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La nouvelle loi sur les chèques ou l’art de mettre une économie en péril

28. Januar 2025 um 09:45

Comme pour l’établissement du bilan coûts- avantages d’un projet d’investissement, dont c’est le métier en tant qu’économiste et consultant international, l’auteur en établit un pour la nouvelle loi sur les chèques qui entrera en vigueur le 2 février prochain. L’approche est universitaire, le langage est crû et le verdict est sans appel. Analyse objective à méditer par tout responsable économique et même politique étant donné l’impact social de cette loi sur la capacité de paiement et donc d’achat des ménages à faibles et moyens revenus et sur les commerçants qui ne peuvent pas survivre sans les facilités de paiement par des chèques antidatés qui ne seront plus possibles en vertu de cette nouvelle loi.

Sadok Zerelli *

La nouvelle loi sur les chèques n’est pas encore entrée en vigueur, prévue pour  le 2 février 2025, que déjà on observe l’effervescence qui règne dans tout le pays et les bouleversements qu’elle a introduits dans la vie des ménages, entreprises et surtout  commerçants.

Cette loi a été élaborée par un groupe d’une trentaine de députés dont la représentativité est le moins contestable puisque 9 Tunisiens en âge de voter sur 10 ne les ont pas élus (selon la commission électorale même, le taux de participation aux dernières élections législatives n’a pas dépassé 11%), votée par l’Assemblée presque à l’unanimité (seuls deux députés ont voté contre et un s’est abstenu) et promulguée à la hâte par le Président de la République (l’ARP la lui a transmise le 31 juillet et elle a été publiée dans le Jort du 2 août 2024).

Cette loi n’est nullement avant-gardiste comme l’affirment certains «experts» ou qui se prennent pour tels, mais bien arrière-gardiste (le terme n’existe pas dans la langue française, mais je l’invente pour les besoins de la cause) comme je vais l’expliquer point par point et en faire le bilan en tant qu’expert international en évaluation des projets et ex-enseignant universitaire qui a enseigné pendant des années un cours de d’économie monétaire.

Je ne vais pas reprendre et exposer le contenu et les différentes dispositions de cette loi, supposés connus car largement expliqués de long en large par la presse écrite et les médias audiovisuels, mais en faire un bilan coûts-avantages socio-économique objectif et sans aucune arrière-pensée d’ordre politique.

A l’actif du bilan

Si je commence par les avantages à mettre à l’actif du bilan de cette loi, le plus évident et qui constitue l’objectif même de cette loi est la dépénalisation du délit d’émission de chèques sans provision.

Ainsi, en vertu de cette loi, plusieurs centaines d’hommes d’affaires, commerçants et simples citoyens ont été libérés de prison et probablement plusieurs autres milliers ne risqueront pas d’y entrer pour avoir émis un chèque en bois. L’effet positif indirect de cette loi est qu’elle a permis et va permettre certainement de réduire la population carcérale. C’est un avantage social, politique et humain indéniable.

J’ai beau cherché d’autres avantages et notamment sur le plan économique, qui est mon angle d’analyse dans cet article, je n’en trouve pas. Si certains lecteurs ou lectrices en connaissent, j’apprécierais qu’ils/elles m’ont font part dans leurs commentaires.

Au passif du bilan

Par contre, au niveau du passif du bilan de cette loi, la liste est, malheureusement pour les citoyens et l’économie de ce pays, bien longue au point que je ne sais pas par où commencer.

En tant qu’universitaire, spécialiste en économie monétaire, je commencerais par les contradictions flagrantes entre certaines des dispositions de cette loi et ce que j’ai personnellement et surtout mes collègues spécialistes en droit commercial ont enseigné pendant des années à leurs étudiants en licence de sciences économiques et de gestion.

En effet, selon tous les manuels universitaires d’économie monétaire et de droit commercial, le chèque constitue un moyen de paiement «à vue», ce qui veut dire que sa simple signature libère le tireur (le débiteur) de sa dette envers le tiré (le créancier), exactement comme s’il l’a payé en espèces. Dans ce sens, toutes les dispositions de la nouvelle loi qui limitent le montant d’un chèque à 30 000 dinars, la durée de validité d’un chéquier à six mois, ou l’obligation qu’il soit barré sont contraires à l’esprit et à la lettre du droit commercial. C’est à se demander si aucun de cette trentaine de députés qui ont élaboré cette loi n’a une licence en sciences économiques ou en droit commercial ou en gestion ou qu’il en a une, maïs qu’il a oublié tout ce qu’il a appris sur les bancs de l’université.

Le recours au paiement par traite

Toujours sur le même thème de la conformité ou plutôt de la non-conformité des dispositions de cette nouvelle loi au droit commercial, je mentionnerais le recours aux effets de commerce, comme moyen de paiement, alternatif aux chèques.

En effet, comme leur nom l’indique, les effets de commerce ou traites, sont un moyen de paiement entre commerçants seulement, c’est-à-dire à des personnes physiques ou morales qui disposent d’une patente pour exercer une activité économique ou sous la forme de SA ou SARL, etc. Du strict point de vue du droit commercial, les ménages n’ont pas le droit d’utiliser des traites pour régler leurs transactions et commettent un délit commercial s’ils le font.

D’autre part, l’échéance d’une traite est par définition de 90 jours et elle ne peut nullement être immédiatement encaissable et constituer ainsi un moyen de paiement à vue comme c’est le cas pour les chèques.

Exiger en plus que la signature de la traite soit légalisée à une municipalité, comme la plupart des commerçants et opérateurs économiques font depuis la publication de cette nouvelle loi sur les chèques, est le meilleur moyen d’empoisonner davantage la vie des citoyens et ralentir la vie économique qui l’est déjà assez (que faire durant les weekends et les jours fériés ?).

Quel intérêt d’avoir un compte courant bancaire ?

Il n’est pas nécessaire d’être titulaire d’une licence en sciences  économiques ou en gestion pour savoir que la  différence entre un compte courant et les autres types de compte (compte d’épargne, compte de dépôt à terme, bon de caisse, etc.) est que le premier n’est pas rémunéré mais permet en contrepartie la mobilisation de son solde créditeur à tout instant et sans condition grâce à un chéquier, alors que les autres types de compte sont rémunérés mais ne permettent pas à leurs titulaires la mobilisation à tout moment de leurs soldes créditeurs qui est soumise à des délais et des procédures particulières.

A partir du moment où la délivrance d’un chéquier n’est plus un droit acquis par le titulaire d’un compte courant bancaire, mais soumise à des conditions restrictives de montant plafond, de durée de validité du chéquier et d’enquête de solvabilité à mener par les banques, alors que son solde créditeur n’est pas rémunéré, qui aurait intérêt à ouvrir un compte courant ? Même ceux qui en disposent risquent de le fermer et transférer leurs dépôts dans un compte d’épargne ou de dépôt à terme, parce que, bloqués pour bloqués, leurs dépôts leur rapporteront au moins un revenu sous forme d’intérêts créditeurs.

Accroître les paiements en espèces

C’est la conséquence directe et la plus grave à mettre au passif du bilan de cette loi, et qui justifie, à mon sens, le qualificatif d’arrière-gardiste.

En effet, alors que partout dans le monde les paiements en espèces sont en voie de disparition au profit des paiements par carte de crédit ou par monnaie digitale ou même par smartphone, la conséquence directe de cette nouvelle loi est le renforcement des paiements en espèces auxquels les agents économiques n’auront pas d’autres choix que d’y recourir pour payer leurs transactions surtout de montants importants qui sont fréquentes dans certaines activités économiques et commerciales (matériaux de constructions, électroménagers, etc.)  

Nos valeureux députés semblent ignorer que, selon une étude réalisée récemment par l’OCDE, seuls 35% des Tunisiens disposent d’un compte courant bancaire et seraient donc en mesure de régler leurs transactions par des virements bancaire, et que selon une autre étude réalisée par Fitch Solutions, seuls 15% des Tunisiens disposent d’une carte de retrait bancaire. Comment vont-ils faire pour régler leurs transactions sans être obligés de transporter dans des sacs quand ce n’est pas dans des valises des sommes importantes en espèces?

Impact social sur les ménages à faibles et moyens revenus

Dans un contexte de chômage massif et de baisse du pouvoir d’achat à cause de la persistance d’une une inflation élevée, cette nouvelle loi va priver les ménages à faibles revenus et même à revenus moyens des facilités de paiement par plusieurs chèques antidatés pour faire face à des dépenses exceptionnelles et quelquefois imprévisibles. Comment va faire le chef de famille qui a besoin d’acheter un frigo ou une voiture qu’il ne peut payer que par des paiements échelonnés sur plusieurs mois? Pire, que va faire le malade qui doit subir en urgence une opération chirurgicale sachant que les cliniques n’admettront plus, à moins de payer cash en espèces ou par virement, ou par traite ou par carte bancaire ou par chèque immédiatement encaissable, des montants souvent très importants et qui dépassent même quelquefois le plafond de 30000 dinars fixé par la nouvelle loi?

L’alternative à cette loi : le chèque certifié

Au lieu de promulguer cette nouvelle loi, d’élaborer une plateforme électronique dont le fonctionnement sera douteux, de mettre en dangers des centaines de milliers de familles de commerçants dont le commerce ne sera plus rentable sans des facilités de paiement par des chèques antidatés et réduire drastiquement la capacité de paiement de millions de ménages, avec toutes les conséquences économiques et sociales que j’on devine, nos législateurs en herbe auraient mieux fait de promulguer une loi d’une seule phrase : Tous les chèques doivent être certifiés à partir d’un tel montant !

C’est quand même extraordinaire et navrant qu’aucun d’entre eux n’a pensé à ce moyen simple et efficace de lutte contre l’émission de chèques sans provision, qui a fait ses preuves et qu’il suffisait de généraliser au moins au-delà d’un montant minimum et pour certaines activités jugées spéculatives !

L’économie tunisienne «kannet techkhir zaddet baff» !

En conclusion du lourd bilan coûts-avantages de cette nouvelle loi sur les chèques et en termes de proverbes populaires, que plus je vieillis plus j’adore parce que je trouve qu’ils expriment bien la sagesse de nos ancêtres, j’hésite entre ce proverbe et celui qui dit «apprendre la coiffure sur le tête des orphelins» pour qualifier le texte de cette loi et la compétence des députés qui l’ont élaborée.

Finalement, j’ai décidé de mettre les deux proverbes, en laissant le soin aux lecteurs et lectrices d’apprécier lequel est selon eux/elles est le plus illustratif des conséquences de cette loi catastrophique de tous les points de vue. J’apprécierais d’ailleurs si certain(e)s lecteur(ce)s me fassent part dans leurs commentaires d’autres proverbes populaires que cette loi leur inspire, histoire d’enrichir ma «bibliothèque» en la matière.

Adaptation des lois et gouvernance économique

Sur un ton plus sérieux, cette loi confirme que le développement économique n’est pas une affaire de dotations en ressources naturelles et humaines mais de capacité de gestion, d’adaptation des lois et de gouvernance économique avant tout.

Des pays africains qui ne disposent pas davantage de ressources humaines et matérielles que nous, tels que le Sénégal ou le Rwanda ou la Côte d’Ivoire ou même la petite Gambie (1,5 millions d’habitants), arrivent à réaliser des taux de croissance économique de l’ordre de 5% ou même 7%, alors que notre pays a réalisé un taux négatif de -1,8% entre 2012 et 2021 et qui oscille depuis entre 1% et 2% (1,6% attendus pour 2024: selon la Banque Mondiale.)

Ainsi vogue le bateau, nommé «Tunisie», dont le naufrage n’est plus à mon avis pour longtemps, au grand dam des nouvelles générations à qui ma génération lègue une économie criblée de dette (environ 80% du PIB) et au bord de la  faillite et qui n’auront pas d’autres perspectives que d’émigrer légalement ou illégalement, par avion, par bateau ou même à pied s’il leur faut, pour fuir ce pays où ils sont nés et où sont enterrés leurs ancêtres.

Au nom de ma génération, je leur demande pardon.

* Economiste et consultant international.

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