ZOOM – La Tunisie, entre frémissements positifs et illusions de croissance
L’intervention de mon estimable confère universitaire et analyste financier, Abdelkader Boudrigua, sur les ondes d’Express FM, le 15 septembre 2025, a eu le mérite de dresser un tableau nuancé de la situation économique tunisienne. Entre embellie conjoncturelle et faiblesses structurelles persistantes, son discours oscille entre réalisme et excès d’optimisme, révélant les paradoxes d’une économie en quête de souffle.
Pour autant, son constat sur la croissance mérite d’être relativisé. Le taux de 3,2 % enregistré au deuxième trimestre peut certes être perçu comme un signal encourageant; mais il s’agit avant tout d’une amélioration ponctuelle, liée aux effets de base et à une reprise partielle de certains secteurs. Le fait qu’il corrige lui-même ses prévisions annuelles à un niveau plus modeste de 2,2 à 2,5 % montre la fragilité de ce rebond.
Quant à l’hypothèse d’atteindre 4 % grâce au redressement du secteur des phosphates, elle repose sur des conditions aléatoires, tant cette filière reste soumise à des blocages récurrents, des problèmes logistiques et des tensions sociales qui en limitent la régularité.
Concernant l’inflation, M. Boudrigua souligne un léger repli, autour de 5,2 %, tout en la qualifiant de « critique ». Cette ambiguïté traduit bien la difficulté de lecture de l’inflation en Tunisie. Si la Banque centrale joue un rôle central dans le maintien de la stabilité des prix, limiter la problématique à la seule politique monétaire ou aux réserves de change disponibles réduit l’analyse.
Les racines de l’inflation se trouvent aussi dans la rigidité des circuits de distribution, la spéculation, la dépendance aux importations et les déséquilibres budgétaires. Dans ce contexte, l’hypothèse d’une baisse prochaine du taux directeur de 50 points de base apparaît prématurée et risquée, au regard des tensions monétaires et fiscales encore présentes.
L’analyste pointe aussi le manque criant de centres de recherche et d’agences privées capables de fournir des prévisions fiables. Cette remarque est juste et révèle une faiblesse structurelle de l’économie tunisienne : l’absence de données accessibles et transparentes qui empêche toute anticipation sérieuse. Toutefois, la critique reste incomplète, car elle n’esquisse pas les pistes institutionnelles nécessaires pour combler ce vide, qu’il s’agisse de renforcer l’Institut national de la statistique (INS), de dynamiser la recherche académique ou de stimuler la production de données privées.
Le point le plus discutable de son intervention concerne la projection d’une croissance à 6 ou 7 % sur quatre à cinq ans. Fondée (comment ?) sur l’idée d’une « exploitation optimale des capacités disponibles», cette perspective relève davantage du volontarisme que d’une évaluation réaliste. Dans un pays où les finances publiques sont contraintes, où les blocages politiques persistent et où la confiance des investisseurs reste fragile, envisager un tel scénario de rattrapage paraît largement irréaliste. Ce type de projection entretient un biais bien connu du discours économique tunisien : mettre en avant des potentiels théoriques sans mesurer les coûts sociaux et institutionnels de leur mise en œuvre.
Enfin, la conclusion appelant à une action collective de l’État, du gouvernement, des universités, du secteur privé et des médias est pertinente sur le plan normatif. Mais faute de propositions concrètes, elle reste une formule générale qui peine à se transformer en feuille de route. La refonte des politiques économiques suppose des choix précis et courageux : réforme fiscale, gouvernance des entreprises publiques, assainissement des finances, attractivité des investissements. Autant de chantiers que le discours de M. Boudrigua effleure sans les affronter directement.
En définitive, son intervention reflète bien la dualité actuelle du discours économique en Tunisie : une lucidité partielle sur certains indicateurs; et une propension à nourrir des attentes excessives. Elle traduit la tension entre le désir de rassurer et l’incapacité à proposer une vision réaliste et structurée.
La Tunisie n’a pas besoin de projections idéalisées, mais d’analyses rigoureuses et de réformes courageuses, capables de transformer les frémissements conjoncturels en dynamique durable.
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* Dr. Tahar EL ALMI,
Economiste-Economètre.
Ancien Enseignant-Chercheur à l’ISG-TUNIS,
Psd-Fondateur de l’Institut Africain
D’Economie Financière (IAEF-ONG)
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