Cité des Sciences | Les étoiles tunisiennes brillent ailleurs
Le 1er août 2025, la nuit était douce, mais le ciel restait voilé. Ils étaient nombreux, enfants, étudiants, parents et rêveurs, à converger vers la Cité des Sciences de Tunis pour la Nuit des Étoiles. Un événement annoncé comme une communion céleste, une pause contemplative dans un pays qui regarde souvent vers le sol, accablé par ses réalités. Pourtant, malgré les télescopes alignés, les pupilles dilatées et l’espoir suspendu dans l’air moite, la Nuit des étoiles n’a pas offert son habituel ballet céleste. Trop de lumière. Trop de bruit. Trop d’interférences.
Manel Albouchi
À la Cité des Sciences, construite sur le jardin d’Abu Fahar, lieu ancestral où l’eau de Zaghouan et Carthage venait nourrir les songes des savants, une foule s’est réunie, espérant lever les yeux vers l’infini. Mais la lumière artificielle de la ville a effacé le cosmos. Comme si la modernité, dans son vacarme, avait mis entre parenthèses notre capacité à contempler. Comme si ce lieu, entre la mémoire et l’ambition, semble interféré par des ondes plus complexes : celles de la confusion et du court-termisme.
Ce n’est pas que les étoiles n’étaient pas là. C’est que nous ne pouvions plus les voir.
Quand la lumière devient une barrière
Dr Sana Amairi‑Pyka, chercheuse tunisienne en physique quantique installée à Abu Dhabi, nous a rappelé que la lumière est duale : onde et particule. Elle éclaire… mais peut aussi aveugler. Elle protège (cybersécurité), mais peut aussi masquer l’essentiel.
L’astrophysique nous enseigne que pour voir loin, il faut éteindre les feux proches. Cette leçon scientifique s’étend bien au-delà de l’astronomie. Elle touche la Tunisie d’aujourd’hui. Trop de lumière médiatique, trop de déclarations creuses, trop de bruit politique et plus aucune vision. Les grandes idées n’émergent plus, parce que l’éclairage est mal orienté.
Et entre les lignes, l’événement devient métaphore. Une jeunesse qui veut comprendre l’univers mais reste prisonnière d’une lumière coloniale encore trop forte, trop diffuse, trop aveuglante. Une nation en quête de vérité, qui peine à faire le noir sur ses interférences : corruption, désinformation, mal-gouvernance. Tout cela en dit long sur l’incapacité de penser l’espace commun.
Mais au cœur de cette saturation lumineuse, un saxophone a percé le silence. Mohamed Harmassi a interprété en solo un hommage spatial à Ziad Rahbani. Le souffle de ses notes nous a rappelé que la musique, comme la lumière, voyage dans le vide. Elle atteint, elle touche, elle murmure à ceux qui savent écouter.
Le lien entre cosmos et vibration n’est pas qu’une métaphore : c’est une réalité physique, émotionnelle et poétique.

Une jeunesse brillante… mais exportée
Cette nuit-là, la plupart des brillants esprits présents venaient de loin. Dr Sana, comme tant d’autres joyaux de la RH tunisienne, travaille aujourd’hui ailleurs. Une fuite de cerveaux devenue une hémorragie silencieuse. Les étoiles tunisiennes brillent… mais ailleurs.
Et pendant ce temps, la Tunisie, elle, se cherche encore un télescope. Un projet de vision. Une optique claire pour ses enfants.
Alors que nous faisions la queue dans l’espoir, ma fille me parlait de Véga, l’une des étoiles les plus brillantes du ciel d’été. Elle m’a demandé : «Pourquoi on ne peut pas voir les étoiles, maman ?» Je lui ai expliqué les interférences, les lumières, la ville qui brille trop pour laisser place à l’invisible. Puis, me penchant vers elle, je lui ai murmuré : «Même si on ne les voit pas, on peut les entendre. Elles nous parlent encore. Elles portent nos destinées.» Elle a souri, puis m’a dit : «Mais maman, tu ne murmures pas… tu cries fort dans mon oreille.»
Et peut-être que c’est ça, au fond, notre mission : ne plus se contenter de murmurer à l’univers, mais crier assez fort pour réveiller les étoiles endormies par l’éclat factice des projecteurs.
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