent son instrumentalisation. Le problème est que notre Histoire «officielle», c’est-à-dire celle qui est enseignée, draine des contre-vérités très dommageables.
En fait, nous manquons de débats sérieux pour espérer recadrer une grande partie de ce qui se dit dans les médias et les réseaux sociaux sur notre Histoire. A ce sujet, le colloque qui est en préparation à Carthage est une excellente initiative. Pour revenir à votre question, comme beaucoup de gens, je considère comme malvenu que l’on fasse la promotion d’une cité antique dont l’unique notoriété est liée à une célèbre défaite militaire, la bataille de Zama où Hannibal aurait perdu contre Scipion, le futur «Africain».
Il s’agit, quand même, d’une réaction chauviniste…
S’il n’y avait pas un doute sur Zama, sa promotion touristique aurait été à la limite justifiable. Après tout, les lieux de victoires d’Hannibal, en Italie, sont en train de devenir de hauts lieux de tourisme international. Mais le problème, c’est que l’existence de cette bataille a été très sérieusement remise en cause. Or, si ce doute se confirme, cela signifie que la Tunisie fait la promotion de la propagande romaine et non d’une réalité historique. Et là, nous devenons les dindons de la farce, car il y a des centaines de sujets bien plus exceptionnels pour la promotion de notre Histoire que le cautionnement de la propagande des génocidaires de Carthage.
Zama n’a pas eu lieu ? C’est une affirmation que tous les historiens rejetteraient…
Pas tous. Depuis la publication de ma biographie d’Hannibal, beaucoup, en Tunisie et même ailleurs, ont commencé à douter, sérieusement, de la réalité de cette bataille. Par ailleurs, aucun historien n’a réussi à contredire les arguments développés sur l’imposture historique de la bataille de Zama.
De quels arguments disposez-vous pour justifier une révision de l’Histoire ?
D’abord, alors que tous les plans des batailles d’Hannibal sont limpides, il est évident que celui de Zama, incompréhensible, est sorti de la tête d’un écrivain et non d’un militaire, même médiocre. Ensuite, la destinée du vainqueur (Scipion) et celle du vaincu (Hannibal) sont diamétralement illogiques. Le vainqueur (Scipion) est accusé de corruption, il est obligé de fuir son procès et il finit sa vie dans l’insignifiance, alors que le vaincu, Hannibal, reste à la tête des armées de Carthage, développe le pays par de grands travaux, est élu chef de l’Etat et, après son mandat, poursuit son combat en Orient, où s’est déplacé le centre de gravité de la guerre contre Rome. Ce n’est pas tout, il y a de très nombreuses anomalies dans «Zama» et même de grands paradoxes.
Donnez-nous un exemple de ces paradoxes…
En 1993, les missions archéologiques américaine et anglaise ont conclu que les fameux Ports Puniques de Carthage ont été construits juste après «Zama». En fait, c’est comme si l’Allemagne, après la Seconde guerre mondiale, avait construit sa bombe atomique ! C’est impossible ! Aucun historien n’a été capable d’expliquer ce paradoxe. En fait, il ne s’explique que d’une seule façon : la guerre ne s’est pas terminée comme on nous l’a rapporté.
Mais que pourrait nous apporter cette révision de l’histoire de Carthage?
Les gens doivent savoir que les guerres puniques, extraordinaires par les moyens qui ont été mis en œuvre, sont un combat entre deux visions du monde. Rome voulait dominer le monde, Carthage avait pour vocation de libérer les peuples. Ce n’est pas une clause de style, c’était l’objectif affirmé d’Hannibal. La 2e guerre punique a changé le sort du monde. Plusieurs historiens de renom pensent que si Carthage avait gagné, la Méditerranée aurait connu 1.000 ans de paix, de prospérité et de diversités civilisationnelles. Mais Rome a fini par abattre Carthage et par imposer des siècles de dictature, de guerres et de massacres.
Propos recueillis par Néjib GAÇA