L’impérialisme américain est de retour : Qui pourrait arrêter Donald Trump?
Adieu l’isolationniste Donald Trump. Bonjour l’impérialiste et expansionniste Donald Trump. Certains diront que le fraîchement revenant à la Maison-Blanche a mené une révolution copernicienne dans sa pensée, ce qui est certain c’est que son appétit pour l’élargissement des frontières américaines est là. Groenland, Canada, golfe du Mexique, canal de Panama, M. Trump semble ne pas se gêner dans ses nouveaux rêves de grandeur et cela a un nom: impérialisme.
Imed Bahri
Le professeur d’Histoire à l’Université de Yale Greg Grandin a publié une tribune dans le New York Times dans laquelle il affirme que le nouveau président américain rêve d’un nouvel empire américain. M. Trump avait remporté la Maison Blanche à deux reprises en promettant de fermer les frontières mais dans son discours d’investiture lundi 20 janvier 2025, il a parlé de l’élargissement des frontières de l’Amérique, qui serait, selon ses termes, «gravée dans nos cœurs».
Ce mois-ci, Trump a parlé d’acheter le Groenland au Danemark, de récupérer le canal de Panama et de rebaptiser le golfe du Mexique «golfe d’Amérique» en déclarant «Oh mon Dieu, quel beau nom !», en insistant sur la dernière syllabe du terme Amérique.
Greg Grandin, qui le cite, estime que la tendance expansionniste est surprenante de la part d’un homme politique d’habitude isolationniste qui appelle à se barricader à l’intérieur du mur frontalier américain. Toutefois Trump, un politicien intelligent, sait que le nationalisme colérique et insulaire sur lequel il s’est appuyé pour arriver à la Maison Blanche peut être autodestructeur comme cela a été le cas au cours de son précédent mandat difficile.
Ainsi, ces appels à rendre l’Amérique non seulement grande mais encore plus vaste géographiquement visent à raviver le patriotisme et une vision d’une Amérique en constante croissance territoriale et en mouvement vers l’extérieur, une sorte d’Israël à l’échelle planétaire qui pousse indéfiniment ses frontières.
Une Amérique de l’océan Arctique au Panama
Les récents commentaires de Trump ont enflammé le mouvement Make America Great Again (Maga) d’autant qu’il a utilisé les médias sociaux pour diffuser des plans de bataille pour le contrôle du Canada et dessiner une carte de l’Amérique de l’océan Arctique au Panama.
Trump invoque les visions des Pères fondateurs qui voyaient la prospérité de l’Amérique liée à son expansion. Cela va de pair. James Madison écrivait en 1787 qu’il fallait élargir la sphère, élargir le territoire afin d’éliminer l’extrémisme politique et de geler la lutte des classes.
Dans un discours sur l’achat de la Louisiane en 1805, Thomas Jefferson a déclaré: «Plus notre union sera grande, moins elle risquera d’être exposée aux passions locales.» Des années après ces paroles, l’Amérique s’est étendue sur le continent à une vitesse étonnante, contrôlant l’Indiana et les terres mexicaines sur la base de la doctrine de la conquête atteignant l’océan Pacifique puis contrôlant Hawaï, Porto Rico et d’autres îles.
Au XXe siècle, même après que les États-Unis comme une grande partie du monde aient abandonné la doctrine de la conquête, les dirigeants américains ont continué à relancer l’idée d’une expansion potentiellement illimitée afin d’ouvrir des marchés aux exportations américaines, de mener des guerres pour purger le monde des maux, favoriser la mobilité sociale et soutenir la croissance de la classe moyenne.
Dans le domaine scientifique et technologique, l’ouest américain a été ce que l’historien Frederick Jackson Turner a appelé l’incubateur de cette «renaissance perpétuelle».
Trump, estime Grandin, exploite cette histoire promettant de «suivre la destinée manifeste jusqu’aux étoiles et même jusqu’à Mars» mais il le fait dans un style caustique mais solennel qui donne l’impression que les idées conventionnelles viennent d’une autre planète.
Ses détracteurs pourraient se moquer de l’idée d’annexer le Groenland. Mais il s’avère qu’une telle annexion était depuis longtemps un objectif des hommes politiques américains, au moins depuis 1867, lorsque le secrétaire d’État William Seward, peu de temps après avoir acheté l’Alaska, envisagea d’acheter l’île au Danemark ainsi que l’Islande. Franklin Roosevelt cherchait à acheter l’île et, après sa mort, l’administration de Harry Truman offrit, en 1946, 100 millions de dollars pour le Groenland, offre que les Danois rejetèrent. Plus tard, le vice-président de Gerald Ford, Nelson Rockefeller, a proposé d’acquérir le Groenland pour ses richesses minérales.
En 1975, C. L. Sulzberger, invoquant l’intérêt national, écrivait que le Groenland devrait être considéré comme couvert par la doctrine Monroe ce qui signifie qu’il se trouvait dans l’ensemble du périmètre de sécurité américain.
Ajouter plus d’étoiles au drapeau américain
Quant à l’idée de Trump d’ajouter plus d’étoiles au drapeau américain, William Kristol, un conservateur de la ligne dure qui s’oppose à Trump, est d’accord avec cette idée car il a suggéré la possibilité d’annexer Cuba aux États-Unis. «60 ans dans 50 États, c’est suffisant», a-t-il tweeté peu après que Trump ait quitté la Maison Blanche en 2021 et si les États-Unis veulent laisser le trumpisme derrière eux, ils doivent grandir, un sentiment avec lequel Madison aurait été d’accord. À l’époque, Trump était encore isolationniste. Et maintenant, voici Trump lui-même de retour triomphant et défendant l’expansionnisme. Sauf que Trump évolue dans un monde très différent de celui de l’époque des Pères fondateurs.
Depuis que le président Bill Clinton a déclaré en 1993 que «l’économie mondiale est notre nouvelle frontière», l’Amérique est dans un état de stagnation émotionnelle provoquée par les traumatismes de la guerre, le déclin de la classe moyenne, le fardeau de la dette, les avancées technologiques, une série de catastrophes climatiques, un âge d’or de concentration des richesses entre les mains d’une poignée d’individus et une baisse de l’espérance de vie avec des taux alarmants de mortalité des jeunes, tout cela se combine pour créer un état de paralysie politique.
Le pari impérial de Trump semble être une tentative de sortir de cette impasse en disant : «il n’y a pas de limites à l’avenir du pays. Voulons-nous le Groenland? Nous allons le prendre en charge, voulons-nous le Canada?».
Selon Politico, un certain nombre de riches partisans de Trump notamment dans le secteur technologique considèrent le Groenland comme précieux non pas pour ses minéraux ou son emplacement stratégique mais comme une solution spirituelle au malaise actuel de l’Amérique et un moyen de redonner un sens à la vie pour un pays perdu. Mais les défis auxquels ce pays est confronté ne seront pas résolus en fuyant vers une frontière imaginaire dans l’espoir que son climat rigoureux, comme l’a prétendu un partisan de Trump, créera «un nouveau peuple».
Grandin fait remarquer que la fuite vers les ambitions impériales est le point où la recherche par Trump d’un cri de ralliement et de mobilisation de ses partisans devient dangereux. Il traite la politique internationale comme s’il s’agissait d’un jeu de hasard soulignant que le monde est régi par de nouvelles règles or ce sont en réalité de vieilles règles qui viennent d’une autre époque à savoir les puissants font ce qu’ils veulent et les faibles subissent les désirs des puissants.
Les guerres pour créer des sphères d’influence
L’auteur rappelle que le monde connaît aujourd’hui des guerres brutales et les grands stratèges y compris ceux qui ont guidé les politiques de Biden ne voient pas les guerres comme des choses auxquelles il faut mettre fin mais comme des opportunités de créer des sphères d’influence.
Dans ses relations avec la Chine, par exemple, Joe Biden a suivi l’approche commerciale de Trump et leurs divers efforts pour contenir Pékin ont accru le potentiel de conflit notamment au sujet de Taïwan ou de la mer de Chine méridionale. «Avec l’invasion de l’Ukraine par la Russie, l’attaque israélienne non seulement sur Gaza mais aussi sur le Liban et la Syrie et nos interventions militaires en Afghanistan, en Irak, en Libye, en Syrie et ailleurs, les ruines du droit international sont partout autour de nous», comme l’a déclaré le théoricien du droit Eric Posner.
Par conséquent, la pensée de Trump ne vise pas à donner le ton mais plutôt à légitimer quelque chose qui existe déjà, en l’occurrence un nouvel ordre mondial dans lequel l’agression n’est pas exclue. Toutefois son langage débridé et sa volonté d’inciter ses alliés à s’engager dans des jeux puérils de domination, comme il le fait avec le Canada, le Danemark et le Panama, perturbent davantage un monde déjà instable.
L’une des leçons que le passé nous enseigne, en particulier le passé impérial invoqué par Trump, est que la politique agressive menée par les États-Unis, en faisant pression sur la Chine, la Russie, et tous les pays du monde, y compris les alliés de Washington, comme le Canada et l’Union européenne, mènera inévitablement à davantage de confrontations, à davantage de politique de la corde raide et à davantage de guerres.
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