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CIFF 2025 – Ildikó Enyedi, la poésie du réel récompensée par la Pyramide d’Or

19. November 2025 um 13:46

Le Festival international du film du Caire (CIFF) rend hommage, lors de sa 46ᵉ édition, à la réalisatrice hongroise Ildikó Enyedi, en lui décernant la Pyramide d’Or pour l’ensemble de sa carrière. Cette distinction, qui lui sera remise lors de la cérémonie de clôture, salue une œuvre rare, exigeante et profondément humaniste, portée par une vision singulière du monde et par une sensibilité que peu de cinéastes possèdent encore aujourd’hui.
Dans le cadre de cet hommage, le CIFF a édité un livre intitulé Cinéma d’Ildikó Enyedi, Pour que la magie ne disparaisse pas du monde. Le festival a également organisé une rencontre publique animée par Mohamed Tarek : c’est à cette occasion que la cinéaste est revenue sur son parcours, ses influences et sa conception du cinéma.

Née à Budapest en 1955, Ildikó Enyedi a d’abord étudié l’économie avant de s’orienter vers les beaux-arts et le cinéma. Cette formation multiple, alliant rigueur intellectuelle et curiosité artistique, a façonné une approche très personnelle de la création. Dès son premier long métrage, Mon 20e siècle, couronné de la Caméra d’Or à Cannes en 1989, elle impose une signature singulière, mêlant poésie, philosophie et observation du réel. Suivront Magic Hunter (1994), Tamas et Juli (1997) et Simon le mage (1999), œuvres marquées par la fable, le rêve et la recherche d’un langage cinématographique libre. Après une longue parenthèse consacrée à l’enseignement et à la télévision, elle revient en 2017 avec Corps et âme, Ours d’Or à la Berlinale, puis en 2021 avec L’histoire de ma femme, sélectionné en compétition officielle au Festival de Cannes. Cette année, Silent Friend poursuit sa réflexion sur la perception, le vivant et l’altérité.

Face au public du Caire, la cinéaste s’est confiée avec douceur et franchise. « Beaucoup de choses m’ont influencée, a-t-elle raconté. En tant qu’adolescente, pendant les années 1980, j’ai eu la chance de choisir parmi ces influences, souvent sans en avoir conscience. J’ai toujours été très curieuse ; j’aimais les sciences naturelles, qui m’ont beaucoup marquée dans ma jeunesse. ».

Cette curiosité, qu’elle définit comme une force instinctive, guide toute sa démarche. « Je suis timide, ce qui rend les choses parfois difficiles pour moi, mais quelque part, je suis ma voie. Mon éducation et ma culture sont européennes, mais ma voix est personnelle. Un jour, j’ai lu un livre sur les réalisateurs : j’étais citée dans le chapitre “Outsiders”. C’est exactement ce que je suis. »

Pour Ildikó Enyedi, ses films ne reposent pas sur des oppositions morales ou idéologiques, mais sur une vision fluide de la réalité : « Je ne vois pas de polarisation dans mes films. Il n’y a pas de gentils et de méchants ; il y a de tout. Je suis pour l’humain, et parfois pour les animaux. Je considère la réalité comme un fluide ; je ne divise pas. »

Cette philosophie traverse Silent Friend, présenté au CIFF : un film autour d’une neuroscientifique travaillant sur la perception des plantes. « C’est une exploration de la manière dont nous percevons le monde. » La cinéaste cite une phrase de son film : « We are hallucinating every time, and when we agree about hallucination, we call it reality » (Nous hallucinons à chaque instant, et quand nous nous mettons d’accord sur une hallucination, nous appelons cela la réalité). Pour elle, la réalité n’est qu’une convention, un accord collectif.

Elle évoque aussi sa jeunesse, marquée par la curiosité et l’expérimentation : « À dix-sept ans, je traversais une période d’ouverture à de nouvelles formes de communication. Nous marchions pieds nus dans l’herbe, nous cherchions à comprendre comment exister dans le monde sans confrontation. C’était une époque naïve, mais fondatrice. En moi, il reste encore cette adolescente. »

Lorsqu’elle parle d’écriture, son approche révèle un mélange d’intuition et de rigueur. « J’écris longtemps. Chaque projet est différent. Parfois, une musique m’habite dès le départ. Pour Silent Friend, tout est né d’une chanson évoquant la fragilité de l’existence humaine. » Pour elle, l’écriture naît d’une sensation : « Je note des impressions, des émotions, puis l’histoire vient après. J’ai besoin de partager des sensations. L’histoire est une éponge qui les absorbe toutes. »

Son rapport aux acteurs illustre la même attention humaine. « Avec les animaux, il faut créer des situations qui les feront réagir. On reste à l’affût, prêt à s’adapter. Avec les non-professionnels, c’est pareil : il faut les mettre en confiance, créer un cadre. Les professionnels, eux, ont davantage de ressources, parfois ils trouvent en eux ce que le rôle exige sans répétition. Les deux se nourrissent mutuellement ; c’est très enrichissant. »

CIFF 2025
Ildikó Enyedi

À propos de la tendresse qui traverse son cinéma, elle raconte comment Corps et âme est né d’un moment très précis : « Un jour de printemps, je marchais dans la rue. Les fleurs allaient éclore, et j’étais émue sans savoir pourquoi. Je me demandais ce qu’étaient la vie, l’amour, la solitude… » À cette période, elle lisait beaucoup de poésie. Un poème en particulier l’a profondément marquée, avec cette image d’une tempête de neige et d’un feu au fond de soi. « Je me suis dit que ce serait génial de faire un film à propos de ce genre d’expérience. Le même jour, je me demandais comment faire un film sur cela et j’ai juré à Dieu que ces deux personnages seraient bien construits, comme si je les connaissais vraiment, avec leur passé, leur vie. » Ces deux personnages, qui deviendront les protagonistes de Corps et âme, sont deux êtres solitaires qui, dans le film, partagent le même rêve nocturne sans se parler dans la vie réelle. « Ils ne se parleraient jamais si je ne les mettais pas dans une situation de se connaître. Je les ai poussés dans cette situation et je les ai suivis. C’est ma vision de la tendresse. »

Cette attention au détail et à l’observation vient de loin. Ildikó Enyedi se souvient de son adolescence : « À l’école, on nous avait demandé d’écrire une histoire courte sur une expérience personnelle. J’ai pris cela très au sérieux : je suis allée sur la terrasse d’un café, je me suis assise et j’ai passé des heures à observer les gens vivre leur vie. Je prenais des notes sur ce que je voyais, leurs gestes, leurs attitudes. » C’est à partir de ces notes qu’elle rédige ensuite son devoir, en racontant simplement cette après-midi passée à regarder le monde autour d’elle. « Mon professeur était furieux, il a pensé que j’avais saboté l’exercice : les autres avaient écrit à propos de situations dramatiques, de problèmes qu’ils avaient rencontrés, et moi, j’avais juste observé la vie. » Cette anecdote, où son texte ne faisait que restituer ce qu’elle avait vu, éclaire déjà son rapport au cinéma : un art qui regarde, écoute, capte, sans forcément surdramatiser.

« Au cinéma, nos sens sont limités au son et à l’image, explique-t-elle. Il faut donc apprendre à s’exprimer sans dialogues. La lumière devient alors essentielle ; elle peut tout dire. » Depuis ses débuts, elle travaille avec le même directeur de la photographie : « Il se souvient de la fonction de chaque scène, de ce qu’elle apporte au film. C’est un travail d’équipe : je partage ma vision, j’écris à chacun une lettre expliquant ce que j’attends. »

Elle insiste aussi sur l’importance du travail d’équipe et des détails concrets. « Depuis mon premier film, je travaille avec le même directeur de la photographie. Je partage avec lui ma vision de chaque scène, la fonction de chaque moment dans le film, et j’écris à toute l’équipe une lettre où j’explique ce que j’attends d’eux. » Elle raconte une anecdote révélatrice à propos d’une assistante, lors d’une scène où un personnage devait utiliser un poivrier. « Sur la table, il y avait plusieurs poivriers, de matériaux différents. Elle devait en choisir un. Elle aurait pu prendre n’importe lequel, le poser là et basta. Mais je l’ai entendue expliquer pourquoi c’était ce poivrier-là et pas un autre, en quoi cet objet précis disait quelque chose du personnage. » Le fait qu’elle ait d’abord sélectionné un poivrier parmi plusieurs, puis justifié son choix en termes de sens et de caractère, montre à quel point elle avait compris l’essence même de la scène et du rôle. « Quelle belle énergie elle dégageait », conclut la réalisatrice.

La cinéaste évoque aussi les obstacles rencontrés à ses débuts : « J’avais obtenu un financement en partie à Hambourg, mais en Hongrie, la police me suivait et mon film était interdit. Ce n’était pas facile. »

Interrogée sur l’intelligence artificielle, Enyedi adopte un regard ouvert : « J’ai traversé plusieurs époques, du celluloïd au numérique. Nous avons connu un moment où tourner en pellicule était devenu snob. Aujourd’hui, tout cela est dépassé. L’important, c’est la liberté : choisir la forme qui sert le film, qu’il soit en noir et blanc, en 35 mm, en digital. Si l’IA permet de créer, de mélanger les techniques, de stimuler l’imagination et d’entrer en connexion avec le public, pourquoi pas ? »

À la fin de la rencontre, un cinéaste présent dans la salle se souvient : « J’étais membre du jury de la Caméra d’Or en 1989. Votre film s’est imposé immédiatement. Nous avions compris que nous avions devant nous une grande réalisatrice. »

Ildikó Enyedi sourit, émue : « C’était mon premier festival. Mon diplôme m’avait été retiré pour des raisons politiques, mais j’avais réussi à faire le film, et il avait été à Cannes. »

L’hommage du Festival du Caire vient donc refermer un long cycle : celui d’une cinéaste qui, depuis ses débuts, n’a cessé de chercher à comprendre le monde sans le juger, à observer la vie avec douceur, à célébrer la fragilité de l’existence. La Pyramide d’Or lui rend justice : elle consacre non seulement une œuvre, mais une façon d’être au monde — curieuse, ouverte, sincère.

Neïla Driss

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