‘‘Ramla’’ de Soufiane Ben Farhat | L’amour comme ultime résistance
Après ‘‘Abba Abba’’, roman salué pour sa force poétique et son ancrage dans la mémoire collective, Soufiane Ben Farhat revient avec ‘‘Ramla Cœur-de-citron’’, une œuvre vibrante et singulière où l’amour devient acte de résistance face à la trahison, la cupidité et le silence. Quinzième livre d’un écrivain à la fois romancier, dramaturge, scénariste et journaliste, ce texte dense et bouleversant affirme, une fois encore, la puissance des mots contre les dérives du monde.
Djamal Guettala
Dès le prologue, le lecteur entre dans une atmosphère suspendue. Ramla, femme de lumière et de mystère, s’effondre dans un sommeil profond que les médecins nomment «Covid long». Sélim, son amant, refuse ce verdict clinique. «Elle est devenue une âme errante dans les ténébreux abîmes du silence», lit-on sur la quatrième de couverture. Pour lui, ce coma n’est pas seulement une affaire médicale, mais un symptôme d’un mal plus vaste : la perte du lien, la corruption des cœurs, la violence des intérêts. Face à l’inertie des corps et à la froideur du réel, il choisit la voie de la poésie et de l’art.
Sélim entreprend alors une traversée initiatique pour ramener Ramla à la vie. Par la littérature – qu’il appelle «thérapie par le conte» –, la musique et les voyages, il tente de réanimer l’esprit de celle qu’il aime. Chaque mot devient offrande, chaque geste un acte de foi. Mais cette lutte est minée par les forces du cynisme : l’entourage de Ramla, rongé par la cupidité, manipule et exploite sa faiblesse pour des motifs sordides. Le roman se mue alors en un drame intérieur, un huis clos de passions et de calculs où l’amour se heurte à la déchéance morale.
Le récit offre des passages saisissants, comme celui où Sélim observe Ramla : «Ramla gisait dans le fauteuil, la tête lourdement baissée de côté, les yeux clos. Je l’appelai, un filet de voix tendu par l’espoir. Aucune réponse… Je pris sa main; elle était moite, glacée, et sa respiration, un râle pénible. Son regard, lorsqu’il se dévoila un instant, avait quelque chose de dément, d’obscur, comme un puits sans fond.»
Ou encore ces lignes qui traduisent l’obsession et la douleur du narrateur : «Je courais comme un lièvre damné aux marches de l’enfer, mes pieds lacérés par la rocaille… Chaque pas était une torture, un aveu de ma défaite face à l’immense silence de Ramla.»
L’écriture de Soufiane Ben Farhat, syncopée et impressionniste, épouse les déflagrations de l’âme. Les phrases semblent respirer, s’évanouir, renaître. Le roman avance par fragments, entre rêve et réalité, enquête et chant. Sélim s’allie à un détective, se déguise, franchit les frontières de la raison. Sa quête devient un combat contre le silence et l’oubli.
La puissance du roman culmine dans le message final de Ramla : «Ils sont venus… j’ai peur… il y a que toi… seulement toi… SELIM… me souviens… deux mots… JTM… CXIX… notre code secret.»
Ce fragment, écrit au cœur du danger, est une preuve que l’amour persiste malgré l’absence, la peur et la trahison. L’épilogue transporte Sélim sur un paquebot en route vers Bali, seul mais porteur d’un souvenir précieux, méditant sur un amour à la fois lumineux et amer : «La vie, la distance, ont séparé nos cœurs, hélas. Mais ils demeurent unis dans la froidure lancinante du souvenir.»
Ramla Cœur-de-citron est bien plus qu’un roman sentimental : c’est une traversée poétique de la douleur, une réflexion sur le pouvoir réparateur de la littérature. Soufiane Ben Farhat y renouvelle son art en conjuguant l’intime et le collectif, le charnel et le métaphysique. Comme dans ‘‘Abba Abba’’, l’auteur revendique une littérature vivante, portée par les lecteurs eux-mêmes, loin des circuits marchands et des compromis éditoriaux.
Chaque page semble dire que l’amour, même blessé, demeure la plus haute forme de résistance. Et que les mots, lorsqu’ils s’écrivent avec sincérité, peuvent encore sauver quelque chose du monde.
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