Par Taoufik TWIL*
Aujourd’hui, le monde entier est sous le choc d’une guerre d’imposition réciproque de droits de douane contre les importations des biens et marchandises aux taux excessifs. Les outils de cette guerre sont incontestablement les inventions technologiques, les process de production, les marques de fabrique et du commerce, les produits d’appellation d’origine et d’indication géographique. C’est-à-dire le droit de la propriété intellectuelle. A partir de l’importation des terres rares traitées jusqu’à la restriction d’exportation de puces électroniques. Tout est question de propriété intellectuelle. En somme, une guerre entre les grandes puissances économiques mondiales, face à laquelle les économies faibles sont catégoriquement impuissantes et en sont exclues.
A cette guerre effrénée d’augmentation de tarifs de douane, les pays pauvres risquent de ne plus pouvoir payer leur importation en produits de base nécessaires à l’alimentation, à la santé, à l’éducation et au transport. Des pays dont le PIB par habitant se situe entre 2 et 3 dollars par jour, tels qu’ils sont répertoriés en 2023 par le Fonds monétaire international (FMI).
L’invention est le destin de l’Homme
Vraisemblablement, la plus extraordinaire création de cette nature est l’être humain. L’Homme dans toutes ses dimensions morphologique, psychologique, sensuelle et intellectuelle. Un poète en témoigne parfaitement. Citant «Au printemps les poèmes fleurissent d’avantage, ils ont les mêmes racines que les fleurs».
Si les traités, les conventions, les lois mis en place par l’Ompi sont nécessaires pour organiser les droits d’invention des outils et des procédés de fabrication, la nature les avait généreusement offerts à l’Homme. Elle les avait mis à sa disposition sans aucune réserve. Un droit universel partagé par toute l’humanité.
Le droit collectif à la propriété intellectuelle
A l’occasion de cette journée mondiale de la propriété intellectuelle, célébrée le 26 avril de chaque année, le questionnement légitime est comment rendre cette faculté de création, fondamentalement naturelle chez l’Homme, un droit abordable pour tout individu ? Comment faire bénéficier l’humanité, toute l’humanité, du fruit de l’invention technologique sans conditions accablantes prévues dans la réglementation internationale actuelle en la matière ? Dans la mesure où la science appartient, naturellement, à toute l’humanité, sans frontière raciale ni géographique ni discrimination aucune. Du fait qu’elle est le cumul de savoir initié par plusieurs générations successives de toutes les civilisations humaines à travers l’histoire. Un questionnement est à la fois humanisant qu’urgent. Car c’est l’avenir de tous les peuples de la planète qui en dépendra.
L’écart écrasant du niveau de vie portant accès à l’éducation, la santé et l’alimentation tel qu’il est enregistré entre les peuples, les pays et les communautés dans le monde est injustifié. Ecart inadmissible ! Un niveau de vie à deux vitesses.
Le constat du déséquilibre de richesse dans le monde est inquiétant. Le rythme de la pauvreté croît de plus en plus. Les crises sociales et économiques se multiplient. Pire encore, certains process technologiques de fabrication ont des effets néfastes sur l’environnement des pays pauvres. A savoir la pollution de la nappe phréatique par les grandes industries de transformation chimiques et le réchauffement climatique par l’émission des gaz à effet de serre des usines de firmes multinationales exploitant les gisements naturels. Les observations faites par les scientifiques portant sur la fonte progressive et dangereuse des glaciers dans l’Arctique depuis trois décennies sont alarmantes. Tous menaçant sérieusement l’équilibre de l’écosystème de notre vie commune sur terre. Causant des vagues d’immigration sans précédent par le fait du changement climatique. Alors que l’émission des gaz à effet de serre par ces pays pauvres ne représente que 2%.
Face au partage disproportionné des fruits du progrès technologique, un nouvel ordre mondial de la propriété intellectuelle s’impose. Un nouvel ordre qui prendra en charge l’évolution de notre système de production, le changement géoéconomique et géo-démographique dans le nouveau monde du 21e siècle.
Nouvel ordre mondial de la propriété intellectuelle
Un nouvel ordre mondial de la propriété intellectuelle imposant de nouvelles règles, de manière à ce que la création intellectuelle, l’innovation technologique, l’évolution de tous les systèmes de production profitent à tous. Elles deviendront un droit mondial commun. Un droit proportionnellement collectif, en lieu et place d’un droit exclusif d’un bien appartenant à un seul pays, une seule entreprise, voire une seule personne. Car les conséquences dramatiques suscitées sont collectivement partagées par tous les peuples du monde.
Un droit proportionnel collectif évitant le cumul de possession de plusieurs brevets d’invention entre les mains d’un seul individu. La réalité est choquante ! Une minorité d’entreprises exploitant le droit exclusif de la propriété intellectuelle possèdent plus de 50% de la richesse mondiale ! Un brevet d’invention relatif aux énergies renouvelables, au dessalement d’eau ou à un nouveau médicament devrait en partie être offert gratuitement au public. Le titulaire de l’invention — entreprise ou individu—devrait accepter de partager le fruit de son invention avec le grand public. Une mesure indispensable pour aider les pays pauvres à sortir de leur misère interminable. Puisqu’ils ne peuvent et ne pourront jamais rattraper le retard technologique. Au lieu d’imposer des coûts exorbitants, soi-disant redevances pour usage de brevet, l’Ompi a un devoir moral, historique et humain de réviser les règles actuelles de la propriété Intellectuelle.
Après la guerre en Ukraine depuis février 2022 et celle à Gaza contre les Palestiniens depuis octobre 2023, la communauté internationale devrait bien revoir l’actuel ordre mondial régissant la propriété intellectuelle. Et ce afin d’anticiper les causes de la pauvreté, du terrorisme, de l’émigration, des émeutes populaires et des catastrophes naturelles. L’actuel ordre n’est plus compatible avec les révolutions industrielle, technologique, et numérique. Il faut le remplacer.
La responsabilité historique de l’ONU, de l’OMC et de l’Ompi
A cet effet, les organisations mondiales comme l’ONU, l’OMC et l’Ompi devraient prendre leurs responsabilités et mettre en place de nouvelles réglementations susceptibles de résoudre les problèmes économiques et les conflits politiques spécifiques à ce monde du 21e siècle. Le litige actuel portant sur le droit de propriété intellectuelle entre les USA et la Chine objet d’échange commercial de plus que 1000 Milliards de Dollars en est le bon exemple.
La révision du droit d’exploitation de brevets d’invention, des marques de commerce et de fabrique ainsi que le droit d’usage des logiciels informatiques par les pays pauvres n’ayant pas les moyens de recherche scientifique sont une obligation morale.
Les statistiques en 2023 portant sur le PIB des 50 pays les plus pauvres du monde dont le revenu par habitant et par jour se situe entre 2 et 3 dollars, montrent que ces pays ne figurent pas dans la liste de classement de pays et groupements de pays titulaires de brevets d’invention illustrés dans le graphique ci-dessous dressé par l’Ompi en 2018, toutes périodes confondues, à partir de 2012 jusqu’à 2023! Pourtant, ils utilisent les produits objet des brevets et marques internationaux au coût exorbitant. Tout domaine de consommation inclus, de l’alimentation jusqu’à la technologie de communication ! Avec une population totale de ces 50 pays avoisinant un milliard d’habitants, sans aucun accès à la propriété intellectuelle !
Publication de l’Ompi en 2018
Un nouvel ordre mondial de propriété intellectuelle amendant et modifiant les dispositions de PCT (1970) relatif aux brevets et à la convention de Paris (1883) relative aux marques de commerce. A cet effet, ces pays seront proportionnellement affranchis de payer la redevance relative à l’usage des brevets. Du moins dans les domaines vitaux, à savoir l’alimentation, la santé, l’éducation et le transport.
Les retombées économiques de cette révision de la réglementation internationale de la propriété intellectuelle seront plus que positives. Aussi bien pour ces économies pauvres que pour les puissances industrielles mondiales. Car elles inciteront les pays à bas PIB à relancer leurs économies et cela évitera d’énormes pratiques frauduleuses de contrefaçon des brevets et marques internationaux. Un fonds international géré conjointement par l’OMC et l’Ompi sera mis en place à cet effet.
Cette mise à jour de l’ordre mondial de la propriété intellectuelle est le salut économique, politique pour plusieurs conflits actuels et futurs, que l’humanité tout entière devrait résoudre dans le cadre de la paix et de la fraternité.
La Tunisie, en tant que pays émergent, ayant une population jeune, instruite et suffisamment dotée de qualifications techniques, pourrait tirer des opportunités d’un nouvel ordre mondial de la propriété intellectuelle. Et ce dans un nouveau cadre de partenariat, avec des groupes industriels pour l’exploitation locale des brevets internationaux et les marques notoires de fabrique. Partenariat dans les grands projets industriels dans divers domaines technologiques offrant des emplois aux jeunes cadres et techniciens souffrant du chômage. Un partenariat stratégique gagnant-gagnant dans le cadre d’un nouvel ordre juridique mondial de la propriété industrielle.
T.T.
*Expert judiciaire en propriété industrielle -Tunis –
N.B. : L’opinion émise dans cette tribune n’engage que son auteur. Elle est l’expression d’un point de vue personnel.