ZOOM – La déroute du dollar et ses répercussions : est-ce la fin d’un règne ?
La dépréciation historique du dollar en 2025 marque plus qu’un simple épisode monétaire. Elle révèle un glissement tectonique dans les équilibres économiques mondiaux. Pour la Tunisie, cette dynamique soulève des enjeux décisifs, à la croisée de la stabilité macroéconomique, de la compétitivité et de la souveraineté financière.
Le dollar vacille : un choc qui rappelle les grandes fractures de l’histoire monétaire
En recul de 10,7 % face aux principales devises mondiales, le dollar américain vient de connaître sa pire performance semestrielle depuis 1973, année charnière où Richard Nixon mit fin à l’étalon-or. Ce n’est pas un simple ajustement technique mais le symptôme d’un affaiblissement structurel. La trajectoire actuelle du billet vert reflète une combinaison de déficits publics vertigineux, d’une dette dépassant les 30 000 milliards de dollars, d’un climat politique instable aux États-Unis et d’un affaiblissement de la confiance dans les actifs américains.
La volonté ouverte de Washington d’encourager un dollar faible pour stimuler les exportations ne fait qu’accentuer le mouvement.
Le recul du billet vert n’est pas sans conséquence sur l’architecture financière globale. Il s’accompagne d’une accélération des achats d’or par les banques centrales du monde entier, qui cherchent à réduire leur dépendance au dollar comme monnaie de réserve. Le World Gold Council évoque des niveaux d’achats records inégalés depuis la fin des années 1970, renforçant les interrogations sur l’avenir de la devise américaine comme pilier du système monétaire mondial.
L’économie tunisienne prise entre soulagement à court terme et incertitude à long terme
Dans ce contexte, la Tunisie, qui dépend encore largement du dollar pour ses importations, son endettement et ses opérations de change, se retrouve dans une position délicate. À court terme, la dépréciation du dollar peut sembler favorable. Elle permet un allègement de la facture énergétique et alimentaire, puisque la plupart des matières premières stratégiques sont libellées en dollars. Elle offre également un certain répit au service de la dette extérieure libellée dans cette devise, rendant les remboursements moins lourds en dinars.
Mais cet effet de soulagement ne saurait masquer les risques sous-jacents. L’appréciation des autres devises, notamment de l’euro, risque de nuire à la compétitivité tunisienne sur ses principaux marchés d’exportation. Le dinar, partiellement arrimé à un panier euro-dollar, pourrait se renforcer artificiellement face au dollar sans que cela corresponde à un gain de productivité réel.
Dans un pays où le tissu industriel peine déjà à se maintenir à flot face à la concurrence euro-méditerranéenne, cette évolution peut accentuer les déséquilibres extérieurs.
Dans ce contexte, la Tunisie, qui dépend encore largement du dollar pour ses importations, son endettement et ses opérations de change, se retrouve dans une position délicate. À court terme, la dépréciation du dollar peut sembler favorable.
Sur le plan financier, une baisse de l’attrait du dollar peut également réduire la fluidité des flux d’investissement étrangers. Les marchés émergents comme la Tunisie pourraient pâtir d’un climat d’incertitude globale, où les investisseurs se replient vers des actifs jugés plus stables ou plus liquides, comme l’or ou certaines obligations souveraines non américaines.
Vers une redéfinition des ancrages économiques tunisiens ?
Au-delà des considérations de court terme, la déroute du dollar soulève une question fondamentale pour la Tunisie : celle de son positionnement monétaire et financier dans un monde qui devient de plus en plus multipolaire.
La dépendance au dollar, héritée de la mondialisation des années 1980-2000, pourrait se transformer en vulnérabilité si la devise américaine continue de s’affaiblir ou de perdre sa prééminence.
La Tunisie ne peut ignorer cette mutation. Elle doit penser à diversifier ses partenaires, ses sources de financement et ses devises de transaction. L’euro, déjà dominant dans les échanges extérieurs du pays, pourrait être renforcé comme devise de référence.
Mais il ne s’agit pas uniquement de substituer une devise à une autre. La réflexion doit porter sur une stratégie plus globale de désensibilisation au risque de change, de réduction de la dollarisation de l’économie nationale et de modernisation des outils de gestion monétaire.
L’euro, déjà dominant dans les échanges extérieurs de la Tunisie, pourrait être renforcé comme devise de référence. Mais il ne s’agit pas uniquement de substituer une devise à une autre.
Une alerte à ne pas négliger
La chute du dollar ne signe pas sa fin. Mais elle marque une perte de centralité qui, dans un monde traversé par les tensions géopolitiques et la fragmentation des échanges, pourrait s’amplifier. La Tunisie, déjà fragilisée par ses déficits jumeaux, ne peut se permettre d’ignorer les signaux faibles d’une recomposition monétaire mondiale. Ce n’est pas le dollar seul qui vacille, ce sont les certitudes sur lesquelles reposaient les équilibres financiers internationaux.
Dans ce contexte mouvant, il est opportun pour la Tunisie de s’interroger : comment préserver sa stabilité monétaire ? Comment adapter ses politiques économiques à un monde où le centre de gravité se déplace ? Et comment tirer parti de ce moment de transition pour affirmer davantage sa souveraineté économique ? Autant de questions qui exigent une vision stratégique, dépassant les considérations conjoncturelles.
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* Dr. Tahar EL ALMI,
Economiste-Economètre.
Ancien Enseignant-Chercheur à l’ISG-TUNIS,
Psd-Fondateur de l’Institut Africain
D’Economie Financière (IAEF-ONG)
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