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Quand le système tue l’âme │ Ce que nous avons perdu et ce que nous pouvons retrouver

19. Mai 2025 um 09:16

Aujourd’hui, face aux guerres, aux bouleversements climatiques, à la montée du désespoir intérieur, je ne peux m’empêcher de me demander : où avons-nous désappris à vivre ? Est-ce que, quelque part, le monde extérieur n’est-il pas le reflet d’un déséquilibre profond entre nos polarités intérieures ?  (Ph. « One of a kind », aquarelle sur papier de Natacha St-Amand, Canada).

Manel Albouchi *

Masculin et féminin : non pas en tant que genres, mais en tant que forces symboliques; principes qui cohabitent, s’opposent, se cherchent en chacun de nous. 

Le déséquilibre entre ces deux pôles semble être devenu une norme. Et peut-être est-ce là que se niche une part de notre mal-être collectif, de notre violence quotidienne, de notre perte de sens. 

Le patriarcat n’est pas qu’une affaire de genre 

Le principe masculin : maîtrise, rationalité, performance, conquête a pris le dessus, non pas sur les hommes ou les femmes, mais sur la dimension symbolique du féminin : accueil, réceptivité, écoute, lenteur. 

Dans une société qui valorise le contrôle, la rentabilité, la domination, où trouve-t-on encore la place pour l’intériorité, le soin, l’intuition ? 

Carl Gustav Jung appelait ces deux polarités l’anima et l’animus : les deux pôles énergétiques de notre psyché. L’équilibre entre ces deux polarités est la clé de la santé psychique. Mais aujourd’hui, nous sommes poussés à nier notre anima intérieure, à fuir le silence et l’introspection, englués dans l’overthinking ** et la course à la performance. 

La violence comme symptôme 

On peut voir aussi dans le déséquilibre de ces polarités une explication, peut-être partielle, des violences qui se manifestent autour de nous. Prenons la violence verbale, banalisée dans nos rues, dans nos maisons, dans nos gestes, dans notre langage et dans les insultes sexistes qui tournent inlassablement autour du sexe, du phallus, du pouvoir de dominer. 

Cette violence symbolique, sourde, qui ne laisse pas de bleus mais qui sape la confiance, détruit l’estime de soi et creuse les fractures sociales, est trop souvent banalisée. 

Et moi, en tant que femme, psychologue, citoyenne : je refuse cette banalisation. Je crois que la dignité commence par le respect de la parole, et que le changement commence par une nouvelle éthique de la relation. 

La blessure écologique  

Mary Douglas, dans ‘‘De la souillure’’, nous montre comment les notions de propre et d’impur ne relèvent pas seulement de l’hygiène, mais de la structure même de nos représentations culturelles. 

Le féminin, comme la Terre, est souvent perçu comme trouble, impénétrable, ambigu, et donc potentiellement dangereux. Cette peur de l’indistinct, de l’organique, du cycle, justifie l’exclusion, le contrôle, la violence symbolique et matérielle. 

Et cette logique a des conséquences tragiques. Le déséquilibre entre le masculin et le féminin se manifeste aujourd’hui dans l’effondrement de notre monde. La Terre, principe féminin par excellence, féconde, enveloppante, nourricière est blessée. 

À Gabès, les nappes phréatiques sont saturées de produits chimiques. Les palmeraies, jadis luxuriantes, étouffent sous les résidus industriels. 

Le stress hydraulique devient chronique, les sources se tarissent, les rivières sont détournées ou bétonnées. 

Les terres se craquellent, mais la sécheresse est aussi intérieure. Nous vivons une sécheresse des affects. Nos cœurs, à force de surmenage, de performance, d’isolement, se dessèchent. 

Nous n’osons plus pleurer, plus écouter, plus sentir. L’émotion devient une faiblesse, l’introspection une perte de temps, la tendresse un luxe. 

L’air, la mer, les sols portent les stigmates d’un système fondé sur l’exploitation, la performance, la domination. 

Ce que nous faisons à la planète, nous le faisons aussi à notre psyché. 

En coupant les arbres, nous avons aussi coupé les liens symboliques, les racines profondes, nous avons stérilisé l’imaginaire. 

En empoisonnant la terre, nous avons empoisonné les mémoires affectives, les récits fondateurs. 

En maîtrisant les cycles naturels, nous avons nié nos propres rythmes internes. Nous avons oublié la lenteur, la respiration, l’écoute. 

Et dans ce saccage, nous avons rendu nos enfants orphelins, orphelins de la Terre, orphelins des grands-mères conteuses, des chants sacrés, des rites de passage, orphelins de l’âme du monde, cette âme nourricière, enveloppante, féminine. 

Alors ils partent. Ils partent à la recherche de ce qu’on ne leur a pas transmis. 

Ils fuient, parfois, dans des ailleurs numériques ou géographiques. Ils errent, déconnectés, car le tissu symbolique est troué. Et dans cette errance, ils cherchent des repères, un sol, une parole, un sens. 

Une sagesse perdue 

Mona Chollet, dans ‘‘Sorcières. La puissance invaincue des femmes’’, nous rappelle combien la modernité s’est construite sur l’exclusion de figures féminines libres et puissantes. Les guérisseuses, les sage-femmes, les femmes qui vivaient sans l’ombre du mari, qui n’attendaient pas d’autorisation, ces femmes qui détenaient un savoir ancestral, transmis de bouche à oreille, de ventre à main, ont été systématiquement persécutées. 

Ces femmes incarnaient une autre manière d’être au monde : en lien avec la terre, les cycles, les rêves, les intuitions. Elles représentaient une autonomie qui faisait peur, car elle échappait au contrôle des dogmes religieux, médicaux ou patriarcaux. 

Le féminin qui soigne a été réduit au silence, au mieux folklorisé. 

Pierre Bourdieu, dans ‘‘La domination masculine’’, montre comment cette logique d’infériorisation du féminin s’est institutionnalisée. Elle est devenue une norme invisible mais structurante, inscrite dans les lois, les langages, les postures, les imaginaires. Le masculin y est vu comme universel, légitime, objectif; le féminin comme particulier, subjectif, secondaire. 

Le corps des femmes est alors codifié, contrôlé, réduit à sa fonction reproductive ou séductrice, mais jamais reconnu comme source de savoir ou de puissance intérieure. 

Et puis il y a Carlos Castaneda et ses enseignements. Il a introduit une autre grille de lecture avec la distinction entre le tonal : le monde visible, rationnel, organisé, et le nagual : l’invisible, le rêve, l’énergie subtile, il nous invite à redonner place à l’intuition, à l’écoute des signes, à l’expérience directe du mystère. 

Cette vision rejoint celle des traditions mystiques orientales et soufies, où la connaissance passe aussi par le ressenti, le corps, l’expérience de l’inconnu. 

Aujourd’hui, cette sagesse ancestrale est à peine audible. Mais elle survit dans les mémoires silencieuses, dans les gestes oubliés, dans les contes, les plantes, les rêves. 

Elle attend que nous la reconnaissions à nouveau, non pas comme folklore, mais comme chemin de connaissance, voie de soin, et réponse à la crise du sens. 

Et maintenant ? 

Je ne prétends pas avoir de solution miracle, mais peut-être pouvons-nous commencer par réapprendre à écouter, à accueillir le silence, à nous reconnecter à la lenteur, à reconnaître la puissance de la vulnérabilité et à oser dire que le féminin en nous, autour de nous, n’est pas une faiblesse, mais un chemin de guérison. 

Ce n’est pas une guerre des sexes. Ce n’est pas un appel à renverser le masculin. C’est un appel à l’équilibre. Une invitation à une transmutation intérieure, à une transformation collective. 

Car c’est là que, peut-être, se trouvent les réponses durables à la violence, aux conflits, et à la crise écologique : dans ce subtil dialogue entre nos polarités, entre la voix qui affirme et celle qui écoute, entre l’esprit qui contrôle et l’âme qui ressent, entre ce que nous avons perdu… et ce que nous pouvons encore retrouver. 

Je nous invite donc à réfléchir, à sentir, et à dialoguer autour de cette question essentielle : comment retrouver cette harmonie en nous et autour de nous ? 

* Psychothérapeute et psychanalyste.

** Littéralement le «penser trop», entendu comme la propension à ressasser en boucle, de façon obsessionnelle, un certain nombre de pensées ou sentiments négatifs

Sources : 

M. Douglas. De la souillure. Essai sur la notion de pollution et de tabou, La découverte. 

P. Bourdieu. La domination masculine, Points. 

C-G. Jung. L’âme et la Vie, Le livre de poche. 

Mona Chollet. Sorcières. La puissance invaincue des femmes, Zones. 

C. Castaneda. Histoires de pouvoir, Folio.  

Carol Gilligan. Une voix différente. Pour une éthique du care, Champs. 

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