Le prix de la première édition du « Prix Mahmoud Darouiche pour la poésie, les lettres et les arts » a été décerné à titre posthume au grand poète tunisien d’expression arabe Sghaier Ouled Ahmed, « pour l’ensemble de son œuvre poétique et littéraire ainsi que son parcours créatif, patriotique et empreint de valeurs humanistes ».
La cérémonie de remise du prix et d’hommage aux deux géants de la poésie arabe, le Palestinien Mahmoud Darouiche (1941-2008) et le Tunisien Sghaier Ouled Ahmed (1955-2016), se tiendra le vendredi 13 juin à partir de 15h à la librairie Al-Kitab, à Mutuelleville (Tunis), a annoncé samedi à l’agence TAP le président du jury, Abdelhamid Larguèche.
L’événement se déroulera en présence de la compagne du poète, Zouhour, et de leur fille Kalimet. La cérémonie mettra à l’honneur la poésie et la littérature arabe, avec des lectures de poèmes de Ouled Ahmed et Darouiche, interprétées par la chanteuse et musicienne Aida Niati.
Le Prix Mahmoud Darouiche pour la poésie, les lettres et les arts est organisé par la Chaire ICESCO « Ibn Khaldoun pour la Culture et le Patrimoine » au Centre des arts, de la culture et des lettres, Ksar Saïd, en partenariat avec la Faculté des lettres, des arts et des humanités de la Manouba.
Cette chaire fait partie du réseau international des chaires de la pensée, des lettres et des arts de l’Organisation du monde islamique pour l’éducation, les sciences et la culture (ICESCO), qui regroupe de prestigieuses universités et institutions de recherche.
Présidé par l’universitaire et historien Abdelhamid Larguèche, le comité scientifique du prix réunit également Latifa Lakhdar, historienne et ancienne ministre de la Culture, et Faouzi Mahfoudh, historien et président de la Chaire Ibn Khaldoun. Tous trois siègent aussi au jury du Prix Ibn Khaldoun pour la promotion des sciences humaines, dont les lauréats ont été récemment dévoilés.
Sghaier Ouled Ahmed et Mahmoud Darouiche : une fraternité poétique
Abdelhamid Larguèche décrit Ouled Ahmed comme un « poète bohémien par excellence », le plus populaire et le plus aimé parmi les élites intellectuelles tunisiennes, dans le monde arabe, et tout particulièrement en Palestine.
« Par sa maîtrise exceptionnelle des traditions poétiques arabes, son admiration sans bornes pour les maîtres de la littérature, son génie verbal alliant précision et beauté, et son engagement humaniste, Sghaier Ouled Ahmed s’est imposé comme une figure incontournable de la poésie contemporaine », affirme Larguèche.
Il évoque aussi l’amitié légendaire entre les deux poètes : « En 1995, alors qu’il dirigeait Beit Al-Chi’ir (la Maison de la poésie), Ouled Ahmed a rendu un vibrant hommage à Mahmoud Darouiche, se considérant lui-même comme son disciple. »
Né le 4 avril 1955 à Sidi Bouzid — ville où a éclaté la première étincelle de la révolution de 2011 — et décédé le 5 avril 2016, Ouled Ahmed a voué sa vie à la lutte contre la dictature et les extrémismes. Il fut un ardent défenseur des libertés individuelles, des droits des femmes et des idées progressistes. Plusieurs de ses poèmes sont devenus des hymnes populaires, mis en musique, comme Femmes de mon pays, Mon Dieu, aidez-moi contre eux, ou encore Le poème du dimanche.
Selon Larguèche, la plupart de ses recueils furent publiés à ses propres frais. Ce n’est qu’après 2011 qu’il reçut quelques hommages officiels, notamment une décoration de l’Ordre national du Mérite sous la présidence de Mohamed Naceur.
Parmi ses recueils majeurs : Cantiques des six jours (1988), Je n’ai pas de problème (1989), Détails (1989), Le Sud de l’eau (1991), Testament (2002), États de route (2013), Conduite poétique de la révolution tunisienne (2013). Certains ont été traduits en français, notamment Poèmes choisis (Nirvana, 2016) et Brouillon de patrie – Ouled Ahmed, anthologie publiée en 2021 aux Éditions Manifeste, traduite par Aymen Hacen, préfacée par Moncef Mezghanni, avec un avant-dire d’Adonis.
Une phrase extraite de cette anthologie résume son œuvre :
« Contrairement à la plupart des poètes arabes de sa génération, Ouled Ahmed ne s’est pas engagé poétiquement en politique, mais s’est engagé en poésie politiquement. »
Mahmoud Darouiche : la voix de la Palestine
Mahmoud Darouiche (1941-2008) demeure une figure majeure de la poésie arabe contemporaine. Chantre de l’exil et de la terre natale, il est l’auteur d’une œuvre traduite dans de nombreuses langues.
Parmi ses recueils les plus célèbres : Feuilles d’olivier (1964), Un amant de Palestine (1966), Je t’aime ou je ne t’aime pas (1972), Tentative n°7 (1974), Voici son image et voici le suicide de l’amant (1975), Moins de roses (1986), Pourquoi as-tu laissé le cheval seul ? (1995), Mural (2000), Ne t’excuse pas (2004), Une mémoire pour l’oubli (1987), En présence de l’absence (2006).
Dans un passage de son poème Sur cette terre, il écrit :
« Sur cette terre, il y a ce qui mérite vie : l’hésitation d’avril, l’odeur du pain à l’aube, les opinions d’une femme sur les hommes, les écrits d’Eschyle, le commencement de l’amour, l’herbe sur une pierre, des mères debout sur un filet de flûte, et la peur qu’inspire le souvenir aux conquérants… »