Entre chant et spiritualité, chacun trouve en Tunisie son chemin vers le bonheur, selon ses envies et ses aspirations, dans le respect de ses choix.
La Presse —Ce qui était autrefois l’apanage des initiés devient de nos jours une activité très prisée, portée par un regain d’intérêt pour les arts vivants et une volonté collective de s’exprimer autrement, de se libérer de l’emprise du temps et de la routine étouffante de la vie. Femmes âgées et filles à la fleur de l’âge se laissent délibérément emporter par l’élan des chants, parfois sous l’œil de célèbres chanteurs.
La gent masculine est, elle aussi, sous l’emprise de cette nouvelle tendance. Les hommes sont à leur tour, de plus en plus nombreux à tenter cette expérience synonyme de vadrouille musicale et de forme de lutte contre le stress au travail, des études, et surtout contre le vide pour les retraités, ou mieux contre l’isolement social. Peu importe l’âge. Autant profiter de la vie, se réconcilier avec soi-même et nouer de nouvelles relations.
«Nous avons toute la vie pour nous amuser Nous avons toute la mort pour nous reposer», chantait Georges Moustaki.
Les clubs de chant se multiplient…
Aux femmes comme aux hommes, ces clubs constituent une échappatoire et un moyen qui dépasse de nos jours la distraction. C’est une rupture avec la monotonie. Une évasion peuplée de rêves et d’histoires d’amour qui les plonge dans un état de ravissement parfois proche de l’extase. Une félicité qui échappe à la fuite du temps, où le passé prend parfois le dessus sur un présent qu’on refuse d’accepter.
Les clubs de chant se multiplient à travers la Tunisie et attirent un public de plus en plus large. Plusieurs facteurs expliquent les raisons de cette progression. D’une part, le chant n’est plus considéré comme un art réservé à une élite ou strictement académique, mais comme une pratique ouverte à tous, porteuse de bienfaits et valorisante.
Le chant collectif s’apparente également à une véritable thérapie, puisqu’il génère des effets bénéfiques, notamment chez les personnes âgées, en favorisant leur bien-être émotionnel, en stimulant leurs capacités cognitives et en renforçant leurs liens sociaux.
Dans un contexte marqué par une quête de bien-être et de lien social, les clubs de chant apparaissent donc comme des refuges créatifs. On y vient pour bien travailler sa voix, travailler sa vocalise en présence des pros de la chanson, mais aussi pour tisser de nouvelles amitiés.
Le mouvement ne cesse de prendre de l’ampleur. Et de plus en plus de Tunisiens, hommes et femmes, trouvent dans le chant un écho à leurs aspirations. D’autant que certains clubs fondés par des artistes notoires leur offrent la possibilité de prendre part à certaines fêtes en privé ou en public.
Les chanteurs en herbe se produisent fièrement lors des fêtes, et certains, le temps d’une représentation, se transforment en véritables professionnels, ovationnés par le public. Et quoi de plus gratifiant lorsque ces prestations sont organisées à l’étranger, au profit de la diaspora tunisienne ou au Théâtre municipal de Tunis. L’idée de devenir une star est souvent tentante.
Au sein des clubs de chant, chaque séance devient un petit rituel. On se maquille, on soigne son apparence, on se met en condition. L’objectif ? S’offrir un moment de pur plaisir, d’évasion et de bien-être, loin des pressions et des soucis du quotidien.
«No stress» s’impose comme le maître mot pour chacun, nous confie Mme Najoua Zribi, fondatrice du Club de chant «Les voix de Carthage» depuis 2018, situé à la Marsa. Ce club lui a permis de concrétiser un souhait qu’elle nourrissait depuis sa jeunesse. Les études scolaires avaient la priorité, tandis que ce genre d’activité était mal considéré par les parents.
Pour Mme Najoua Zribi, le chant en groupe dépasse le simple divertissement. «C’est une véritable thérapie, assure-t-elle. On oublie les tracas du quotidien, on se sent porté par l’énergie collective et cela redonne confiance, surtout aux personnes âgées. Chanter ensemble, c’est retrouver de la vitalité et tisser des liens qui réchauffent le cœur».
Son initiative n’a rien de lucratif : elle vise notamment à rattraper le temps perdu et à créer des liens. Dans sa demeure transformée en club, elle réunit des femmes de tous horizons et de tous âges, soigneusement sélectionnées. Ce qui les unit ? Le désir de partager des instants de plaisir, sans contrainte ni jugement. Ici, pas de limite d’âge, mais on se retrouve pour chanter, danser, se libérer du quotidien. Pour beaucoup, ce rendez-vous collectif prend des allures d’une véritable thérapie.
D’autre part, les réseaux sociaux ont agi dans ce contexte comme un puissant catalyseur. Les vidéos de chorales amateurs ou de groupes de jeunes talents qui circulent massivement en ligne, ont nourri l’enthousiasme et suscité de nouvelles vocations.
Les groupes issus de ces clubs de chant essaiment sur les réseaux sociaux sur fond d’invitation ; «Un Club de chant pour celles qui veulent décompresser et s’amuser tout en apprenant des chansons inoubliables et modernes dans la bonne humeur et dans la joie» lit-on sur le mur de l’un ses groupes. «Club féminin de chant pour la préservation du patrimoine des chansons arabes et tunisiennes, et pour se libérer des pressions de la vie – Club du Bonheur», annonce un autre club qui a pignon sur rue.
Des figures connues de la scène musicale, telles que Zied Gharsa, Mohamed Jebali, Lamia et Faycel Riahi, ont fondé leur propre club de chant. Leur notoriété constitue une véritable garantie quant à la qualité de l’enseignement proposé. Peu importe le tarif d’adhésion, les passionnés n’hésitent pas à franchir le pas pour des moments de pur bonheur et d’évasion.
Les écoles coraniques aussi
Tandis que les clubs de chant connaissent un vif essor, les écoles coraniques se multiplient à leur tour à travers la Tunisie. Hommes et femmes, jeunes et moins jeunes, s’y pressent, en quête de spiritualité. Placées sous la stricte surveillance du ministère des Affaires religieuses, ces écoles se distinguent clairement des établissements anarchiques apparus en grand nombre après la révolution, souvent liés à des courants religieux extrémistes. Aujourd’hui, elles fonctionnent en toute transparence et légalité.
Le profil des inscrits dans ces écoles est large : des retraités comme des adolescents, tous animés par la volonté d’apprendre tout le Coran ou des parties de celui-ci par cœur et d’en maîtriser la récitation. «La mémorisation du Coran offre de nombreux bienfaits spirituels, personnels et communautaires.
Sur le plan spirituel, elle renforce la foi, purifie le cœur et rapproche d’Allah, tout en procurant une protection contre les influences négatives. Sur le plan individuel, cette discipline exige patience, persévérance et concentration, des qualités qui bénéficient à d’autres aspects de la vie.
Elle améliore également la mémoire, la prononciation et la compréhension approfondie du texte sacré», nous souligne Samira qui apprend le Coran à la mosquée Zeitouna et qui s’apprête à prendre sa retraite dans quelques mois. Sur le plan émotionnel, cette pratique apporte paix et réconfort, surtout en période de stress. Enfin, cette pratique permet aussi d’améliorer les compétences en arabe, conclut-elle.
En somme, la mémorisation du Coran est perçue comme l’apothéose de la communion avec Dieu, un acte vertueux, récompensé dans l’au-delà, et constitue une source d’orientation et de protection spirituelle dans la vie quotidienne des musulmans, ajoute de son côté Haifa, enseignante, âgée d’une quarantaine d’années, mariée et mère d’un garçon et d’une fille, qui s’est enregistrée à l’école coranique à l’Aouina.
Clubs de chant et écoles coraniques, loin d’être opposés, répondent chacun à leur manière à un besoin commun, à savoir se retrouver, partager et nourrir le lien social ou spirituel, dans le respect des choix de chacun.