Les potins du cardiologue: le stenting du tronc commun, de l’extase à l’agonie
Il est douteux qu’un patient censé accepte un risque de mort ou de grave complication trois fois supérieur dans une technique médicale par rapport à une autre, et qui frappe près d’un patient sur quatre. S’il l’accepte c’est que forcément le praticien le lui a mal expliqué, au risque de se voir demander des comptes, en cas de malheur, même plusieurs années après l’acte.
Dr Mounir Hanablia *
L’un des alibis aux habitudes ayant cours dans la profession a trait à l’argument selon lequel le médecin, d’aucuns diront le malade, est responsable de son fait.
Juridiquement parlant, cela est incontestable, mais dans les pays où la loi réprime avant tout ceux qui dérangent, la question ne rebondit jamais plus qu’en cas d’homicide, ou de dégâts corporels.
Autrement dit, dans les législations qui ne reconnaissent la mise en danger délibérée ou le principe de précaution, que comme facteur aggravant dans l’évaluation du dommage, une procédure techniquement réussie absout son auteur de toute faute, et l’immunise contre une quelconque responsabilité pénale, civile, professionnelle, ou administrative.
Il faudrait encore définir ce que procédure techniquement réussie veut dire, en particulier lorsqu’elle contredit les données acquises de la science.
Le principe de responsabilité prolongée
On se souvient déjà comment dans la grande escroquerie des stents périmés il y a quelques années, la surveillance médicale des patients dans le cadre de l’expertise, plus précisément des victimes, avait couvert deux années. Désormais et en l’occurrence, une référence scientifique en double aveugle existe, et c’est une première mondiale.
On pourrait ajouter qu’à l’ère des stents nus, les caisses de compensation sociale avaient imposé, entre autres du fait des habituelles luttes intestines faisant rage dans la profession, la reprise gratuite des patients en cas de resténose survenant dans l’année qui suivait l’angioplastie coronaire, et ainsi que tout le monde le sait dans la profession, la resténose n’avait pourtant jamais été qu’une évolution non souhaitable inhérente à la technique, et non au praticien.
Ceci signifie bien qu’on avait admis en angioplastie coronaire, abusivement ou non, le principe de responsabilité prolongée, qui signifiait qu’il ne suffisait pas que le patient quittât la clinique en bonne santé, après l’acte, pour en admettre la validité, ou pour décharger son auteur de toute responsabilité. Évidemment, dans le cas de l’accord préalable par les Caisses, on peut toujours arguer de la responsabilité associée des médecins contrôleurs l’ayant accordée. Et il est d’autant plus envisageable de le faire que ces derniers, malgré toute l’estime qu’on puisse leur accorder, ne sont pas des cardiologues interventionnels, et ne peuvent s’empêcher d’être impressionnés par la qualité du médecin demandeur quand il s’agit d’un ponte de la profession, y compris en cas d’indication abusive. Ils n’ont pas la qualité nécessaire pour en apprécier l’opportunité, ou la réfuter, que relativement à la nomenclature des actes dont ils disposent.
Il y a quelques semaines une demande de scanner coronaire avait été réfutée sur l’absence de données conformes à la nomenclature (tabac + diabète ancien + rétinopathie diabétique). Il faut donc considérer que le stenting du tronc commun de la coronaire gauche accordé à un autre patient en fasse partie, et cela soulève déjà un doute, relativement à l’expertise chargée de la mise à jour des indications dans la nomenclature en question.
Il y a quelques années, j’avais processé un tronc commun dans le cadre d’une urgence, en plaçant deux stents nus, en culotte, sur ses deux branches, quand un ballon avait éclaté dans la circonflexe au cours de la procédure, occasionnant une dissection extensive rétrograde. Cet acte réussi dont les suites avaient été simples, au moins durant quelques mois, m’avait placé évidemment en ligne de mire des courtisans et des ambitieux qui, dans l’opportunité d’être téméraires après avoir été obséquieux, hantent les travers de la profession. Mais il s’agissait d’un patient étranger. Aussi l’accord préalable accordé pour une procédure réservée de principe à la chirurgie n’étonne en réalité pas étant données les limites précitées, même si pour en démontrer le caractère inadéquat, il faut en revenir aux données de la science,
L’angioplastie se conçoit lorsque la chirurgie est contre-indiquée
On dira ce qu’on voudra de l’étude Syntax qui compare le stenting au pontage dans la maladie coronaire. Quoique remontant à l’année 2009, elle demeure LA référence valable, d’autant qu’elle a subi des remises à jour, et suscité des études dérivées (des sous-groupes).
Le sous-groupe du Tronc Commun dit la chose suivante, qui est en soi même remarquable : le stenting et la chirurgie du tronc commun possèdent un taux équivalent de succès et de survie à un an et plus, jusqu’à plus de 5 ans, au prix d’un taux de reprise (actes complémentaires) nettement supérieur dans l’angioplastie coronaire. La seule exception notable est l’existence d’un diabète associé qui constitue en lui-même un facteur de gravité indépendant.
En cas de diabète, le taux de mortalité et d’infarctus du myocarde au cours de la première année est de deux fois supérieur dans l’angioplastie par rapport à la chirurgie, et il est de trois fois supérieur, lorsqu’on tient compte de tous les évènements majeurs, associant les accidents vasculaires cérébraux, ce taux dépasse 25%, soit un patient sur 4, ce qui est énorme.
Cette réalité là rend ainsi le recours à l’angioplastie coronaire rédhibitoire par rapport au pontage coronaire en cas de sténose du tronc commun, et engage la responsabilité prolongée du praticien au long terme, même lorsque l’acte est à priori réussi. C’est pourquoi, en cas de sténose du tronc commun, mis à part les urgences, l’angioplastie ne se conçoit que lorsque la chirurgie est contre-indiquée.
Évidemment, le grand argument est la volonté du patient, qui souvent, quoique justiciable de la chirurgie, la refuse. Par rapport aux caisses sociales, cet argument n’a évidemment pas cours, étant donné que l’indication n’obéit pas aux normes en vigueur.
Il reste à envisager le cas du patient suffisamment fortuné et dont le praticien estime licite de donner suite à sa demande de lui épargner la chirurgie.
Il est d’abord douteux qu’une personne censée accepte un risque de mort ou de grave complication trois fois supérieur dans une technique par rapport à une autre, et qui frappe près d’un patient sur 4. S’il l’accepte c’est que forcément on le lui a mal expliqué.
D’autre part ce consentement non éclairé n’élimine pas le devoir du médecin de se conformer aux données les plus récentes de la science, autrement dit de se voir demander des comptes par la famille du patient, en cas de malheur, même plusieurs années après l’acte, ainsi que cela s’était passé dans le cas des stents périmés.
Ainsi entre l’extase du fruit défendu, dont les moins scrupuleux tirent une réputation professionnelle surfaite, et l’agonie souvent assumée du patient, quoique résultant d’un abus de confiance, doit s’insérer l’autorité ordinale assurant un équilibre entre les réalités et les nécessités professionnelles.
* Médecin de libre pratique.
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