Profil | Paula Anacaona, passeuse de voix et d’histoires
On raconte qu’un jour, dans le silence d’un bureau parisien, Paula Anacaona s’est arrêtée net sur une phrase traduite. Elle venait des favelas de Rio, des ruelles où la pauvreté côtoie la poésie brute, où chaque mot est une survie, un cri, une prière. Cette phrase, Paula ne voulait pas la laisser s’éteindre dans l’anonymat. Elle devait exister, hurler, toucher. C’est là qu’est née l’idée qui allait définir sa trajectoire : donner voix aux invisibles, aux oubliés, aux marges du monde.
Djamal Guettala
En 2009, elle fonde les Éditions Anacaona, avec un objectif clair : publier la littérature contemporaine et alternative du Brésil, donner vie aux récits des marges, des favelas, des minorités raciales et sociales. Rapidement, sa maison devient un lieu de référence pour qui cherche à lire une littérature brésilienne engagée, accessible et porteuse d’histoire.
Traductrice accomplie, Paula a déjà signé plus de cinquante traductions pour Anacaona et d’autres maisons, tout en collaborant avec diverses organisations internationales. Mais c’est par l’écriture qu’elle trouve sa voix propre. En 2016, elle publie deux romans jeunesse – ‘‘Maria Bonita, une femme parmi les bandits’’ et ‘‘Jorge Amado, sur les terres du cacao’’ – puis la nouvelle ‘‘Super-Carioca’’, dans ‘‘Je suis Rio’’. «L’écriture de cette nouvelle m’a provoqué des démangeaisons… j’en avais trop dit et pas assez», confie-t-elle, traduisant sa nécessité de raconter autrement.
Son premier roman, ‘‘Tatou’’ (2018), s’inspire directement de ‘‘Super-Carioca’’. À l’image des Éditions Anacaona, il traverse continents et cultures, explorant race, sexe et classe. Le livre devient finaliste du prix Hors Concours des lycéens. Puis vient ‘‘1492, Anacaona, l’insurgée des Caraïbes’’ (2019), illustré par Claudia Amaral. Plongée dans les archives coloniales et les fonds d’arts premiers européens, Paula mêle rigueur historique et poésie accessible, révélant la culture Taïno, ces Autochtones des Caraïbes avant l’arrivée des Espagnols.
Un souffle de liberté

À Noël 2019, elle publie ‘‘Gaïa changera le monde’’, un album jeunesse qui parle d’écologie et de diversité. En 2020, elle signe ‘‘Solitude la flamboyante’’, un roman graphique raconté à la première personne, pour que la voix d’une héroïne guadeloupéenne oubliée résonne dans notre présent.
Chaque collection d’Anacaona est pensée comme un souffle de liberté : Urbana pour les voix urbaines et marginales, Terra pour les racines rurales et la mémoire historique, Época pour l’avant-garde et le féminisme théorique, et Anacaona Junior pour éveiller les enfants à la diversité. Les livres deviennent eux-mêmes objets de résistance, mêlant encres colorées, photographies et illustrations.
Paula Anacaona n’a pas seulement créé une maison d’édition. Elle a bâti un espace où la littérature devient résistance, où la mémoire des oubliés renaît, où les voix des marges illuminent l’imaginaire collectif. Son combat est clair : tant que ces voix résonneront, le monde pourra se réinventer, libre et vibrant.
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