La Presse —Le transport clandestin continue à s’ancrer dans le quotidien des Tunisiens et ce, depuis bien des années. Des minibus, à l’état délabré, aux portes souvent ouvertes, sillonnent le milieu urbain, au vu et au su de tout le monde. Mais depuis quelque temps, une nouvelle tendance prend de l’ampleur : les mototaxis clandestins ! Il s’agit de jeunes motocyclistes qui, en voyant une personne tentant en vain de héler un taxi, patientant dans un arrêt de bus ou simplement debout au bas-côté, n’hésitent pas à offrir leur service, celui de conduire cette personne-là où elle compte s’y rendre contre une petite somme d’argent.
Cette nouvelle facette du transport clandestin a vu le jour pour combler deux problèmes d’ordre socioéconomique : le transport et le chômage. Cela semble, certainement absurde que l’on puisse espérer d’une telle pratique résoudre deux problématiques majeures, handicapant des secteurs ô combien stratégiques.
à savoir le transport et l’emploi ! Toutefois, et en raison d’un transport en commun qui peine à offrir aux citoyens une bonne qualité de service, notamment les conditions de voyage et la ponctualité, d’une part, et face à un marché de l’emploi qui exclut les «sans-qualifications professionnelles», d’autre part, certains retroussent les manches pour trouver une initiative individuelle, spontanée et quelque peu rentable quoique dérisoire, pour combler une faille, petite certes, mais bien déterminée.
Ne pas rester les bras croisés !
Sami — qui hésite un bon moment avant de décliner son prénom— détient un motocycle. Agé de vingt-huit ans, il provient d’une famille à faible revenu. N’ayant pas poursuivi ses études et ne disposant d’aucun diplôme, il s’adonne souvent à des petits boulots. «J’ai travaillé comme serveur dans un café, apprenti chez un coiffeur, ouvrier maçon…
J’ai essayé de gagner ma vie mais ce n’était ni facile ni durable. Aujourd’hui encore, je suis à la recherche d’un emploi à même de me garantir une paie fixe. Mais en attendant, je me débrouille pour gagner mon argent de poche», avoue-t-il. Depuis un an, Sami tire profit de son motocycle pour grapiller de quoi subvenir à ses petites dépenses. Chaque jour, il prend son petit véhicule et se dirige vers les zones à grand trafic urbain à Tunis, où sont implantés des souks, des administrations, des médecins ainsi que des facultés, en quête d’éventuels clients.
«Mes clients sont, nécessairement, des personnes qui sont en panne de transport ; des gens pressés par le temps et qui ne trouvent ni taxi ni métro, ni bus. Les trajets que j’effectue tournent toujours dans un périple restreint et ne dépassent pas les cinq dinars tout au plus», indique-t-il. Sami ne passe pas la journée à emmener des gens sur son motocycle.
Tout ce que cherche ce jeune homme c’est de gagner un peu d’argent, dignement. «Une vingtaine ou une trentaine de dinars par jour me suffisent pour acheter des cigarettes, boire un café et épargner de l’argent pour acheter des vêtements. Je ne cherche pas à faire fortune, mais simplement à subvenir à mes petites dépenses sans offenser personne ni commettre des délits ; l’argent sale n’est pas pour moi», ajoute-t-il.
Halte aux pénalités !
Nombreux sont les jeunes qui, comme Sami, se débrouillent — un tant soit peu— pour gagner leur vie ; des jeunes qui intègrent le secteur informel, contraints, poussés par le besoin, la précarité…Il faut dire que les petits boulots clandestins deviennent une réelle alternative pour ceux et celles qui n’ont pas réussi à se tailler une place sur le marché de l’emploi.
Mohamed Samer el Cheickh dispose d’une moto. Mais il n’a pas cru bon de se hasarder dans un tel boulot jugé comme étant risqué. «La loi est intransigeante et le contrôle est permanent. Il suffit, pour un mototaxi, d’être intercepté par un agent pour encourir une amende de l’ordre de 700dt et de voir sa moto confisquée !
Du coup, je préfère assurer des livraisons que de prendre le risque», indique-t-il, lucide. Néanmoins, il connaît bien des jeunes — et même des pères de familles- qui le font. «Je connais quelqu’un qui est décédé suite à un arrêt cardiaque après que sa moto a été saisie et condamné à une amende. Il avait une famille à nourrir…», confie-t-il.
Autant réglementer que pénaliser !
Samer, et à l’instar de bon nombre de Tunisiens, appelle à l’insertion des activités informelles dans le secteur formel. «Je pense qu’au lieu d’appliquer de telles mesures pénalisantes , mieux vaut réglementer cette activité, qui pourrait sauver des familles de la nécessité et renforcer les prestations du transport.
Il serait intéressant, par exemple, propose-t-il, de charger un certain nombre de mototaxis de suivre le même trajet d’une ligne de bus bien déterminée et de généraliser cette mesure à toutes les lignes». Samer a la conviction que «quand on veut, on peut», et du moment que l’on veut apporter des solutions aux problèmes qui ont trait au quotidien des citoyens, les moyens s’avèrent souvent, accessibles.
«Prenons l’exemple de la zone hospitalière de la Rabta. L’embouteillage y est ahurissant et ce, à tout moment de la journée. Des personnes souffrent le martyre pour accéder à l’hôpital. Des cas d’urgence risquent de périr dans des ambulances neutralisées par les voitures.
Pourtant, 50% des voitures ne sont autres que des taxis dont chacun conduit un seul client. Or, en établissant une ligne de taxis collectifs pour cette zone, le trafic serait certainement moins étouffant. Ceci est valable pour toutes les zones à grand trafic urbain », suggère-t-il.
L’introduction des activités clandestines dans le secteur formel, qui pourrait résoudre moult problèmes socioéconomiques dont souffrent les catégories vulnérables, tarde à venir et ce, en dépit des recommandations, et des citoyens et des acteurs de la société civile. C’est que ces activités s’avèrent dans bien des secteurs, l’un des maillons de la chaîne.
Certes, elles ne représentent pas forcément «le maillon fort», mais «un maillon» qui mérite d’être pris en considération et même valorisé via une réglementation adaptée à sa nature et renforçant son utilité. Au final, l’utilité et la faisabilité devraient primer toute logique et ce, pour le bien de tous.